Réponse à trois questions
fréquemment posées
à propos d'Apollo 11

Par Claude Lafleur
Annexe de La Grande aventure d'Apollo 11

1) Pourquoi Neil Armstrong a-t-il été choisi ?
2) Qui a pensé à « Un petit pas pour l’homme... » ?
3) La Lune les a-t-elle changé ?

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Pourquoi Neil Armstrong a-t-il été choisi ?

        Comment Neil Armstrong est-il devenu le premier homme à fouler le sol lunaire? Pourquoi lui plutôt qu’un autre? Manifestait-il, comme on le rapporte souvent, des qualités exceptionnelles que personne d’autre (ou presque) ne possédait?
        Étrangement, c’est par hasard qu’Armstrong a obtenu cet honneur. Bien sûr, il possédait les grandes qualités requises – notamment un sang froid à toute épreuve –, mais c’était aussi le lot d’une bonne vingtaine de ses collègues astronautes. En réalité, Armstrong, si qualifié soit-il, a bénéficié d’un double concours de circonstances... d’une double chance.
        Premièrement, c’est en novembre 1967 que la NASA a formé les équipages qui devaient réaliser la série des missions Apollo qui traceraient la route jusqu’à la Lune. Si tout allait bien, Neil Armstrong devait commander la cinquième mission. Il était alors prévu que le premier équipage testerait le module de commande (CSM) en orbite terrestre, le deuxième équipage essaierait tout le vaisseau Apollo (CSM et LM) en orbite terrestre, le troisième équipage emmènerait un CSM à 7 500 kilomètres d’altitude (dans ce qu’on appelle «l’espace profond» et jusque là inexploré), le quatrième équipage testerait le vaisseau Apollo aux abords de la Lune, de sorte que si tout allait bien, le cinquième équipage pourrait se poser sur la Lune. Toutefois, personne n’imaginait que les quatre premières missions se dérouleraient parfaitement, condition absolue pour entreprendre le débarquement lunaire.
        Dans son autobiographie , Chris Kraft, le directeur des opérations Apollo, martèle très bien ce fait. «Les trois membres de l’équipage [d’Apollo 11] savaient qu’ils occupaient cette position historique autant par chance qu’à la suite de considérations mûrement réfléchies. écrit-il, Lorsque Deke a choisi Neil, Buzz et Mike pour constituer cet équipage, personne ne savait qu’Apollo 11 se poserait sur la Lune. Si les choses s’étaient passées autrement lors des vols précédents, le premier atterrissage aurait très bien pu incomber à Apollo 12, 13 ou 14.»
         «Nous savions tous que n’importe lequel de ces équipages pourrait obtenir la chance de se poser sur la Lune, poursuit-il. Nous n’avons donc pas formé l’équipage d’Apollo 11 en vue de lui faire accomplir la grande mission historique. Mais personne non plus ne pouvait contester qu’Armstrong, Aldrin et Collins étaient de bons choix. Chacun était pilote émérite, chacun avait volé dans l’espace dans des circonstances difficiles. Ils étaient donc parfaitement qualifiés pour le travail et c’est le hasard qui a voulu qu’ils héritent de la mission Apollo 11.»

        Mais qui de Neil Armstrong ou de Buzz Aldrin serait le premier à descendre du module lunaire Eagle? Normalement, Aldrin aurait dû être celui-ci puisque la pratique veut que le commandant soit toujours le dernier à quitter son navire. Ainsi, durant les envolées précédentes, chaque fois qu’un astronaute devait sortir dans l’espace, cette opération revenait au pilote, le commandant demeurant à bord. Voilà d’ailleurs pourquoi, au moment où s’envole Apollo 11, Aldrin avait déjà réalisé trois sorties dans l’espace, alors qu’Armstrong n’avait jamais quitté un vaisseau...
        Or, aussi incroyable que cela puisse paraître, l’honneur d’être le premier à marcher sur la Lune serait revenu à Armstrong simplement à cause de la position des pentures de l’écoutille du module lunaire! Comme on sait, la cabine du LM est très exiguë, le commandant occupant le poste de pilotage de gauche et le pilote celui de droite. La cabine est si petite que les deux hommes peuvent difficilement changer de place, surtout lorsqu’ils portent sur leur dos les encombrants PLSS. Or, les pentures de la porte de l’écoutille se trouvent du côté droit, la porte s’ouvrant donc vers Aldrin (libérant le passage à Armstrong). Ainsi, les responsables de la NASA ont toujours affirmé que c’est là la raison pour laquelle le commandant d’Apollo 11 a été celui qui est sorti le premier, et non pas le pilote, comme c’est la pratique courante.
        Toutefois, dans sa biographie publiée en 2001 (1), Kraft révèle que les dirigeants de la NASA ont en fait préféré Armstrong à Aldrin. «Il y a eu d’intenses discussions pour savoir qui serait le premier homme à marcher sur la Lune, écrit-il. Tous les plans de vol préliminaires attribuaient cette fonction au pilote du module lunaire. Buzz Aldrin convoitait d’ailleurs désespérément cet honneur et ne se gênait pas pour le faire savoir. Quant à Neil Armstrong, il ne disait rien. Ce n’était pas dans sa nature de chercher à se mettre en valeur. Si tel devait être le cas, qu’il en soit ainsi. Autrement, il se contenterait de faire son boulot et de rentrer à la maison.»
        «J’ai donc réfléchi à la question, poursuit le directeur des opérations Apollo. Le premier homme sur la Lune deviendrait une légende, un héros américain surclassant Charles Lindbergh, de même que n’importe quel officier, politicien ou inventeur. Ça devait donc être Armstrong! J’en ai parlé à Deke, puis à George Low et à Bob Gilruth. Et nous avons discuté... Personne ne critiquait Buzz pour sa campagne ni pour son ambition – nous l’admirions tous mais, pensions-nous pour autant qu’il était l’homme qui nous représenterait le mieux aux yeux du monde, l’homme qui deviendrait une légende? Non! Neil Armstrong, réservé, calme et héroïque, était notre choix. Nous étions unanimes. Lorsque Deke a transmis notre décision à l’équipage, Buzz a été dévasté, mais n’a pas bronché. Quant à Neil, il a accepté son rôle sans sourciller et sans surprise.»
        Il est vrai, rapporte finalement Kraft, que l’écoutille n’ouvrait pas «du bon bord» pour Aldrin... «mais la décision avait été prise».
        Notons toutefois que l’Histoire a par contre souri à Aldrin: puisqu’il n’existe aucune (bonne) photo d’Armstrong sur la Lune, chaque fois qu’on voit un astronaute d’Apollo 11 sur le sol lunaire... c’est toujours de lui dont il s’agit!

(1) Kraft, Chris, FLIGHT, My Life at Mission Control, Dutton (Penguin Group), 2001.

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Qui a pensé à « Un petit pas pour l’homme... » ?

        Qui a imaginé la célèbre phrase prononcée par Neil Armstrong au moment de poser le pied sur la Lune? Devant l’importance du moment – « C'est un petit pas pour [un] homme…, un bond de géant pour l'humanité » – nul doute que cette parole a dû être suggérée par un groupe de penseurs bien avisés, n’est-ce pas?
        Or, il n’en est rien. Les circonstances qui entourent la déclaration historique d’Armstrong sont pour le moins déconcertantes: personne n’a suggéré quoi que ce soit à dire à Armstrong et celui-ci n’a même pas pris la peine d’y réfléchir!
        Pourtant, l’Histoire rapporte que constamment celui-ci s’est fait demander ce qu’il allait dire au moment historique – même par ses compagnons alors qu’Apollo 11 filait vers la Lune. C’est dire à quel point nul ne savait ce que le premier lunaute allait déclarer. Et depuis, Armstrong s’est fait constamment poser la question.
        L’un des échanges les plus révélateurs à ce propos provient de l’une des très rares entrevues accordées par Armstrong (2). « Probablement la question à laquelle vous êtes le plus fatigué de répondre, de lui lancer l’historien Douglas Brinkley, concerne les mots les plus célèbres du vingtième siècle... Ne trouvez-vous pas curieux que [les dirigeants de] la NASA ne vous aient pas écrit ce que vous deviez dire, mais qu’ils vous aient plutôt laissé toute liberté? Vous savez, si je me mets à leur place, je vous aurais sans doute dit: “Neil, voici ce que nous aimerions que vous disiez...” – et pourtant, ils vous ont laissé toute latitude...»
        Amusé, Armstrong répond en riant: «Eh bien, avec le recul du temps, c’est sans doute ce qu’ils auraient préféré! Mais Julian Scheer, qui supervisait de bien des façons toutes les relations que la NASA entretenait avec le monde extérieur,s’opposait avec fermeté à ce que la haute direction mette des mots dans la bouche de quiconque... » Plus de trente ans après sa mission, Armstrong insiste toujours pour dire que personne ne lui a dicté quoi que ce soit.
        «Quand y avez-vous pensé? Y songiez-vous depuis longtemps ou juste une fois parvenu sur la Lune?», de s’enquérir l’intervieweur. Et Armstrong de révéler: «Je n’y ai pensé qu’après l’atterrissage. Mais comme nous avions un tas de choses à faire, ce n’est pas quelque chose sur lequel je me suis réellement concentré. C’était simplement quelque chose auquel j’ai songé plus ou moins dans mon subconscient ou en arrière pensée. Mais, vous savez, c’est une affirmation pour le moins banal; parler de débarquer de quelque chose, cela n’a rien de difficile..., ça été ce que ça été!»
        «Quand y avez-vous pensez, d’insister l’intervieweur, lorsque vous descendiez l’échelle?» Et Armstrong de répondre laconiquement: «Je ne considérais pas que c’était quelque chose de plus important que bien d’autres choses... Je ne voulais tout simplement pas paraître idiot – et rien de plus –, je dois m’en confesser!»
        Il ne nous reste donc plus qu’à imaginer la scène. Armstrong descend une échelle à neuf barreaux. Il se demande si le sol lunaire supportera son poids et s’il pourra s’y déplacer facilement. Parvenu au dernier échelon, il se laisse choir d’un bon mètre – un petit bond qui le surprend un peu puisque la patte du LM ne s’est pas contractée autant que prévu. Évidemment, il sait fort bien à ce moment-là qu’il réalise le vieux rêve de l’humanité. Et c’est alors, apparemment inspiré par les circonstances du moment, qu’il lance tout bonnement: «C'est un petit pas pour [un] homme», puis il marque une pause avant d’ajouter: «un bond de géant pour l'humanité.» Et voilà, se dit-il peut-être inconsciemment, le tour est joué et ce n’est pas plus compliqué que ça!

(2) Ambrose S.E. & Brinkley D., Interview of Neil A. Armstrong, NASA Johnson Space Center Oral History Project, 19 September 2001.

La Lune les a-t-elle changé ?

        Les astronautes qui vont dans l’Espace s’en trouvent-ils changés à jamais? Voilà une question qu’on se pose fréquemment, particulièrement à propos de ceux qui ont marché sur la Lune. Comment expliquer les comportements diamétralement opposés des deux premiers lunautes: Armstrong qui se retire «sur ses terres» peu après son retour sur Terre alors qu'au contraire, Aldrin demeure toujours aussi avide de communiquer son expérience?
        Andrew Chaikin, l’une des très rares personnes qui a eu le privilège de s’entretenir longuement avec chacun de ceux qui sont allés sur la Lune, estime dans son ouvrage A Man on the Moon (3) que l’Espace ne change pas les hommes qui y vont, mais peut-être accentue-t-il légèrement leurs traits de personnalité.
        Ainsi, il fait ressortir que, de tout temps, Armstrong s’est avéré un être solitaire et extrêmement réservé, l’un des astronautes qui, contrairement à bon nombre de ses collègues, fuyait les feux de la rampe. Pour Chaikin, pas étonnant alors que, suite à la mission d’Apollo 11, Armstrong soit tout bonnement allé enseigner le génie dans une université du Midwest américain et qu’il refuse pratiquement toute entrevue. Voilà qui concorde parfaitement avec sa personnalité.
        Quant à Aldrin, une personnalité chaleureuse et plus flamboyante, il est sans cesse demeuré sous les «feux de la rampe», accordant volontiers des entrevues, participant à maintes réunions publiques et écrivant plusieurs ouvrages. C’est par excellence un «militant de l’espace» qui, aujourd’hui encore, s’active à promouvoir l’exploration spatiale. Mais déjà, avant même de devenir astronaute, c’était un spécialiste de l’espace, réalisant une thèse de doctorat sur le rendez-vous entre vaisseaux spatiaux. Aldrin était à son époque l’un des rares astronautes à détenir un doctorat; pour cette raison, il était surnommé «Dr Rendezvous»! Et aujourd’hui encore, il continue de promouvoir des concepts originaux pour explorer l’espace...
        Comme le relate Chaikin concernant les autres lunautes qu’il a rencontrés, l’Espace ravive tout bonnement les traits de personnalité de ceux qui ont eu la chance de connaître la grande aventure. Autrement dit, nous possédons de nombreux exemples qui nous indiquent que, contrairement à ce qu’on pense souvent, non, l’Espace ne change pas ceux et celles qui y séjournent. Au mieux, un tel voyage fait «ressortir» leur véritable personnalité.

(3) Chaikin, Andrew, A Man on the Moon, Penguin Books, 1994.
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© Claude Lafleur, 2003, 2006
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