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samedi, 16 octobre 1993, p. E8
Les vaccins, de la prévention
au traitement du cancer
par Claude Lafleur
Au moment où vous lisez
ces lignes, vous êtes à n'en pas douter la proie d'une multitude
de bactéries et de virus. Chacun d'entre nous sommes en effet constamment
assaillis par ces micro-organismes dont la taille n'est que de l'ordre
du 1 millionième de mètre. Pourtant, dès lors que
l'un d'entre eux nous a envahi, il a la capacité de se multiplier
extrêmement rapidement; certains virus peuvent se reproduire par
un facteur de 200 fois en 25 minutes seulement! En conséquence,
ils peuvent causer de très sérieuses infections, allant même
jusqu'à entraîner la mort.
Heureusement, notre système
immunitaire veille à notre défense en produisant des anticorps,
c'est-à-dire des protéines conçues spécifiquement
pour combattre les micro-organismes envahisseurs. Toutefois, lorsque notre
système immunitaire ne parvient pas à usiner les anticorps
appropriés en quantité suffisante et en un court laps de
temps, nous «tombons malade», victime par exemple d'une bonne
grippe... Certains micro-organismes sont extrêmement virulents: le
virus de l'hépatite B peut quant à lui foudroyer un adulte
en quelques heures seulement.
Il est par conséquent
préférable de préparer notre organisme contre d'éventuelles
attaques. Voilà précisément le rôle des vaccins
- une approche médicale découverte il y a un siècle
et qui fait présentement des progrès considérables
grâce au génie génétique.
Trois stratégies de vaccins
«Un vaccin, c'est un outil
de prévention contre des maladies d'origine infectieuse»,
affirme le Dr Robert Dugré, vice-président de IAF VioVac.
Cette entreprise lavalloise est le seul manufacturier canadien de vaccins;
elle fabrique notamment 90% des vaccins contre l'influenza (la grippe)
administrés au Canada. «La vaccination a pour but de prévenir
les infections en injectant à un individu un produit qui se rapproche
beaucoup des micro-organismes infectieux et ce, dans le but de stimuler
son mécanisme de protection», ajoute le spécialiste.
Le Dr Dugré a été la première personne au Canada
à être diplômée en virologie et, durant les années
1980, il a fait de la recherche sur les vaccins à l'Institut Armand-Frappier
(IAF). En 1990, il a participé à la création de IAF
BioVac inc., une division de BioChem Pharma.
Le principe de la vaccination
est simple; on injecte dans l'organisme humain des échantillons
de la bactérie ou du virus à combattre afin d'apprendre au
système immunitaire à les reconnaître puis à
manufacturer les anticorps nécessaires pour les éliminer.
On fait de la sorte appel à l'une des grandes qualités du
système immunitaire: son excellente mémoire. En effet, lorsque
celui-ci a appris à annihiler une bactérie ou un virus, il
s'en souvient durant toute notre vie. Dès lors que l'infection réapparaît,
le système immunitaire réagit promptement et efficacement.
C'est ainsi que lorsque nous avons combattu le virus de la grippe, jamais
plus celui-ci nous infectera à nouveau. Cependant nous attrapons
de temps à autre la grippe, car le virus responsable change régulièrement
d'apparence et, conséquemment, notre système immunitaire
doit réapprendre à le reconnaître.
Trois grandes catégories de vaccins
Le premier type consiste en l'injection
de micro-organismes qui ont préalablement été tués.
Il s'agit de vaccins inertes qui permettent au système immunitaire
de reconnaître simplement ces micro-organismes. «On prend l'agent
infectieux responsable de la maladie et on l'inactive par un procédé
quelconque (chaleur ou produit chimique tel que le formol), explique le
Dr Dugré. On détruit par le fait même sa capacité
à induire la maladie, mais on conserve son pouvoir antigénique
afin que l'organisme détecte sa présence et développe
les anticorps appropriés».
La deuxième méthode
de vaccination consiste à injecter des micro-organismes vivants
mais non virulents. «Au lieu de tuer l'agent infectieux, on enlève
ses propriétés toxiques, rapporte le virologue. Administré
ensuite à un individu, la bactérie ou le virus se multiplie
mais ne produit pas la maladie. Ce vaccin mime l'infection et stimule le
système immunitaire du receveur».
Le Dr Dugré relate toutefois
que l'absorption d'un vaccin - qu'il s'agisse d'un produit activé
ou inactif - peut rendre certaines personnes légèrement malades.
«C'est une réaction normale, dit-il, car il s'agit d'une indication
que le système immunitaire répond bien à l'agression.
Souvent le patient fera un peu de fièvre, mais les réactions
varient d'une personne à l'autre. Il s'agit toutefois d'une agression
bénéfique, puisqu'elle est due à un vaccin et non
à un agent dangereux», ajoute-t-il.
«Pour une autre catégorie
de vaccins, nous ne faisons pas appel aux micro-organismes comme tels,
mais plutôt à la substance chimique qu'ils sécrètent.
En effet, pour certaines maladies, ce n'est pas la bactérie ou le
virus qui cause les dommages mais plutôt la toxine qui en est sécrétée.
C'est le cas notamment de la diphtérie et du tétanos, précise
Robert Dugré. Ce type de vaccins est donc fabriqué à
partir de la substance chimique sécrétée par le micro-organisme,
à laquelle on enlève ensuite toute virulence. Cette substance
garde néanmoins ses caractéristiques antigéniques».
C'est d'ailleurs en vertu de ce principe que VioVac produit les vaccins
contre le tétanos et la diphtérie.
Robert Dugré annonce
que nous entrons à l'heure actuelle dans l'ère des vaccins
de nouvelle génération. «Au lieu de prendre la bactérie
ou le virus pour en faire un vaccin, nous utilisons uniquement l'antigène
- c'est-à-dire la portion du micro-organisme qui éveille
le système immunitaire. Lors de la vaccination, nous ne donnons
donc plus l'agent infectieux, mais une portion de celui-ci».
Il n'existe présentement
sur le marché qu'un seul vaccin de ce type: il s'agit du produit
contre l'hépatite B avec lequel on a réalisé de vastes
campagnes de vaccination auprès des étudiants québécois.
«Il s'agit du premier succès du génie génétique»,
constate le Dr Dugré. D'autres vaccins «génétiques»
sont également en préparation, mais il faudra vraisemblablement
plusieurs années de travaux cliniques avant de pouvoir les utiliser.
Par ailleurs, une application
révolutionnaire des vaccins a été découverte
ces dernières années: certains vaccins peuvent servir non
plus à la prévention mais au traitement d'une maladie déjà
en cours. Pour cette raison, ces vaccins sont dits «thérapeutiques».
Toujours en suivant le principe à la base de la vaccination, on
stimule le système immunitaire d'un patient pour l'aider à
combattre la maladie. L'exemple type est le vaccin BCG fabriqué
par VioVac et qui sert normalement à prévenir la tuberculose.
Mais voilà qu'on utilise également ce vaccin pour traiter
le cancer de la vessie.Il s'agit même d'une innovation très
récente, rapporte le Dr Dugré, puisque ce n'est que l'année
dernière que l'Association américaine des urologues a reconnu
le vaccin BCG comme le médicament le plus efficace contre le cancer
de la vessie. Et le vice-président de VioVac d'ajouter fièrement:
«Notre produit a été le premier vaccin au monde a être
reconnu efficace pour le traitement d'une maladie». Voilà
une belle réalisation à inscrire au palmarès du génie
québécois!».
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samedi, 13 mai 1995, p. B11
Marc Le Blanc :
les trois sortes de délinquance
Par Claude Lafleur
«Selon nos enquêtes,
80% des adolescents de Montréal commettent, au cours d'une année,
au moins une infraction qui pourrait les faire passer pour des délinquants»!
Voilà ce qu'observe Marc Le Blanc, criminologue et chercheur de
renommée internationale.
Depuis 25 ans, ce professeur
de l'Université de Montréal étudie comment on devient
délinquant et comment cette condition se développe avant,
finalement, de s'atténuer. Depuis 1974, son équipe interviewe
périodiquement quelque 470 délinquants en les comparant à
800 personnes «normales». Il a ainsi pu décrire mieux
que quiconque le phénomène de la délinquance.
«Nous avons constaté,
rapporte le Dr Le Blanc, qu'il y a, grosso modo, trois grandes catégories
de délinquance. La première, c'est celle qu'on appelle la
délinquance d'occasion: c'est vous, c'est moi, c'est n'importe qui,
à un moment donné, qui commet une infraction.»
«Le deuxième type,
poursuit-il, c'est la délinquance de transition.» Il s'agit
d'une crise d'adolescence assez difficile que vit un jeune et qui s'accompagne
de consommation de drogue et de délits relativement graves et assez
nombreux. Toutefois, cette délinquance s'arrête au début
de la vingtaine.
Le troisième type, c'est
la délinquance persistante - celle à laquelle on pense généralement.
Déjà, jeune enfant, l'individu montre un tempérament
difficile et, à l'école, c'est un élève agressif.
Il commence ses premiers délits par de petits vols, vers l'âge
de 10 ans, et il commet ensuite des infractions de plus en plus sérieuses.
Cette délinquance se continue essentiellement jusque dans la trentaine,
alors que l'individu finit par s'assagir, soit parce qu'il a trouvé
une place dans la société (vie de famille, travail) ou parce
qu'il est fatigué de la prison...
À partir de ces études,
l'équipe du Dr Le Blanc a procédé à l'évaluation
d'approches taillées sur mesure pour les différentes délinquances.
Ce spécialiste insiste d'ailleurs beaucoup sur l'importance d'identifier
correctement la nature de la délinquance le plus tôt possible
et avant d'intervenir. «C'est comme avec le cancer, dit-il, il y
a certains traitements qui sont plus appropriés que d'autres.»
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samedi, 13 mai 1995, p. B10
Comprendre la dégénérescence du
cerveau
Par Claude Lafleur
À partir de l'âge
de 20 ans, chaque jour, on perd des neurones. Chez un individu normal,
quelques milliers de cellules nerveuses dégénèrent
ainsi quotidiennement. Pourquoi? Nous l'ignorons. Mais c'est ce que tente
de découvrir l'équipe du Dr André Parent, l'un des
grands neurobiologistes canadiens.
Professeur au département
d'anatomie de l'Université Laval, André Parent se consacre
à l'étude des ganglions à la base du cerveau. Ceux-ci
n'ont cependant rien à voir avec les ganglions que «tâte»
notre médecin; il s'agit plutôt d'énormes agglomérats
de cellules nerveuses qui occupent toute la partie se trouvant sous le
cortex cérébral. Le Dr Parent est persuadé que ces
ganglions sont au coeur des maladies neurodégénératives
comme celles de Parkinson, d'Alzheimer et d'Huntington.
«Toutes ces maladies sont
caractérisées par des pertes de cellules nerveuses dans une
région très spécifique du cerveau, dit-il. Alors,
nous essayons de comprendre pourquoi certains groupes de cellules dégénèrent
plutôt que d'autres qui se trouvent pourtant juste à côté.»
Le Dr Parent est bien au fait
des thérapies controversées de remplacement que l'on a entreprises
depuis une dizaine d'années. Ces thérapies consistent à
implanter dans le cerveau malade des cellules prélevées sur
des embryons humains (provenant de foetus avortés). Lors des premières
expériences réalisées aux États-Unis, on a
obtenu une amélioration notable - parfois même spectaculaire
- chez des patients souffrant de maladies neurodégénératives.
Mais ces changements ont été de courte durée.
Le Dr Parent note que, dans
les années quatre-vingt, les cliniciens sont allés trop vite,
en sautant par-dessus l'étape de l'expérimentation animale
pour procéder directement à des opérations sur l'humain.
«Nous assistons actuellement à une sorte de moratoire, constate-t-il,
les spécialistes ayant décidé d'arrêter pour
voir ce qui se passe.»
Quant à expliquer les
résultats surprenants obtenus au départ, André Parent
relate un fait étonnant à propos du cerveau. «On s'est
aperçu qu'opérer le cerveau pour implanter quelque chose
- le simple fait d'intervenir chirurgicalement - entraîne une amélioration
étonnante.» Étonnante, mais malheureusement passagère.
Pour sa part, l'équipe
du Dr Parent travaille avec différents mammifères, ce qui
permet le développement de modèles animaux de certaines maladies
neurodégénératives. Résultats: des percées
notables dans la compréhension des mécanismes biochimiques
responsables de ces graves affections. La renommée d'André
Parent a été reconnue lorsque celui-ci s'est vu confier la
révision et la mise à jour de la dernière édition
du traité Human Neuroanatomy, la véritable bible en la matière.
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samedi, 13 mai 1995, p. B10
Albert Bregman: un psychologue
à l'écoute des sons
Par Claude Lafleur
Comment nos oreilles parviennent-elles
à distinguer aussi bien le monde autour de nous?, s'est un jour
demandé le Dr Albert Bregman, professeur de psychologie à
l'Université McGill. Cette question passionne depuis plus de trente
ans ce chercheur original. Et c'est ainsi qu'il a acquis une renommée
mondiale en psycho-acoustique, la science de la perception des sons.
Le Dr Bregman a développé
une théorie qui rend très bien compte de ce qui se passe.
Il a observé que l'oreille décompose tous les sons qu'elle
reçoit en fréquences, alors que le cerveau rassemble les
fréquences qui originent de la même source. Ces informations
sont transmises au cerveau qui identifie alors les différentes sources
de bruit en rassemblant les «paquets» de fréquences
provenant d'une même source.
Comme le souligne Albert Bregman,
cette théorie n'intéresse pas que ses collègues psychologues.
C'est le cas particulièrement des informaticiens qui tentent de
résoudre le problème de la reconnaissance de la parole par
les ordinateurs.
Cette théorie passionne
les maîtres de musique puisque, en leur expliquant comment se fait
la perception auditive, elle leur permet de chercher des effets sonores
particuliers. «Jusqu'à présent, indique le Dr Bregman,
les compositeurs appliquaient des principes qui ont été développés
par empirisme, mais voilà que ma théorie explique le pourquoi
des règles de composition et d'orchestration.»
Ses travaux ont également
contribué à une meilleure compréhension de la perception
visuelle, car celle-ci présente de nombreuses similitudes avec la
perception auditive. En somme, il y a quantité de domaines scientifiques
et technologiques qui bénéficient de ces recherches originales.
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samedi, 4 mai 1996, p. E4
Éric Dupont: des médicaments révolutionnaires
Par Claude Lafleur
À trente ans, Éric
Dupont est à la fois un brillant chercheur scientifique et un homme
d'affaires avisé. Titulaire d'un doctorat en physiologie-endocrinologie
de l'Université Laval, il a par la suite complété
son postdoctorat en neuro-endocrinologie, tout en obtenant un certificat
en administration des affaires! «J'aime autant la science que les
affaires, dit-il. Voilà pourquoi, en 1991, alors que je terminais
mes études, j'ai lancé mon entreprise, les Laboratoires Æterna.»
Cette firme utilise des produits de la mer pour fabriquer notamment une
véritable crème antirides, distribuée par la multinationale
du cosmétique Estée Lauder.
Durant deux ans, Éric
Dupont a cherché à découvrir un composé inhibiteur
d'angiogénèse. «L'angiogénèse est le
phénomène responsable de la formation de nouveaux vaisseaux
sanguins, explique-t-il. Tous les tissus de l'organisme doivent, s'ils
veulent grandir et maturer, être alimentés par le sang. Mais
il y a toutefois quelques exceptions à cela, dont le cartilage et
la cornée; ce sont des tissus avascularisés.»
«D'autre part, poursuit-il,
nous savons que dans 90 % des cas de cancer, c'est le phénomène
d'angiogénèse qui rend le cancer létal. Autrement
dit, si la tumeur cancéreuse n'était pas vascularisée,
le patient mourrait avec son cancer, et non pas du cancer! Prenez les cinq
plus grands tueurs - les cancers du poumon, du sein, de la prostate, du
côlon-rectum et du pancréas. Tous ont un dénominateur
commun: les vaisseaux sanguins qui nourissent la tumeur.» On retrouve
en outre sensiblement la même problématique pour l'arthrite
et dans plusieurs maladies de peau, dont le psoriasis.
Par le passé, des chercheurs
ont démontré que des tissus comme le cartilage disposent
de substances qui empêchent la formation de vaisseaux sanguins. Ainsi,
en employant les plus récentes techniques de biologie cellulaire
et de fractionnement cellulaire, l'équipe des Laboratoires Æterna
est parvenue à isoler les molécules naturelles empêchant
l'angiogénèse.
«Nous avons mis au point
un procédé de fractionnement et d'isolation de ces substances,
que nous avons breveté en 1994», précise Éric
Dupont. Æterna dispose ainsi de tous les brevets protégeant
ses découvertes et s'associe maintenant à diverses firmes
internationales afin de procéder aux essais cliniques et, éventuellement,
à la mise en marché de médicaments révolutionnaires.
«Imaginez, le traitement
du cancer, du psoriasis et de l'arthrite représentent à eux
seuls un marché de 20 milliards de dollars annuellement!, lance-t-il.
Et notre traitement pourra aussi bien s'appliquer à l'acné,
à la rosacée et même à certaines maladies ophtalmologiques.»
Selon M. Dupont, les premiers médicaments pourraient être
mis sur le marché dès 1998.
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lundi, 9 décembre 1996, p. C4
Stephen Hanessian a fait de Montréal
un important centre pharmaceutique
Par Claude Lafleur
Chimiste d'origine américaine,
Stephen Hanessian s'est parfaitement intégré à la
vie québécoise et a fait de Montréal un centre pharmaceutique
d'importance. Ce scientifique émérite, qui enseigne la chimie
organique à l'Université de Montréal, est en fait
un pionnier de l'application de cette discipline à des fins pharmaceutiques
et médicinales. Sa grande expertise a d'ailleurs contribué
de façon significative au développement de l'industrie pharmaceutique
québécoise.
La chimie organique se concentre
sur les éléments qui composent les organismes vivants (le
carbone, l'oxygène, l'azote, l'hydrogène et le souffre) par
opposition à la chimie inorganique qui s'intéresse aux minéraux
et aux métaux. «C'est véritablement la chimie du vivant»,
indique le professeur Hanessian.
À 61 ans, celui-ci est
un chercheur chevronné puisqu'il a produit plus de 300 communications
scientifiques, a obtenu 25 brevets et a remporté un nombre incalculable
de prix et de distinctions. Ainsi, il est le récipiendaire 1996
de la Médaille d'or du gouvernement canadien comme scientifique
par excellence de tout le pays, alors que l'American Chemical Society -
la plus prestigieuse société chimique au monde - lui a octroyé
son Arthur C. Cope Scholar Award.
«C'est la première
fois qu'un Québécois reçoit cette distinction»,
laisse échapper avec modestie ce Néo-Canadien au français
impeccable, venu s'établir ici en 1968. «J'ai également
été nommé le scientifique de l'année par La
Presse, et ça m'a fait chaud au coeur de voir que la science est
considérée au même titre que les arts et les sports...»
Le professeur Hanessian a notamment
mis au point des méthodes avant-gardistes dont se servent les firmes
pharmaceutiques du monde entier pour mettre au point de nouveaux médicaments.
«Je suis un peu un architecte moléculaire, dit-il, car comme
un architecte qui conçoit des maisons, moi, je dessine des molécules
chimiques.»
«Je travaille plus spécifiquement
en chimie thérapeutique, poursuit Stephen Hanessian. La question
que l'on me pose sans cesse est: avez-vous trouvé quelque chose
qui touche directement le public, comme un agent anticancérigène
ou antiviral? Voilà une question à laquelle il est difficile
de répondre puisqu'ici, au département de chimie de l'université,
nous faisons de la recherche fondamentale qui bénéficie à
la communauté scientifique en général et aux sociétés
pharmaceutiques en particulier.»
Les recherches réalisées
par l'équipe du Dr Hanessian ont notamment permis de développer
de nouveaux antibiotiques, des substances antivirales et antileucémiques.
«Je suis de ceux qui travaillent
à combattre constamment les bactéries et les virus, dit-il.
Par exemple, prenons le cas des antibiotiques de type pénicilline.
Une personne qui souffre d'une infection prend un comprimé, et sa
santé s'améliore durant une journée ou deux, avant
de subir une certaine rechute. Que se passe-t-il alors? C'est que l'agent
responsable de l'infection s'est muté; il s'est transformé
de telle sorte que la molécule de l'antibiotique n'est plus efficace
contre lui. Dans les faits, la bactérie fabrique elle-même
des molécules qui lui permettent de se défendre ou d'attaquer
nos molécules de pénicilline.»
«Nous rencontrons de plus
en plus fréquemment ce phénomène de résistance,
poursuit le spécialiste, ce qui nous oblige à mettre au point
de nouvelles molécules. Puisque nous connaissons la structure et
la composition chimique des molécules de pénicilline, nous
savons que leur point faible se trouve à tel ou tel endroit. Nous
cherchons donc à faire des changements chimiques, à renforcer
la molécule ou à déjouer la bactérie.»
L'une des innovations les plus
remarquables du professeur Hanessian est «l'approche Chiron»,
une stratégie qui permet de simplifier l'analyse des molécules
complexes. Cette approche permet à un chercheur de décomposer
une molécule en ses éléments constitutifs et de comprendre
comment la modifier et l'améliorer. Cette approche a en outre conduit
l'équipe du Dr Hanessian à concevoir un logiciel qui permet
de visualiser une molécule chimique complexe à l'écran
d'un ordinateur.
«Un peu comme l'architecte
le fait, grâce à notre logiciel Chiron, on dessine à
l'écran la molécule, précise le Dr Hanessian. Ensuite,
le logiciel nous permet d'améliorer notre idée, car il connaît
les règles de l'art et les applique extrêmement rapidement.
Pour poursuivre l'analogie de l'architecte, c'est comme si on donnait un
plan de maison au logiciel et que celui-ci améliorait la disposition
des pièces. Le logiciel nous indique la façon la plus efficace
de parvenir à la molécule désirée.»
Le Dr Hanessian indique de plus
que Chiron est utilisé par une bonne centaine de chercheurs à
travers le monde. «Notre logiciel se veut une contribution à
l'avancement de la connaissance, c'est-à-dire qu'on ne le vend pas,
mais on le donne. C'est un outil de recherche que je n'ai pas conçu
pour des raisons pécuniaires.»
Répandre les bienfaits de la science
Toutefois, ce qui fait véritablement
la fierté du professeur Hanessian, ce sont les chercheurs qu'il
a formés au cours de ses trente années à l'Université
de Montréal.
«J'aime travailler auprès
des jeunes qui sont, disons, un peu "verts" lorsqu'ils arrivent dans mon
laboratoire, dit-il. J'ai plaisir à les voir s'épanouir puis
à se placer dans des instituts, universités ou firmes pharmaceutiques
pour répandre ainsi un peu de ce qu'ils ont appris ici. Si je puis
me vanter de quelque chose, c'est des 250 chercheurs qui sont sortis de
mon laboratoire et qui, en très grande majorité, oeuvrent
à présent de façon plus directe à l'amélioration
de la qualité de notre vie... Voilà ce dont je suis le plus
fier!»
On doit par conséquent au professeur Hanessian
d'avoir établi la réputation de Montréal comme centre
de formation de certains des meilleurs spécialistes en chimie organique
du monde. Parmi ceux-ci, plusieurs occupent aujourd'hui des postes de premier
plan dans l'industrie pharmaceutique. Stephen Hanessian supervise d'ailleurs
l'un des plus importants groupes de recherche universitaire en chimie du
monde.
«Comme un architecte qui
conçoit des maisons, moi, je dessine des molécules chimiques»
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