Chapitre 6 des Débuts de la romance

Foudre

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     Si on m’avait dit qu’un jour, je rencontrerais l’Amour un samedi matin vers 7h15, j’aurais sans hésiter répondu que c’est très peu probable puisqu’à cette heure, généralement, je dors à poings fermés!  Y’aurait davantage de chance vers minuit, heure à laquelle je suis le plus souvent hors de chez moi.  Pourtant.

     Cet été–là, je travaille comme gardien de sécurité dans un immeuble d’habitation.
     Par un beau samedi matin de juillet, j’achève mon quart de travail de nuit lorsqu’une jolie résidente (que je n’avais jamais vue) vient me voir.
Pardon, quelle heure est–il?, me demande–t–elle à demi–souriante.
Eh bien, il est 7h15, mademoiselle, répondis–je poliment.
Euh… du matin… ou du soir?
!!!  Du matin, mademoiselle.  Nous sommes samedi matin.
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     Devant mon air perplexe, elle s’empresse de s’expliquer.  De retour chez elle la veille, après une semaine de travail intense, elle était si fatiguée qu’elle s’est étendue pour quelques minutes.  Mais voilà qu’elle vient de se réveiller.  Elle ne sait donc pas si nous sommes en soirée ou en matinée. 
     Quelle étrange fille, me dis–je.  Jolie mais bizarre… 
     Étrangement, me vient l’idée de lui faire une proposition. 
Dites–moi, mademoiselle…, je termine mon quart de travail à 8 heures…, que diriez–vous si nous allions prendre un café au resto du coin?
     Je ne sais vraiment pas ce qui m’a pris ce matin–là de faire des avances à une résidente de l’immeuble où je travaille. 
     Et plus étonnant encore, elle accepte!
     On se donne donc rendez–vous pour 8h15.

     Lorsque j’arrive au resto, le cœur battant, je la découvre encore plus ravissante que tantôt.
     Quelle histoire invraisemblable, me dis–je.  Dans quoi me suis–je embarqué?  (Sans doute pense–t–elle la même chose.)
     On se commande des toasts et du café — moi qui n’en bois jamais — et on amorce la conversation.
     D’entrée de jeu, elle s’empresse de me raconter, comme pour me convaincre qu’elle n’est pas une bizarroïde, qu’elle travaille si fort ces temps–ci, qu’elle est épuisée.  (Elle est secrétaire dans un grand bureau.)  C’est pourquoi le petit repos qu’elle voulait s’accorder hier soir (avant de sortir) s’est transformé en douze heures de sommeil profond.
     Je la surprends en lui déclarant que je la comprends parfaitement puisque la même chose m’est arrivée il y a quelques années en me rendant en bus à Winnipeg (chapitre 4).  Il m’a en effet fallu une trentaine d’heures sans grand repos pour parvenir jusqu’au campus de l’Université du Manitoba.  Une fois à ma chambre, vers 11 heures un dimanche matin, je me suis étendu afin de faire une sieste avant d’aller luncher.  Quelle ne fut pas ma surprise de me réveiller… vers 7 heures… du soir ou du matin?   (L’anecdote est authentique.)
     Comme elle, j’ai donc cherché quelqu’un pour m’indiquer l’heure.  Voilà qui étonne Anne… et qui nous fait rigoler.  Nous partageons donc déjà quelque chose de bizarre — ce qui la rassure.

     La conversation s’enchaîne de la sorte et tout va de soi, sans problème ni gêne.  À preuve, nous passons l’avant–midi au resto sans nous en rendre compte.  Nous sommes d’ailleurs surpris lorsqu’on voit affluer les clients à l’heure du lunch.  Déjà midi! 
     C’est alors qu’Anne m’invite à l’accompagner chez elle, en me spécifiant que jamais elle ne fait ce genre de choses.  (J’aurais pu lui dire qu’en tant que surveillant, jamais je ne fréquente les résidentes, cela nous étant interdit.) 
     On se retrouve donc dans son petit appart… où tout est à l’envers.  De toute évidence, elle ne s’attendait pas à m’y inviter. 
     On s’assied sur le divan et poursuivons la conversation tout l’après–midi… sans même se toucher du bout des doigts.  Les échanges coulent à flot et je ne crois pas ce qui m’arrive.  (J'imagine que c’est la même chose pour elle.) 
     Vers 16 heures, je sens la fatigue m’envahir; cela fait 24 heures que je n’ai pas fermé l’œil. 
     Heureusement que je suis en vacances pour dix jours.  Demain matin, comme je lui avais déjà annoncé, je pars en camping pour cinq jours avec l’un de mes frères.
     Quel moment extraordinaire venons–nous de vivre, n’est–ce pas?  Nous sommes tous deux renversés.  On ne sait toutefois pas s’il y aura une suite, ni comment conclure cette rencontre inusitée.  Que dit–on pour terminer?  Oserais–je lui demander son numéro de téléphone?  Ou dois–je compter sur la chance de la retrouver à mon retour de vacances?
     Peut–être avons–nous été emportés dans une sorte de rêve et qu’après un peu de repos, la magie se sera dissipée?
     Je pense que ni Anne ni moi ne mesurions alors ce qui venait de se passer à ce moment–là.  Pour ma part, j’étais dans un «état second», envahi par ce malstrom qui déferlait sur nous avec un sérieux manque de sommeil. 
     Toujours est–il qu’elle vient gentiment me reconduire à la porte de son appart.  Vint le moment de se quitter: que dire, quel geste poser dans ces circonstances?  Simplement lui serrer la main ou… la prendre dans mes bras?  (On ne s’était pas encore vraiment touché.)
     C’est alors que, sur le pas de la porte, Anne dépose un simple baiser sur mes lèvres, un bisou de quelques secondes à peine. 
     Jamais je n’ai ressenti un tel choc!  La foudre venait de me frapper au cœur — littéralement! 
     Je ne pense pas me tromper en disant qu’à ce moment–là, j’ai vacillé et titubé sur mes jambes.  J’étais foudroyé.

     C’est en flottant à quelques centimètres au–dessus du sol — c’est vraiment la sensation que j’ai éprouvée — que je suis rentré chez moi.  Je n’avais qu’un but: me coucher.  Oh, là, là, que m’arrivait–il?  J’avais absolument besoin d’une bonne dose de sommeil.
     Que vivait Anne à ce moment–là?  Je l’ignore. A–t–elle appelé sa meilleure amie pour lui conter ce qu’il venait de se passer?  Ou s’est–elle aussi effondrée dans son lit?  (Jamais, malheureusement, nous n’avons reparlé de ces premiers instants.)

     Dimanche matin, je me lève étonnamment en forme.  Je déborde d’énergie.  Tiens donc.  Je n’ai cependant qu’une pensée: ai–je rêvé hier?  Suis–je en train de me faire des idées?  Suis–je victime d’une illusion?

     Mon frère venant me chercher vers 10 heures, je prépare mes bagages.  À vrai dire, je n’ai pas le cœur joyeux.  Je suis plutôt inquiet, rongé par le doute; suis–je en train d’imaginer des choses ou ai–je rencontré… l’Amour?!

     Soudain, le téléphone sonne.  Curieux, je n’attends aucun appel… à moins qu’il s’agisse de mon frère qui…? 
     Eh non.  C’est ELLE!  Anne m’appelle simplement pour me souhaiter bon voyage.  (Je ne me rappelle pas lui avoir laissé mon numéro.) 
     À la suite de ce coup de fil, je m’effondre sur le divan; je n’avais donc pas rêvé!  Inutile de dire que je n’ai plus le cœur au camping… surtout pas durant CINQ jours!  Mais j’ai un engagement à respecter.

     Mon frère arrive tel que prévu et nous partons pour l’est du Québec.  Au moins, il fait beau; c’est une adorable matinée de juillet.  (En réalité, je crois que, ce jour–là, il aurait pu tomber des cordes que moi, j’aurais quand même vu le soleil briller!) 
     Nous faisons route à destination du mont Mégantic.

     Chemin faisant, mon frère me trouve changé, je ne suis pas bavard comme d’habitude.  Il a tôt fait de réaliser que j’ai la tête ailleurs. 
     Il me demande ce qui se passe, si je vais bien, si quelque chose ne va pas…  Et je lui raconte mon étonnante rencontre de la veille. 
     Aussitôt, je suis transporté.  Pauvre de lui, j’ai dû lui casser les oreilles pour le reste de la journée!

     Nous arrivons en fin d’après–midi dans la région de Mégantic.  Première déception: la météo est plutôt maussade et on annonce des jours de pluie à venir.  Puis, seconde déception: tous les terrains de camping sont occupés.  (Il faut dire que nous sommes au pic des vacances d’été.)
     Que faire?
     Nous décidons de chercher un boisé quelconque afin d’y planter notre tente.  Par chance, on déniche un endroit approprié.  On s’y installe pour la nuit. 
     Je pense avoir bien dormi cette nuit–là, malgré l’inconfort du camping.  (Curieux tout de même que, malgré toutes les précautions prises, lorsqu’on s’étend dans son sac de couchage, on découvre immanquablement qu’une racine ou une branche se trouve judicieusement placée dans notre dos!) 
     Toujours est–il que la nuit se passe bien même si, au petit matin, il faut chaud sous la tente.
     Nous entamons notre première journée de vacances.  Le temps est couvert et on est un peu déboussolé.  Que faire aujourd’hui? 
     De surcroît, j’ai la tête et le cœur ailleurs… 
     Mon frère le perçoit très bien et propose: 
Et si on retournait à Montréal?
Tu n’y penses pas?, dis–je.  On a prévu passer les vacances ensemble? 
Bah, je vois bien que tu n’es pas là, et pour ma part, j’aurai de quoi m’occuper en ville.  Et comme il ne fera pas beau ces prochains jours… le mieux est de s’en retourner, non? 
     Me voilà très embêté.  Je me sens mal de gâcher ce voyage mais, d’un autre côté… 
     Mon frère — mon grand frère en gentleman qu’il est — tranche: on remballe! 
     Pourquoi pas, me dis–je soulagé.

     Nous rentrons donc avec, de mon côté, le cœur léger et un peu mal à l’aise. 
     En abordant Montréal, mon frère a une autre idée: 
— Et si je te déposais chez elle?, dit–il.
— Avec tout mon bagage? 
— Non, j’irai le déposer chez toi 
     Mon cœur ne fait qu’un bond.  Quelle idée géniale… que je ne peux refuser (et pour laquelle je lui serai éternellement redevable).

     En début d’après–midi, il me dépose donc à l’entrée de l’immeuble où je travaille.  Mon collègue, qui me sait en congé, est surpris de me voir. 
     Vitement, je grimpe à l’étage où réside Anne, sans même me demander comment je serai accueilli.  Ah, l’insouciance… par chance que ça existe parfois! 
     Sans attendre, je frappe à sa porte. 
     Elle ouvre… 
     J’ai alors droit au plus magnifique sourire de surprise que j’ai vu de ma vie. 
— Tu es revenu, murmure–t–elle incrédule. 
     Puis, elle fond en larmes dans mes bras. 
     Impossible de décrire ce que je ressens alors, tant je suis à la fois chaviré et rassuré.  Je n’avais donc pas rêvé, vraiment pas!

     Anne ne croit tout simplement pas mon récit (à l’effet que je ne suis revenu que parce que les conditions à Mégantic étaient défavorables).
     Et c’est de la sorte que s’est amorcée ma première véritable histoire amoureuse.

     Cette histoire n’a hélas duré qu’un an et demi… mais je ne vous la raconterai pas puisque ce n’est pas le sujet de cet ouvrage.  Désolé.

     Par contre j’ajouterai deux notes.
     Premièrement, mon employeur nous interdisait de fréquenter des résidents afin de s’épargner bien des tracas.  (Et pour cause.)  Lorsqu’il s’est aperçu de ma liaison avec Anne, il me convoque à son bureau (décidément…).
Dis–moi, Claude, c’est sérieux cette histoire avec la locataire du 307?, me demande–t–il. 
Oh oui!, lui dis–je (sûrement les yeux pétillants).
Eh bien, dans ce cas, c’est correct, conclut–il.

     Deuxièmement, je considère que ma relation avec Anne a été, à bien des égards, le prolongement de celle avec Suzanne (chapitre 5) , étant donné plusieurs similitudes.  Physiquement, toutes deux avaient le même genre, elles exerçaient le même métier et, dès le départ, nos conversations se sont déroulées à fond de train.  Bien sûr, avec Anne, je suis allé beaucoup plus loin.  C’est un peu comme si "on" me l’avait envoyée pour conclure l’expérience entamée avec Suzanne.   Je pouvais donc passer à l’étape suivante de ma vie.

      Cette relation n’a hélas pas duré longtemps, en partie me semble–t–il, parce que ni Anne ni moi n’avions la maturité nécessaire.  En vivant auprès d’elle, j’ai découvert à quel point la vie à deux n’est pas chose facile… et que j’avais encore beaucoup à apprendre pour parvenir à vivre une relation amoureuse stable et épanouissante. 
     Je venais de faire mes premiers pas, il me restait encore un long parcours à réaliser!

Voir: Table des matières et présentation du livre.
 

(C) Claude Lafleur, 2013