Doit-on s’inquiéter de la
militarisation de l’Espace ?
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(Juin 2004) L’administration Bush relance une fois de plus le projet d’un «bouclier» antimissile qui ferait appel, dit-on, à une panoplie d’engins spatiaux.  Ce projet s’inscrivant dans la défense de l’Amérique du Nord, le Canada devrait normalement y participer, ne serait-ce que pour faire sa part pour assurer notre sécurité. 

        Malheureusement, les projets de l’administration Bush sont si vagues que nul ne peut dire en quoi consistera, à terme, le fameux «bouclier», ni non plus quel rôle le Canada pourrait y jouer.

Quarante ans de rêves de militarisation de l’Espace

        Ce n’est pas la première fois qu’un tel bouclier est envisagé; la plupart d’entre nous avons en mémoire les spectaculaires animations diffusées dans les années 1980 montrant des satellites interceptant des missiles ennemis à l’aide de rayons lasers.  Cette étonnante «Initiative de défense stratégique (SDI pour Strategic Defense Initiative) a été surnommée «Guerre des étoiles» par maints observateurs tant elle paraissait insensée.

        De fait, le programme «Star War» a été abandonné après que des milliards $ y aient été engloutis car, contrairement à ce que montraient les animations, les canons lasers n’auront vraisemblablement pas à intercepter quelques ogives nucléaires, mais des dizaines, voire des centaines de leurres larguées en même temps que les ogives afin de brouiller la scène. De plus, certains tests ont montré que les lasers s’avèrent peu efficaces lorsqu’un tir de missile survient par temps nuageux ou lorsque l’atmosphère est poussiéreuse ou polluée...

        Ce n’était d’ailleurs pas la première fois que des militaires pensaient utiliser l’Espace comme théâtre d’opérations. Déjà, au début de l’ère spatiale, certains imaginaient équiper des satellites de bombes nucléaires. Ces engins, pouvant survoler n’importe quel point du globe à une altitude aussi basse que 150 kilomètres, ils auraient représenté une arme redoutable puisque l’ennemi visé aurait eu moins d’un quart d’heure pour réagir à un bombardement orbital.

        Cependant, le concept n’a jamais été mis en pratique, car ce genre de satellites présentent des inconvénients incontournables. Premièrement, à 150 kilomètres d’altitude, ils font le tour de la Terre en 90 minutes selon une orbite parfaitement prévisible. Ils auraient donc été des cibles faciles à abattre par la nation menacée. D’ailleurs, Américains et Soviétiques ont vite conçu des systèmes anti-satellites. Mais, surtout, les lois de la mécanique céleste découvertes par Isaac Newton empêchent de placer à sa guise un satellite quelque part au-dessus du globe; on ne peut donc pas «entreposer» ou «cacher» un satellite bombardier pour le déployer inopinément au moment approprié (comme on le fait aisément sur Terre avec les missiles de toutes sortes).

        Il est par contre possible de stationner un satellite en orbite géostationnaire, à 36 000 kilomètres d’altitude. À cette hauteur, l’engin fait le tour de la Terre en 24 heures et paraît donc immobile. Toutefois, des bombardiers perchés à si haute altitude présentent l’inconvénient de se trouver nettement plus distants de leurs cibles terrestres que tout missile tiré depuis la Terre. Par exemple, un missile partant des environs de Los Angeles n’aura à franchir que 10 000 kilomètres pour atteindre Beijin ou la Corée du Nord, alors qu’un missile décollant de la région de Washington D.C. ne parcourra que 5 000 kilomètres pour atteindre Moscou. Il en découle que l’ennemi visé disposerait de trois à six fois plus de temps pour riposter à des bombes larguées de l’Espace, à 36 000 kilomètres d’altitude.

        Voilà pourquoi, dès les années 1970, les États-Unis et l’Union soviétique se sont entendus pour bannir toutes les armes spatiales – non pas par grandeur d’âme, mais tout bonnement pour des raisons d’impossibilité technique.

Que de lucratifs contrats de haute-technologie

        Ce que paraît à présent évoquer le président Bush semble être une version nettement réduite de la «Guerre des étoiles» des années 1980. Encore là, ce recours à des moyens limités ne se fait pas par grandeur d’âme, mais pour des raisons de limite technique puisque, aujourd’hui encore, l’Espace offre peu d’intérêt comme théâtre d’opérations militaires.

        Par contre, c’est un lieu formidable pour surveiller ou pour assister les opérations de défense terrestre. Ainsi, à l’heure actuelle, des dizaines de satellites espions renseignent leurs propriétaires de ce qui se passe partout sur la planète, alors que d’autres assurent des services de communication ou de positionnement. (Le fameux système GPS que tant de gens emploient couramment est avant tout un système militaire.)

        Il est ainsi possible que, dans le cadre de son programme de bouclier antimissile, les Américains auront éventuellement recourt à de nouveaux systèmes de surveillance ou de services basés dans l’Espace, notamment pour guider les antimissiles lancés depuis l’Amérique du Nord. Toutefois, comme l’ont montré les plus récentes tentatives d’interception de pseudo-missiles ennemis, cette opération demeure extraordinairement difficile à réussir... et ce même après des milliards $ dépensés au cours de décennies de mise au point.  Voilà pourquoi, malgré toutes les prétentions américaines, jamais un tel bouclier n’a été déployé.

        Dans les faits, ce dont parle le président Bush, s’il décide de mettre son projet de «bouclier» en place, ce sont de lucratifs contrats de recherche et développement pour l’industrie de la haute-technologie américaine. 

        Or, que fera le Canada? Financera-t-il lui aussi son industrie de haute-technologie? En vérité, la question que doit se poser Paul Martin est: s’il devait allouer des sommes additionnelles pour assurer la défense du Canada, où serait-il le plus judicieux de les placer? Dans la remise en état de nos forces armées – dont les équipements sont vétustes – ou dans des «recherches» en haute-technologie qui ne serviront probablement à rien?

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© Claude Lafleur, 2005

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