Les difficultés des garçons à l'école : c'est quoi le problème ?

, samedi 4 octobre 2003, p. G7

Les difficultés des garçons à l'école : 
c'est quoi le problème ?

Lafleur, Claude

    L'appartenance à un groupe social ou l'inscription dans un milieu dit défavorisé explique plus l'échec ou la réussite scolaire que l'origine génétique de l'élève. Pourquoi alors séparer filles ou garçons en groupes distincts?
    Une polémique fait rage: doit-on séparer filles et garçons à l'école afin d'aider ces derniers à réussir aussi bien que les premières? Cette question provoque une véritable levée de boucliers, certains dénonçant «ce retour aux années d'avant la Révolution tran-quille» alors que d'autres crient à la «mainmise féministe sur l'école»! Entre les deux, toutefois, on oublie le fait que la grande majorité des garçons réussissent à l'école... bien qu'ils soient un peu moins nombreux que les filles.
    On observe que le taux de décrochage scolaire (à 17 ans) se situait en 2001 à 8,8 % chez les filles et à 13,9 % chez les garçons, soit un écart de 5,1 %. On constate aussi que les écarts significatifs entre garçons et filles se situent essentiellement en lecture et en écriture. De surcroît, les données par école ou par commission scolaire ne montrent pas d'écarts sensibles entre les résultats moyens des garçons et ceux des filles.
    De telles données, qu'on peut interpréter de différentes façons, posent en réalité la nécessité de cibler correctement le problème avant de recourir à des solutions. Or, c'est précisément ce que tentent de faire Jean-Claude Saint-Amant et Pierrette Bouchard, deux chercheurs qui réalisent depuis plus de dix ans diverses études et analyses sur les facteurs de réussite scolaire.
     Ces chercheurs oeuvrent dans un centre interuniversitaire dédié à cette question: le CRIRES, ou Centre de recherche et d'intervention sur la réussite scolaire. Fondé en 1992 par l'Université Laval et par la Centrale des syndicats du Québec, le CRIRES re-groupe 39 chercheurs qui se consacrent à l'étude de la réussite et de la persévérance sco-laire ainsi qu'au soutien des milieux scolaires dans leurs efforts pour favoriser la réussite de tous les élèves.
    Ces chercheurs notent avant tout qu'une majorité d'élèves - environ les trois quarts des filles et les deux tiers des garçons - réussissent sans trop de difficultés à l'école. De plus, de tels taux de réussite n'ont pratiquement pas varié depuis 1975. C'est dire que, contrairement à l'impression qu'on peut avoir, nous n'assistons pas à une crise particulière à l'école. Le problème est néanmoins préoccupant, d'où la création du CRIRES il y a une dizaine d'années.

Gare aux stéréotypes scolaires!

    M. Saint-Amant et Mme Bouchard ont par conséquent mené une vaste enquête pour cerner ce qui différencie les élèves qui réussissent de ceux qui éprouvent des diffi-cultés.
     «Nous avons cherché à vérifier une hypothèse, relate M. Saint-Amant, à savoir un lien entre l'adhésion à des stéréotypes sexuels et la réussite scolaire.» À cette fin, les chercheurs ont présenté une série de 82 énoncés à 2000 élèves de secondaire 3 pour voir si ceux-ci étaient d'accord ou non avec de telles affirmations. Chaque élève devait ainsi se situer par rapport à une affirmation telle que: «Un garçon est plus populaire quand il est indiscipliné en classe», ou «Le fait d'apprendre est très stimulant pour moi», ou encore «Les études ne sont pas nécessaires pour gagner ma vie».
    Premier constat relevé par les chercheurs: les garçons adhèrent à 88 % à de tels stéréotypes alors que les filles ne s'y accordent qu'à 44 %. Mais, surtout, les chercheurs ont observé un lien direct entre une telle adhérence et les résultats scolaires. «On a été capable de vérifier statistiquement que, de façon générale, plus un élève adhère à ce genre de stéréotypes, moins ses résultats scolaires sont bons, relate M. Saint-Amant. Et c'est aussi vrai pour les filles que pour les garçons.»
    Les chercheurs ont aussi fait un lien avec le milieu social. «C'est-à-dire qu'on ad-hère plus fortement à ces stéréotypes dans les milieux où les parents sont moins scolari-sés. On voit donc la combinaison des éléments», ajoute Jean-Claude Saint-Amant.
    «C'est dire, poursuit-il, que dans la mesure où les garçons adhèrent à 88 % aux stéréotypes, leurs résultats scolaires sont moins bons alors que chez les filles, où l'adhé-sion est de l'ordre de 44 %, les résultats sont conséquents. Et j'insiste: quand on adhère aux stéréotypes - qu'on soit garçon ou fille -, les résultats sont conséquents!»

Piste de solution: se préoccuper des élèves en difficulté

    Dans le débat actuel, les chercheurs déplorent justement qu'on fasse appel à des stéréotypes pour solutionner le problème. «Les stéréotypes que l'on associe aux garçons - besoin de manipuler et de bouger, besoin de compétition ou de combats, etc. - risquent beaucoup plus de contribuer à augmenter les difficultés scolaires des garçons que d'amé-liorer leur sort!, affirme M. Saint-Amant. Nos recherches ont montré en effet que ceux et celles qui réussissent à l'école sont aussi ceux et celles qui ont su se distancier de ces sté-réotypes sexuels.»
    «Ce que je déplore, enchaîne Pierrette Bouchard, c'est justement qu'on ne fait pas une bonne analyse du problème. Il y a des garçons qui n'ont aucun problème à l'école et il y a des filles qui ont des difficultés. Et le fait de généraliser à tout un sexe nous empêche de voir les facteurs qui permettent de cerner des sous-groupes autant chez les garçons que chez les filles.»
    «Effectivement, il y a plus de garçons que de filles qui ont un problème à l'école, avoue sans peine la chercheure, et cela mérite qu'on s'y arrête. Nous, nous essayons de comprendre pourquoi, et ce, depuis les dernières dix années. Nous avons proposé plu-sieurs pistes de réflexion et d'intervention.»
    Mme Bouchard relate, entre autres, la parution au printemps dernier dans Vie pé-dagogique d'un article qui compare les garçons qui réussissent bien à l'école avec ceux qui ont des difficultés. «Ce que j'essaie de démontrer à partir des témoignages des gar-çons, dit-elle, c'est que la pédagogie est centrale. Il ne faut pas séparer filles et garçons, mais plutôt avoir une pédagogie qui s'adresse aux groupes qui en ont besoin, en essayant d'aller chercher leur intérêt, de capter leur attention, de leur donner le goût de l'effort.»
    De surcroît, comme le montrent plusieurs recherches réalisées à travers le monde, c'est en réduisant le recours aux stéréotypes sexuels que les chances de réussite scolaire s'améliorent. Ce constat s'applique autant aux garçons qu'aux filles. «Nos travaux ont montré qu'une meilleure réussite scolaire passe précisément par l'affranchissement des stéréotypes sexuels, insiste Mme Bouchard. Certains garçons, particulièrement en milieu dit défavorisé, se construisent une identité de sexe très traditionnelle les distanciant si-multanément de l'école.»

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© Claude Lafleur, 2008
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