Mon premier amour virtuel

        Au début, quand je me suis branchée, ce fut davantage pour le plaisir de la correspondance que pour naviguer sur la Toile. Et comme je ne connaissais personne de branchée et que je voulais correspondre à tout prix, je suis allée fouiner sur une banque de correspondance.

        J'ai trouvé l'annonce d'un homme qui voulait correspondre avec une femme pour se «rapprocher du féminin» sans pour autant désirer une relation amoureuse ou une aventure, étant lui-même marié. Son annonce m'a inspirée et je lui ai écrit aussitôt.

        À ma grande surprise, il m'a répondu sur-le-champ et m'apprend du même coup qu'il vit en Europe. Cette distance entre nous ajoute de la fantaisie puisque ce contact n'aurait jamais pu avoir lieu sans la Toile. Il est donc emballé par ma lettre et n'attend pas ma réplique pour m'écrire à nouveau. Naïvement, j'avais crû qu'on s'écrirait une fois par semaine ou peut-être par deux semaines. Mais là, je vois ma boîte à courrier se remplir à raison de plusieurs lettres par jour. Quelle histoire exhaltante! Un inconnu qui m'écrit sans cesse! Et du même souffle, je maintiens la cadence.

        Il faut dire que nous avons eu tout un contact, comme si on faisait partie du même monde et qu'entre nous, tout pouvait se dire. Bref, ça a cliqué et pas juste un peu! On en est venu à s'écrire environ 20 lettres par jour et c'était la panique si l'un de nous osait s'absenter du courriel. Quelle aventure, je ne m'étais jamais sentie aussi exhaltée!

        Et comme on peut s'y attendre, alors que nous n'étions absolument pas enlignés pour une aventure, la passion s'est mise de la partie et nos sentiments ont dû être gérés, du fait surtout que cet homme était marié. Chose étrange, je ne m'étais jamais rendue compte, ni préoccupée que cet homme n'était pas libre, comme si je ne le sentais pas, comme si c'était peu important.

        Sauf que malgré notre bonne volonté, on a complètement dérapé jusqu'à vouloir tout lâcher et se sauver ensemble!  Imaginez: il était prêt à laisser derrière lui femme, enfant, travail, famille et pays. Il ne dormait plus, ne mangeait plus, ne travaillait presque plus..., moi non plus d'ailleurs. Quand on ne s'écrivait pas, on se téléphonait et on parlait des heures durant (et cela nous a d'ailleurs coûté une petite fortune!), on s'envoyait des cassettes, des livres, des recueils, etc. C'était complètement fou à lier. On a tenu ce rythme pendant environ trois mois, planifiant notre première rencontre pour l'Action de Grâce...

        Mais un bon matin, sa femme a fortement réagi, se doutant bien qu'il se passait quelque chose de sérieux dans la vie de son mari. Il n'était plus le même depuis quelques temps. Elle a donc tempêté suffisamment fort pour le ramener un peu sur terre, je crois. Et tranquillement, il a changé d'attitude par rapport à notre rencontre, trouvant continuellement des empêchements. C'est moi qui ai ouvert le sujet et qui l'ai libéré de ce voyage, voyant bien que les embûches qu'il mettait n'étaient pas fondés. Le projet de voyage a été annulé. Comment continuer après tout ça?

        Ce fut un très dur coup pour moi et j'ai été déçue comme jamais je ne l'aurais imaginé, étant certaine que l'on avait à faire un bout de chemin ensemble! Comment croire que tout s'arrêterait là alors que l'on ne s'était même pas rencontré? Et lui qui ne voulait pas couper les ponts pour autant.

        C'est fou comment on se sent via le courriel. On est librement amoureuse, sans qu'aucun obstacle ne se pointe et que rien ne mette de l'ombre sur la perception qu'on a de l'autre. Il nous apparaît tel qu'on le voudrait sans que la réalité ne nous confronte. On ne sait même pas s'il pue ou s'il a des tics qui à la longue pourraient nous tanner. Et pourtant, on l'aime inconditionnellement, convaincue que rien ne pourrait ébranler ce sentiment. C'est comme si le physique n'avait plus d'importance, comme s'il ne pesait pas dans la balance, que rien ne pourrait altérer notre sentiment. On croit réellement à cet amour inébranlable... Moi, j'avais l'impression de connaître cet homme depuis toujours et de le connaître mieux que quiconque. D'ailleurs, il me confiait des choses que jamais il n'avait révélées à personne d'autres, disait-il. Le courriel permet ce genre de confidences. Moi aussi, je me suis révélée à lui comme jamais je ne l'avais fait à aucun autre homme.

        On a donc décidé de continuer ainsi la correspondance mais le coeur n'y était plus aussi présent. Rien n'aura plus été pareil par la suite, je n'osais plus me laisser aller à des sentiments aussi forts et purs; je sentais bien qu'il fallait me protéger, ne voulant pas être celle qui attend désespéremment et qui espère qu'un jour... Tranquillement, on s'est perdu de vue sans toutefois, jamais ne s'être rencontré...

        Voilà l'histoire de mon premier amour virtuel...

Pour poursuivre votre lecture: Quand mes mots font rêver!

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© Claude Lafleur, 1999