Novembre 1998 : mise en orbite
du premier élément d'ISS (Zarya)

Au début de novembre 1998, nous ne sommes plus qu'à trois semaines du lancement du premier élément de la Station spatiale internationale (ISS) — le grandiose projet américain amorcé il y a quinze ans.  Si tout va bien, le lancement de la fusée Proton porteuse du module Zarya surviendra le 20 novembre à 6h40 TU (1h40 EST) depuis le cosmodrome de Baïkonour,
 
La fusée Proton (à gauche), haute comme un édifice de 18 étages (60 mètres) et pesant 700 tonnes, transporte dans son nez le module de service Zarya (à droite). Elle le placera sur orbite à 385 kilomètres d'altitude. Ce module mesure 15½ mètres de long, 4,1 mètres de diamètre (maximal) et pèse 20 tonnes. Jadis appelé FGB, c'est la salle des machines de la station; Zarya assurant les fonctions de propulsion, d’alimentation électrique et d’orientation du futur complexe orbital. Lorsqu'il sera à poste, un équipage de Navette spatiale s'envolera de Cape Canaveral (le 3 décembre) afin d'y greffer le module central Unity. 

Le lancement de Zarya marque par conséquent le début de la Station spatiale internationale. Ci-dessous, une série de tableaux qui nous donne quasiment l'impression d'être présent en orbite illustre les premières étapes de l'assemblage, en commençant par la mise en orbite du module Zarya jusqu'à l'ajout du laboratoire scientifique américain US Lab (prévu pour février 2000).
La "salle des machines" Zarya (20 novembre 1998) + le module central Unity 
(5 décembre 1998)
+  le module d'habitation Service Module (juillet 1999)
+ base de la poutrelle Z-1 (octobre 1999) + panneaux solaires (décembre 1999) + arrivée de l'équipage résidant (janvier 2000) + 1er lab scientifique (février 2000)
Note: les dates indiquées proviennent du calendrier d'assemblage d'ISS publié en octobre 1998.

Alors qu'on devrait s'attendre à observer enfin une certaine stabilité dans la planification des opérations d'ISS — à trois semaines seulement du lancement du premier élément —, le programme demeure toujours sujet à des perturbations.
        Celles-ci originent surtout de Russie où la profonde crise interne rend presque impossible d'entrevoir ce que réserve l'avenir alors que jaillissent régulièrement d'étonnantes idées. Ainsi, le 6 novembre, l'Agence spatiale russe propose à la NASA d'altérer l'orbite d'ISS afin de la faire concorder avec celle de Mir!
        Les deux stations seront de toute façon sur des trajectoires semblables — des orbites circulaires à quelques 390 kilomètres d'altitude et inclinées à 51,6° par rapport à l'équateur — mais positionnées de telle sorte que l'une sera de l'autre côté de la Terre par rapport à l'autre.  Les Russes proposent donc qu'ISS et Mir se suivent de plus près, ce qui permettrait à des équipages de voyager de l'une à l'autre et de transborder des équipements de la vieille à la nouvelle station.  Cette proposition de dernière minute surprend bon nombre d'observateurs qui se demandent pourquoi les Russes ont attendu si longtemps avant de la faire... et à quoi ils songent réellement. Certains se demandent si les Russes ne cherchent pas de cette manière à prolonger la vie de Mir ou peut-être même à la greffer à l'arrière d'ISS!

        D'ailleurs, le programme ISS risque fort d'être perburbé par l'existence de  Mir puisque les Russes, qui jouent un rôle essentiel dans l'assemblage de la Station internationale, ne disposent plus que de ressources spatiales fort limitées et que celles-ci sont en bonne partie accaparées par l'exploitation de Mir.  C'est d'ailleurs le manque chronique de ressources qui les empêchent de compléter la construction du module d'habitation Service Module — celle-ci ayant déjà pris plus d'une année de délais... retardant d'autant l'assemblage d'ISS.
        Par conséquent, les Américains ont demandé aux Russes de mettre fin à l'opération de Mir le plus tôt possible afin de se consacrer désormais à ISS. Mais ces derniers hésitent à se départir de leur complexe orbital puisque celui-ci représente le dernier fleuron de leur prestigieux programme spatial.  En mai dernier, ils se sont néanmoins engagés à délaisser Mir vers la mi-1999, soit au moment où la station ISS sera en mesure d'héberger un premier équipage (grâce à l'ajout du Service Module prévu pour avril 1999).
     Toutefois, à la suite de nouveaux retards dans la fabrication du fameux module d'habitation, les responsables russes annoncent, le 4 novembre, leur intention de prolonger la vie de Mir!  "Il serait raisonnable de fermer notre complexe orbital que lorsque des cosmonautes pourront travailler à bord de la future station spatiale internationale" énonce Mikhail Sinelshchikov, responsable des programmes habités de l'Agence spatiale russe.  Or, il est maintenant prévu que le premier équipage d'ISS ne sera lancé qu'au début de 2000...

Le 7 novembre, à Baïkonour, les techniciens commencent le remplissage des réservoirs de carburant du module Zarya. L'opération durera cinq jours et marque une étape décisive dans les préparatifs de lancement. Zarya contiendra cinq tonnes de carburant hautement toxique qui permettront de contrôler l'orbite de la station embryonnaire durant plus d'une année.

Le 11 novembre, les responsables de l'Agence spatiale russe abandonnent l'idée de coordonner l'orbite d'ISS et de Mir. Cette décision serait intervenue après des discussions "franches et directes", rapporte Randy Brinkley, directeur du programme ISS.  "Nous en sommes mutuellement venus à la conclusion qu'un tel changement aurait ajouté des complications et des risques techniques qui n'étaient pas justifiables" indique-t-il.
 
Le 16 novembre au matin, la fusée Proton porteuse du module Zarya est acheminée par convoi ferrée jusqu'au pas de tir.  L'opération est réalisée après que les responsables russes et américains eurent donné leur approbation finale après révisions de l'état du module et de la fusée porteuse. On prévoit qu'au moment du lancement, vendredi matin à 11h40 heure locale, le mercure sera sous le point de congélation alors que le ciel sera couvert — il s'agit là de conditions tout à fait acceptables pour un tir de Proton (mais nullement pour un tir de Navette américaine).
 
Le 20 novembre, à la seconde prévue, Proton s'envole de Baïkonour et place correctement en orbite le premier élément de la Station spatiale internationale. Le lancement a lieu à 11 h 40 min et 27 sec, heure locale (soit 6h40 TU ou 1h40 EST). Le ciel de Baïkonour étant nuageux, la fusée est perdue de vue 45 secondes seulement après le décollage.

        Au bout de 9 minutes et 47 secondes, la fusée insère Zarya sur une orbite de 185 x 354 kilomètres faisant un angle de 51,6 degrés par rapport à l'équateur.  Trois minutes plus tard, les deux panneaux solaires du module se déploient correctement de chaque côté.  Ces ailes de 25 mètres d'envergure convertiront les rayons du Soleil en énergie électrique. La sonde du système d'arrimage, qui servira lors de l'arrivée l'été prochain du Module de service, est également déployée sans problème.
        Trois heures plus tard, les contrôleurs de vol transmettent des commandes télémétriques afin que le module s'oriente de façon à répartir également les écarts de température auxquels il est soumis. Ils s'assurent aussi que les panneaux solaires sont capables de s'orienter vers le Soleil.  Les responsables du vol rapportent que tous les systèmes de bord de Zarya fonctionnent sans faille.
 
Ficher technique
Zarya
ISS 1A/R
(20 nov 98)
1ère opération ISS
1er module de la Station spatiale internationale (Zvazda)
1ère mission russe à ISS
1er élément d’ISS
1er lancement d’une fusée Proton destinée à ISS

ISS en perspective

        Les représentants d'une quinzaine de pays, dont l'administrateur de la NASA, ont assisté depuis le célèbre cosmodrome russe au départ du premier élément d'ISS.  Ce fait est à souligner puisque, lorsque Ronald Reagan a annoncé la mise en œuvre du grandiose projet américain, en janvier 1984, Baïkonour était alors une base secrète fermée à tout étranger. Surtout, personne n'aurait pu imaginer à l'époque que la station deviendrait véritablement internationale, qu'elle associerait les Russes et que son premier morceau serait de fabrication russe et placé en orbite par une Proton.  Ce lancement témoigne donc de ce que le monde a fondamentalement changé en quinze ans.
        De même, il est prévu qu'il faudra cinq ans (minimum) pour assembler la centaine d'éléments d'ISS et que celle-ci sera ensuite exploitée durant une dizaine d'années. Or, qui peut dire ce que sera notre monde en 2013?!

        Par ailleurs, on se questionne sur l'utilité réelle de cette station. Les responsables du projet en parlent comme d'un "institut scientifique orbital" dans lequel sera réalisée une variété de travaux scientifiques qui révolutionneront nos connaissances. Mais des critiques avancent que la facture du complexe scientifique spatial est beaucoup trop élevée et qu'on aurait pu faire davantage de recherches à moindre coût...
        C'est toutefois là oublier qu'on ne va pas dans l'Espace que pour y travailler, mais bien pour poursuivre notre quête "d'aventure humaine". De surcroît, le projet ISS apprendra aux seize nations participantes — et aux autres qui s'y ajouteront — à travailler ensemble et à faire face aux multiples difficultés et contraintes qui ne manqueront de surgir.  Ce sera peut-être là le principal apport du programme ISS à notre monde de plus en plus "petit" et peuplé.
        De fait, nul ne peut réaliser l'impact qu'aura ce projet au cours des quinze prochaines années (s'il est mené tel que prévu). Mais nul doute qu'entre-temps non seulement notre monde aura bien changé, mais également que l'assemblage puis l'opération d'ISS seront marqués par de multiples incidents… et peut-être même par une tragédie...
        Comment donc réagirons-nous alors et qu'en retirerons-nous ?

Le 21 novembre, le module Zarya complète sa première journée de vol orbital.  Les contrôleurs de vol continuent de vérifier l'état des systèmes de bord et ils commencent à accroître l'altitude de l'engin. Ils testent à deux occasions le système de caméras noir et blanc qui servira à l'arrimage du Module de service l'été prochain, puis ils procèdent au test d'allumage (dix secondes) de l'un des deux principaux moteurs-fusée de Zarya qui permettent d'altérer l'orbite. Ensuite, le moteur est réallumé (durant 1 min. 40 sec.) et réalise la première élévation de la trajectoire. Zarya passe ainsi d'une altitude variant de 183 x 362 km à une orbite de 251 x 364 km.
        D'ici deux semaines, la trajectoire sera circularisée à 390 kilomètres d'altitude.  Hors des périodes de vérifications et d'opérations, Zarya tourne sur lui-même afin de conserver son carburant tout en uniformisant la température sur l'ensemble du module.

Le 23 novembre, à deux occasions, les contrôleurs russes d'ISS procèdent à l'élévation de l'orbite du module Zarya.  Celle-ci passe de 251 x 364 km d'altitude à 312 x 399 km.  Le premier allumage du moteur a lieu à 8h26, heures de Moscou (0h26 EST). Le moteur fonctionne durant 31 secondes et accroît la vitesse de Zarya de 7 mètres/seconde. Une heure plus tard, un second allumage de deux minutes augmente la vitesse de 25 mètres/seconde. Zarya complète maintenant un tour du globe toutes les 91 minutes.  L'orbite sera finalement circularisée demain à 400 kilomètres puis elle baissera naturellement jusqu'à 390 kilomètres le 6 décembre alors qu'aura lieu le rendez-vous avec Endeavour. Ce jour-là, l'équipage de la navette américaine procédera à la pose du noeud Unity à l'avant de Zarya.
         Les contrôleurs poursuivent leur programme de vérifications du module. Ils complètent ainsi les tests du système d'orientation de Zarya, ceux du système de surveillance de l'atmosphère intérieure et font l'essai du système de détection et de suppression des incendies.
        Pour la première fois, on rapporte que Zarya souffre de quelques anomalies techniques mineures. Ainsi, le système d'analyse de l'atmosphère indique que le taux d'humidité à bord du module serait plus élevé que prévu. Les contrôleurs pensent toutefois qu'il pourrait s'agir d'une erreur de calibration. Par ailleurs, l'un des six accumulateurs d'énergie électrique du module continue d'indiquer une charge plus élevée que les autres. Deux petites antennes du système d'arrimage qui servira à la jonction du Service Module ne se seraient pas déployées correctement.  On indique toutefois que ces anomalies n'affectent en rien le bon déroulement du vol alors qu'on dispose de tout le temps et des moyens nécessaires pour remédier, s'il y a lieu, à ces menus problèmes.

Le 24 novembre, le module Zarya complète sans problème les manœuvres qui le placent sur l'orbite prévue pour le rendez-vous avec Endeavour.  Pour la cinquième fois, les contrôleurs de vol allument (durant 1 minute et 56 secondes) l'un des deux moteurs principaux de Zarya pour porter l'orbite à 386 x 404 km.  Le module prend maintenant 92 minutes pour réaliser une révolution terrestre.  D'ici deux semaines, la trajectoire se circularisera naturellement à 390 kilomètres d'altitude, où se fera la rencontre avec la navette.  Les contrôleurs continuent de surveiller l'état de Zarya et ils ne rapportent aucun problème majeur (outre les anomalies mentionnées précédemment).

Le 25 novembre, les contrôleurs continuent de surveiller l'état des systèmes de bord de Zarya.  Ils ont ainsi procédé à la vérification des équipements de communications et ceux-ci fonctionnent bien.  Les ingénieurs russes et américains analysent par ailleurs les anomalies repérées précédemment.  Ils estiment que le taux élevé d'humidité à l'intérieur du module est une indication erronée puisqu'ils n'ont détecté aucune fuite de liquides à bord.  Le problème de pile électrique semble provenir du fait que l'accumulateur #1 fonctionne bien mais que l'équipement électronique qui s'y rattache est défaillant. Des tests ont montré que la batterie peut être chargée et déchargée normalement.

Le 27 novembre, Zarya complète sa première semaine de vol dans l'espace avec brio.  Les contrôleurs ont terminé le programme de tests post-lancements en répétant avec succès les manœuvres de positionnement qui seront réalisées lors de l'accostage du module Unity dans une semaine.  Les responsables du programme ISS considèrent que tout est fin prêt à cet effet. Le noeud Unity sera lancé à bord d'Endeavour le 3 décembre (à 3h59 EST) et sera arrimé quatre jours plus tard à Zarya.
       Les responsables de la mission STS 88 envisagent d'ailleurs profiter de cette visite d'astronautes pour régler le problème du système d'accumulateurs de l'énergie électrique produit par les panneaux solaires. Apparemment, la pile #1 ne décharge pas l'énergie qu'elle accumule. L'un des astronautes du vol STS 88, Sergie Krilalev, pourrait remplacer le harnais de cette pile comme il l'a déjà fait lors de l'un de ses longs séjours à bord de Mir.
         Les contrôleurs de la mission continueront de surveiller l'état du module Zarya jusqu'à l'arrivée de la navette américaine.
.
Retour à l'accueil

© Claude Lafleur,1998,2000

Ce site est hébergé par

l'Agence Science Presse

Les Dossiers Espace Espace 101 La Librairie virtuelle Spacecrafts encyclopedia