Marie-Dominique Beaulieu : au secours du médecin de famille
Timothy Geary : ces parasites qui profitent de nous !
Accommodements raisonnables ou réactions déraisonnables ?
Manquerons-nous d'eau un jour ?
Devrait-on avoir peur de la génomique ?
Sommes-nous en bonne santé ?
Montréal, un formidable pole d’attraction scientifique et culturel
Que Montréal et le Québec cessent d'être «timides»
Gaston Déry : faire sa part pour préserver notre Terre
x Comment vaincre l'analphabétisme
Donald Smith : les tribulations d’un spécialiste des plantes
André Veillette : un humble chercheur qui fait de grandes découvertes
Sylvain Martel : des missiles téléguidés contre les tumeurs ?
Neuroimagerie fonctionnelle : une plongée dans le cerveau
Jacques Montplaisir : percer les mystères du sommeilé
Soins de santé : privé ou public ?
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, samedi, le 24 mars 2007, p. g8

Dre Marie-Dominique Beaulieu :
au secours du médecin de famille

par Claude Lafleur

        Comme toute pratique médicale, la médecine familiale a besoin de se développer ainsi que de produire et de diffuser de nouvelles connaissances. C'est la fonction première de la chaire Dr Sadok-Besrour en médecine familiale, créée en l'an 2000 à l'Université de Montréal.
        La médecine familiale est la clé de voûte de notre système de santé. Comme le relate la docteure Marie-Dominique Beaulieu, un médecin de famille règle quantité de problèmes de santé, à la fois ponctuels mais qui concernent également la prise en charge, le suivi et la coordination des soins à assurer aux personnes affligées par des maladies complexes ou chroniques. «Je pense qu'on comprend de plus en plus à quel point ce professionnel rend beaucoup de services et joue un rôle clé dans le système de santé», résume-t-elle.
        Première du genre au Québec, la chaire Dr Sadok-Besrour en médecine familiale contribue à accroître la capacité de recherche en médecine familiale non seulement au Québec, mais au Canada et sur le plan international. Elle soutient aussi la formation de jeunes chercheurs et accueille des étudiants et professeurs de l'étranger, en particulier ceux venant de Tunisie et des pays émergents.
        Titulaire de la chaire Besrour, Marie-Dominique Beaulieu se définit comme une passionnée de médecine familiale. «J'en suis passionnée comme un cardiologue est passionné de cardiologie ou un pneumologue de pneumologie!»

Le secteur privé s'implique

        La chaire qu'elle dirige a été instituée grâce aux efforts déployés par le Dr Sadok Besrour. Tunisien formé à la médecine en France, il a été l'un des membres fondateurs en 1979 de la clinique de médecine familiale de l'hôpital Notre-Dame (où il pratique toujours). «Pour lui, c'était essentiel que la médecine familiale prenne sa place dans les activités de recherche, relate Dre Beaulieu. Ainsi, comme toute autre discipline scientifique, la médecine familiale doit réaliser des travaux pour contribuer à la vie académique.» Le Dr Besrour a donc entrepris de convaincre le département de médecine familiale du CHUM de la nécessité de fonder une chaire de recherche. Puis, il est parvenu à mobiliser la communauté des affaires pour financer son projet.
        Chose remarquable d'ailleurs, le financement de la chaire est assuré en grande partie par les contributions de particuliers, notamment celles du fondateur lui-même, ainsi que de la famille et de la Fondation J.-Armand-Bombardier, de Power Corporation, de la Fondation du CHUM et de l'Université de Montréal.

Améliorer l'accessibilité aux soins

        Globalement, la chaire Besrour étudie comment la médecine familiale gère les problèmes auxquels elle est confrontée. Elle s'intéresse entre autres à l'accessibilité aux soins ainsi qu'à la prise en charge de certains problèmes de santé. Par exemple, les chercheurs se penchent sur les défis que représente l'implantation dans la société des groupes de médecine familiale. Ils étudient aussi l'organisation des services de santé dans les collectivités rurales et isolées du Québec. Ils s'intéressent également à des questions telles que: comment les futurs médecins conçoivent-ils leur rôle et se sentent-ils préparés à l'assumer à la fin de leur formation?
        «L'un de nos projets de recherche, indique Dre Beaulieu, a consisté à dresser un diagnostic sur l'accessibilité et la continuité des soins, tels que le vivent les utilisateurs. On a ainsi mené une enquête auprès de 100 cabinets de médecins au Québec et auprès de 3000 patients pour cerner les problèmes d'accessibilité et de continuité. Avec cette étude, on a cherché à déterminer les caractéristiques des cliniques qui offraient le meilleur service et le meilleur suivi. Cela nous permet d'avoir une idée à savoir s'il y a un nombre optimal de médecins, comment organiser leurs horaires, le rôle de l'infirmière, etc. Cette recherche, qui vise à améliorer l'accessibilité et la continuité, a été largement diffusée dans le système de santé.»
        Une autre recherche consistait à observer de près l'implantation de cinq groupes de médecine familiale. «Cette recherche a permis de voir comment s'est passée l'implantation des GMF et l'impact que cela a eu, commente Marie-Dominique Beaulieu. Les données ainsi recueillies sont utilisées pour guider l'implantation de nouveaux groupes de médecins de famille.»
        La chaire du Dr Besrour réalise également des projets en collaboration avec d'autres groupes de chercheurs. Ceux-ci se sont notamment penchés sur les facteurs qui déterminent les choix de carrière pour une pratique obstétricale en médecine. Ils se sont aussi intéressés à l'influence des modes d'organisation des services de santé auprès des groupes défavorisés, etc.
        «Comme vous le voyez, la chaire est là pour produire des connaissances scientifiques, résume la titulaire. Mais notre mission est aussi de rendre nos travaux les plus visibles possible afin qu'ils soient utiles. Par conséquent, la chaire doit s'impliquer dans les réflexions et dans la formation. On essaie donc de faire beaucoup de vulgarisation scientifique et de favoriser la diffusion de nos résultats.»

Patience, messieurs les politiciens...

        En cette ère de réorganisation perpétuelle du système de santé, les chercheurs de la chaire Besrour observent la situation avec intérêt. «Il me semble que, en matière de médecine générale - dans les soins directs aux patients -, on est sur la bonne voie, estime Dre Beaulieu. Je dirais même que de bonnes décisions ont été prises dans la foulée de la Commission Clair et je souhaite qu'on assure une continuité... En fait, l'une des choses qui m'apparaît très importante, c'est de maintenir le cap et d'accepter que les changements ne donneront pas des résultats concrets en quelques semaines!»
        En conséquence, le message que la spécialiste aimerait livrer à nos politiciens serait qu'ils permettent au personnel du réseau de la santé de réaliser les changements sans toujours les obliger à se réorganiser. «On est en train de prendre les bonnes décisions, dit-elle, et je sens qu'il se passe actuellement des choses fort intéressantes dans le réseau quant à l'amélioration de l'accessibilité, de la continuité et de la coordination des services offerts aux patients. Il faut donc, me semble-t-il, faire preuve de patience et garder le cap...»
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, samedi, le 24 mars 2007, p. G8

Timothy Geary :
ces parasites qui profitent de nous !

par Claude Lafleur

        McGill abrite sur le campus Macdonald l'unique Institut nord-américain de parasitologie du continent. La question là posée est simple: pourquoi, des millions de parasites existant, une trentaine seulement trouvent-ils refuge dans l'organisme humain? À propos des mystères de l'évolution.
        «La majorité des espèces animales sont des parasites, indique Timothy Geary, directeur par intérim de l'Institut de parasitologie de l'université McGill. Cela signifie, du point de vue de l'évolution, qu'être parasite est la meilleure façon d'assurer la survie d'une espèce.»
        «Cela signifie également pour nous, êtres humains, que nous risquons à tout moment d'être infectés ou attaqués par une myriade de parasites de toutes sortes», enchaîne-t-il. Or, curieusement, bien qu'il existe des millions et des millions de parasites, seule une trentaine d'espèces parviennent à nous parasiter. «Comment ceux-ci réussissent-ils là où tant d'autres échouent? Voilà l'une des grandes questions que mes collègues et moi étudions.»

Mieux vaut prévenir...

        Le Québec compte l'une des très rares, sinon même l'unique équipe de chercheurs spécialisés en Amérique du Nord en parasitologie, la science fondamentale des parasites. «Les parasites ont longtemps été un problème sur notre continent, notamment ceux causant la malaria», relate M. Geary. De ce fait, jadis, un grand nombre d'universités avaient leur département ou leur école de parasitologie. Mais une bonne partie des problèmes ayant été réglés grâce au traitement des eaux, son équipe constitue aujourd'hui le seul institut de parasitologie du continent.
        Les problèmes de santé provoqués par les parasites sont par contre loin d'être inexistants. Ainsi, le professeur Geary relate que près du tiers de l'humanité est infecté par des parasites, alors que la malaria tue plus de deux millions de personnes par année! «De surcroît, avec les voyages et les migrations de plus en plus fréquentes, ainsi que dans la foulée des changements climatiques, notre société sera de plus en plus confrontée à des problèmes de parasitisme. Déjà, les maladies tropicales affectent non seulement les voyageurs, mais également ceux et celles qui travaillent à l'étranger, alors que nos soldats qui combattent en Afghanistan sont confrontés à des problèmes de parasites.»
        Par conséquent, la douzaine de chercheurs qui oeuvrent au sein de l'Institut de parasitologie s'attaque à des questions qui concernent autant des problèmes qui affligent les populations des pays en développement que des enjeux qui nous touchent directement. «À l'Institut, nous faisons de la recherche, notamment en collaboration avec l'industrie pharmaceutique, qui sert à développer de nouveaux médicaments, précise Tim Geary. Nous formons également une soixantaine d'étudiants aux techniques et aux traitements avancés des infections parasitaires.»

Sur le terrain et...dans les fermes

        En tant que centre de recherche universitaire, l'Institut réalise des travaux fondamentaux ainsi que des études de terrain, notamment au Cameroun et au Panama. Ainsi, le professeur Geary étudie un parasite qui provoque une grave infection auprès de 150 millions de personnes à travers le monde. «Je cherche à comprendre comment ce parasite réussit à demeurer à l'intérieur de nous durant 10 ou 15 ans sans être détecté par notre système immunitaire. Comment fait-il pour passer inaperçu?»
        Les chercheurs s'intéressent également aux problèmes parasitaires chez les animaux - problèmes affectant autant les animaux de ferme que les animaux de compagnie au Québec, tout comme à travers l'Amérique. «Je pense que, à la suite des changements climatiques qui s'en viennent, on verra davantage d'infections parasitaires chez nos animaux, estime le chercheur. Par contre, je ne pense pas que ce sera le cas pour nous, les humains, puisque la plupart des infections qui nous affligent proviennent des eaux usées. Or, tant et aussi longtemps qu'on continuera de traiter nos eaux, on ne devrait pas rencontrer trop d'infections. Il faudra par contre suivre de près les migrations de populations.»
        L'Institut de parasitologie est en outre le noyau de tout ce qui se fait dans ce domaine au Québec. Ainsi, il héberge le Centre de recherche sur les interactions hôte-parasite, qui regroupe les spécialistes en la matière provenant de l'université Laval, de l'Université de Montréal à Saint-Hyacinthe, de l'Institut Armand-Frappier et de l'Université du Québec à Montréal ainsi que, bien entendu, ceux de l'université McGill.
        «En réalité, ce réseau de chercheurs existait, sous une forme ou une autre, depuis longtemps, indique le professeur Geary. Mais il y a cinq ou six ans, le gouvernement du Québec a fondé un centre de recherche spécialisé afin de rassembler tous les spécialistes qui s'intéressent aux relations particulières qui existent entre les parasites et les hôtes qui les hébergent.»

Peut-on vraiment vivre sans parasites ?

        Compte tenu du fait que des millions de parasites existent mais qu'une trentaine seulement parviennent à nous parasiter, les membres du Centre de recherche sur les interactions hôte-parasite cherchent à déterminer ce que ces derniers ont de particulier. «Comment parviennent-ils à nous déjouer, se demande Tim Geary, à s'installer en nous et à mener leur existence sans qu'on réussisse à s'en débarrasser?»
        Il y a même des parasites qui n'infectent que les humains et aucune autre espèce animale. «Pourquoi?, se demande le chercheur intrigué. Ce sont là des questions de biologie fondamentale aussi intéressantes qu'importantes. En effet, si on parvenait à cerner comment s'y prennent ces parasites et à trouver leur point faible - donc la façon de les attaquer -, on pourrait mettre au point des vaccins et des traitements efficaces.»
        Par ailleurs, si aux yeux du spécialiste les parasites sont nécessairement néfastes, il se pourrait par contre qu'on ne puisse se passer d'eux! Ainsi, diverses recherches semblent indiquer que certaines pathologies pourraient être dues à l'absence de parasites. Ce pourrait être le cas, notamment, de la maladie de Crohn (une grave inflammation de l'intestin) et de l'asthme.
        «Curieusement, on observe que ces maladies sont plus répandues en Occident que partout ailleurs dans le monde», relate le chercheur. Or, comme elles ont une composante parasitaire alors que nous vivons dans un environnement de plus en plus aseptisé, on se demande si une portion de ces cas ne proviendrait pas d'un dérèglement de notre système immunitaire. Autrement dit, n'ayant pas à combattre quoi que ce soit, notre système immunitaire finirait par devenir hypersensible et réagirait «à rien». À l'appui de cette hypothèse, on combat dans certains cas de telles réactions en infectant justement le patient! «C'est là, en tout cas, une piste fort intéressante à suivre», d'indiquer le chercheur.
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, samedi, le 7 avril 2007, p. G1

Accommodements raisonnables
ou réactions déraisonnables ?

par Claude Lafleur

        Le directeur d'un centre communautaire décide de givrer les fenêtres d'une salle d'entraînement. Une direction d'école choisit d'allouer un local à la prière. Une direction d'hôpital aménage un espace pour les clients qui ne mangent pas le type de nourriture servi à la cafétéria. Un patron d'érablière privilégie un groupe religieux plutôt que sa clientèle régulière. Des responsables municipaux dotent leur collectivité d'un code de vie interdisant les mauvais traitements à leurs citoyennes...
        Non, il ne s'agit pas d'accommodements raisonnables, tranchent sans hésiter Jean-Louis Roy et Jean-René Milot, respectivement président de Droits et démocratie et docteur en études islamiques à l'UQAM. Tout au plus s'agit-il de gestes de bonne volonté ou de bon voisinage, quand ce ne sont pas tout bonnement des faits divers montés en épingle par des médias avides de scandales.
        «Les accommodements raisonnables sont des cas d'exception, explique M. Roy. Il ne s'agit pas de faits divers, mais de problèmes de fond qui ont une grande portée. Par conséquent, ce n'est pas à un directeur général d'hôpital de décider d'un accommodement raisonnable, mais cela revient à la Commission des droits de la personne, à un tribunal ou, ultimement, au législateur. Voyez-vous, on ne peut pas laisser à des individus ou à des organismes quelconques le soin de redéfinir le Code civil ou le Code pénal... ça n'a pas de bon sens!»
        «Un accommodement raisonnable, au sens juridique du terme, désigne quelque chose de beaucoup plus précis que ce qu'on entend généralement, enchaîne M. Milot. Ce dont on parle souvent, ce sont de simples accommodements comme lorsque, dans la vie de tous les jours, on parle d'accommoder quelqu'un ou de s'accommoder les uns les autres. Il y a donc toutes sortes de situations qui peuvent être considérées comme des accommodements, mais qui ne sont pas des accommodements raisonnables. Et il peut s'agir d'accommodements avec lesquels vous et moi ne sommes pas nécessairement d'accord...»
        Jean-René Milot est professeur associé au département de sciences des religions à l'Université du Québec à Montréal. Il est aussi chercheur au Groupe de recherche interdisciplinaire sur le Montréal ethno-religieux ainsi qu'au Centre de recherche sur l'immigration, l'ethnicité et la citoyenneté.
        Il cite le cas d'un exploitant d'érablière qui modifie la composition des mets qu'il sert pour accommoder un groupe qui ne mange pas de porc. «C'est là tout simplement une stratégie de commerce, d'échange de services convenus entre un commerçant et un client, dit-il. Ce n'est pas un accommodement raisonnable.»
        Même chose dans le cas des fenêtres givrées du YMCA: «C'est un cas de "bon voisinage" où l'on essaie de s'entendre pour éviter les frictions, poursuit le professeur. C'est du bon voisinage et cela a une valeur.» Pour lui, en effet, ce cas s'apparente à celui d'un voisin qui se plaindrait qu'un arbre sur votre propriété fait tant d'ombre sur son potager que ses tomates ne parviennent pas à mûrir. Ce voisin vous demande par conséquent de couper l'arbre ou de l'émonder. «Mais cela n'a rien à voir avec un accommodement raisonnable car, insiste le professeur, en aucun cas votre voisin ne pourrait réclamer ses droits devant un tribunal!»

Primauté mais accommodement du droit

        Dans les faits, poursuit Jean-Louis Roy, les accommodements raisonnables touchent des droits protégés par la Constitution et par les chartes des droits et libertés de la personne. M. Roy préside d'ailleurs un organisme non partisan, le Centre international des droits de la personne et du développement démocratique, qui a été créé en 1988 par le Parlement canadien afin d'encourager et d'appuyer les valeurs universelles des droits humains et pour promouvoir les institutions et pratiques démocratiques partout dans le monde. En collaboration avec des individus, des organismes et des gouvernements, Droits et démocratie s'emploie à promouvoir au Canada et à l'étranger les droits humains et les droits démocratiques tels que définis dans la Charte internationale des droits de l'homme.
        «Or, explique-t-il, trois grands principes doivent être rappelés lorsqu'on aborde la question des accommodements raisonnables: la citoyenneté commune à tous, le respect du droit établi - et des règlements qui en découlent -, et l'égalité de tous et chacun.»
        En particulier, l'égalité homme-femme - «la grande bataille du XXe siècle qui est devenue le grand acquis du XXIe siècle», souligne au passage M. Roy - ne doit jamais être remise en question. «L'égalité, c'est non négociable!, dit-il fermement. De même, il n'y a pas plusieurs types de citoyenneté dans une société donnée et tous, qui que nous soyons, devons respecter le droit.»
        Cela dit, poursuit-il, il peut y avoir des exceptions à l'égalité, comme l'indique justement l'article 15 de la Constitution canadienne, et ce, afin de tenir compte de la situation de groupes vulnérables ou défavorisés. «Ainsi, explique M. Roy, un accommodement raisonnable est une modification, pour un motif profond, à une règle ou à une réglementation qui est commune à tous.»

Une aversion pour les religions ?

        «La nécessité de faire un accommodement raisonnable, explique M. Milot, vient de ce qu'il existe, de temps à autre, un risque de discrimination ou d'atteinte à la liberté pour certains individus. Il arrive parfois qu'on s'aperçoive qu'une loi, sous des apparences neutres, puisse créer des inégalités si elle est appliquée à la lettre. Il peut y avoir une atteinte aux droits de quelqu'un, par exemple à sa liberté, ou un risque de discrimination fondé sur diverses choses, tel un handicap. Dans ce cas, l'accommodement raisonnable est un moyen trouvé par les tribunaux pour s'assurer, dans des cas exceptionnels, qu'une loi ou une norme qui en principe s'applique à tout le monde n'aura pas d'effets discriminatoires sur certains groupes de personnes.»
        Imaginons, propose le professeur Milot, qu'un règlement de l'université interdise d'admettre les chiens dans les salles de cours. «À première vue, ça tombe sous le sens, dit-il. Mais ce règlement peut avoir le même effet que si on disait: "Les aveugles ne sont pas admis dans les salles de cours".» Dans le cas d'un accommodement raisonnable, on ne change pas le règlement, on fait tout simplement une exception pour que des personnes ayant des problèmes particuliers ne soient pas discriminées.
        Toutefois, la notion d'accommodement raisonnable n'implique pas, par exemple, que tout restaurateur doive nécessairement accommoder un aveugle avec son chien guide. «Il peut y avoir, dans certains cas, des atteintes à la liberté ou des formes de discrimination qui peuvent être justifiées», précise M. Milot. Ainsi, dans le cas d'un restaurateur, s'il juge que son établissement est trop petit, que les tables sont trop rapprochées ou qu'il est déjà difficile de s'y déplacer, il peut juger que la contrainte d'accommoder une personne aveugle et son chien guide serait excessive ou poserait un risque pour la sécurité des autres personnes. «Il faut toujours tenir compte d'un ensemble de facteurs, dit-il, dont les questions de sécurité. Ainsi, si une conductrice d'autobus qui pratique l'islam décidait un jour de porter un "niqab", là, ce serait une question de sécurité publique. On comprendra alors qu'il sera véritablement justifié de ne pas faire preuve envers elle d'accommodement raisonnable!»
        «En conséquence, enchaîne Jean-Louis Roy, la notion d'accommodement raisonnable a une portée limitée puisqu'elle porte sur des choses qui sont significatives. Ce dont on parle souvent dans les médias, ce sont des compromis comme on en fait tous dans nos vies, dans notre milieu de travail, etc. Ce sont des compromis pour pouvoir vivre ensemble correctement sans qu'il y ait de conflits.»
        «Le problème, poursuit M. Milot, c'est que souvent, aussitôt qu'il est question de religion au Québec, certains disjonctent! En réalité, certains ont des comptes à régler avec la religion et ils sont incapables de faire la différence entre leurs états d'âme personnels et ce que dit la loi. D'autres craignent aussi qu'on revienne à une société religieuse... Or, on présume souvent que le Québec est un État laïque, mais cela n'est inscrit dans aucune loi! Il faudrait donc discuter de la place du religieux dans notre société laïque... mais ça, c'est un autre débat!»

, samedi, le 21 avril 2007, p. G7

Manquerons-nous d'eau un jour ?

par Claude Lafleur

        Nous avons tous conscience que le «cycle de l'eau» est à la base de la vie. Sans les précipitations régulières, sans les bienfaits de l'eau qui humidifie les sols, sans son écoulement à travers les sols, vers les rivières, les fleuves et les océans, et sans l'évaporation qui régénère les pluies, les terres immergées seraient à toute fin pratique des déserts. Or, ce cycle est non seulement fort complexe, mais il est tributaire des activités humaines - notamment de la culture des sols, de la pollution de toute nature ainsi que des changements climatiques que nous accentuons.
        Quelles influences ont donc nos activités sur le cycle de l'eau et que nous réserve l'avenir en ce qui a trait à cette ressource essentielle? Voilà en résumé les questions que se posent les chercheurs du Centre Brace de gestion des ressources en eau et de l'environnement de l'université McGill. Ce centre rassemble une équipe de spécialistes de calibre international qui réalise des travaux à la fois pratiques et théoriques dans le but autant d'améliorer l'utilisation de l'eau que d'atténuer les conséquences que provoqueront les changements climatiques.

Diminution de la ressource ou pénurie ?

        «Nous savons maintenant qu'on assistera à d'importantes diminutions des pluies et des précipitations à la suite des changements climatiques, rapporte Chandra Madramootoo, chercheur au Centre Brace. Or, d'après nos modèles mathématiques, nous calculons que cela provoquera de graves pénuries d'eau chez les populations et les agriculteurs, et ce, autant dans l'Ouest canadien qu'en Chine, en Inde, au Mexique et en Afrique.»
        C'est dire que, alors qu'on prévoit l'élévation du niveau des océans, les spécialistes voient en même temps venir d'importantes baisses du niveau des réserves d'eau douce à l'intérieur des continents. «Au Canada, rapporte le chercheur, cette diminution aura de grands impacts. On observera notamment la baisse du niveau des lacs et des grandes rivières, dont celui du fleuve Saint-Laurent, ce qui engendrera des problèmes de navigation pour les navires de grande taille. De surcroît, les municipalités auront de plus en plus de difficultés à approvisionner leur population en eau. Et lorsqu'il y a moins d'eau dans un lac ou une rivière, les polluants qui s'y trouvent sont encore plus concentrés. Et bien sûr, on aura également des problèmes d'irrigation et de production des aliments...»
        Or, M. Madramootoo, qui est également doyen de la faculté des sciences de l'agriculture et de l'environnement de McGill, est l'un des rares spécialistes mondiaux en irrigation. «Je m'intéresse à cette technique parce que, au Canada comme à l'étranger, il est essentiel de faire de l'irrigation pour augmenter les récoltes de légumes, de fruits, de céréales, etc. Je pense qu'à l'avenir, on devra augmenter de beaucoup nos capacités d'irrigation justement à cause des effets qu'entraîneront les changements climatiques. En fait, l'irrigation deviendra vitale si nous voulons continuer de produire, ici même au Canada, au Québec et partout ailleurs, les aliments dont nous avons besoin.»

Une nouvelle gestion s'impose

        Par conséquent, les chercheurs du Centre Brace ciblent un certain nombre de domaines d'étude particulièrement critiques. «Tout d'abord, relate Chandra Madramootoo, nous travaillons sur un programme de recherches sur les quantités d'eau disponibles maintenant et dans l'avenir, compte tenu des effets des changements climatiques. Un autre volet de nos recherches porte sur l'étude des conséquences de différentes pratiques agricoles sur la qualité de l'eau en milieu rural. Nous nous intéressons également à la pollution générée par les fumiers et les engrais, en étudiant les concentrations de nitrate et de phosphore dans les rivières et les lacs du Québec, du Canada et dans le monde. Par ailleurs, un tout autre volet porte sur la gestion de l'eau; dispose-t-on des mécanismes de gouvernance, aux niveaux fédéral, provincial et municipal, qui nous permettent d'améliorer la gestion de l'eau? Nos structures politiques actuelles permettent-elles d'améliorer la préservation de l'eau et d'impliquer les populations dans les processus décisionnels? Enfin, on étudie aussi l'impact des bactéries, des pathogènes et des virus dans l'eau, et sur la santé humaine...»
        Le Centre Brace réalise autant des travaux fondamentaux qu'appliqués. «Bien souvent, raconte le prof Madramootoo, nous mettons d'abord au point une solution dans nos laboratoires, puis nous l'essayons sur le terrain. Par exemple, nous pouvons chercher dans nos laboratoires une technique de conservation de l'eau, puis nous l'appliquons sur une ferme, dans une usine ou auprès d'une municipalité afin de vérifier si elle produit bien les résultats escomptés. Nous développons aussi en laboratoire des modèles mathématiques qui permettent de simuler différentes pratiques, pour finalement essayer des méthodes sur le terrain ou en usine...»

Irriguer autrement

        Ainsi, les chercheurs de McGill se préoccupent autant de déterminer la quantité d'eau dont nous disposerons dans l'avenir que de trouver des solutions, par exemple, pour conserver l'eau afin de répondre aux besoins des populations ou développer des méthodes d'irrigation hautement efficaces.
        «Personnellement, ajoute M. Madramootoo, je pense qu'à l'avenir on recourra davantage à l'irrigation à cause des changements climatiques. Cela deviendra très, très important si nous voulons produire suffisamment d'aliments au Québec, au Canada et dans le monde.»
        Il souligne en outre que rares sont les chercheurs qui, comme lui, se spécialisent dans les techniques d'irrigation. «Or, j'estime qu'il est fort important de comprendre la nécessité de développer de nouvelles techniques d'irrigation ainsi que des méthodes de conservation de l'eau dans le sol en utilisant par exemple différents types de labours», indique-t-il.
        Parmi les façons de faire face aux pénuries d'eau en agriculture, Chandra Madramootoo avance l'idée qu'on pourrait génétiquement modifier les plantes afin de réduire les quantités d'eau dont elles ont besoin. «Mais est-ce possible?, se demande-t-il. Pour le savoir, il est essentiel de développer nos connaissances sur la physiologie des plantes...»
        C'est dire aussi que, si tout se passe comme on l'entrevoit au cours des prochaines décennies, on assistera paradoxalement à des pénuries d'eau sur les continents en même temps qu'à la montée des eaux des océans. Malheureusement, cette dernière étant salée, on ne pourra l'utiliser pour irriguer nos sol. «Dessaler de l'eau coûte extrêmement cher, d'indiquer M. Madramootoo. Par conséquent, il ne peut s'agir d'une solution viable. Il nous faut donc absolument apprendre à utiliser de façon très efficace toute l'eau [potable] dont nous disposerons!»
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, samedi, le 5 mai 2007, p. G6

Devrait-on avoir peur de la génomique ?

par Claude Lafleur

        La génomique, ce formidable outil pour percer les secrets du vivant, fait-elle peur? Devrait-on la craindre tout autant que les manipulations génétiques, la possibilité de créer des clones humains, les expériences sur les cellules souches ou, tout bonnement, l'existence même des OGM?
        «Il y a de grandes peurs autour de la génomique, admet sans hésiter Carole Jabet, vice-présidente aux affaires scientifiques de Génome Québec et animatrice d'un atelier tenu dans le cadre du congrès de l'Acfas. Les peurs qui sont souvent greffées à la génomique - ce que les gens n'aiment vraiment pas - sont liées aux mots clés suivants: manipulation des gènes, clonage [humain], cellules souches, organismes génétiquement modifiés et transgénèse. Ce sont là des notions qui, à tort ou à raison, peuvent faire peur. Mais quelqu'un qui, comme moi, baigne dans ce domaine tous les jours, vous dira: "Non, ce n'est pas ça, la génomique!"»
        Pour Mme Jabet, la génomique est une technique, un outil technologique, qui a permis ces dernières années d'accroître de façon prodigieuse nos connaissances du fonctionnement de tout ce qui est vivant. «Qu'on pense simplement à tout ce que nous apporte le séquençage du génome humain, dit-elle. C'est comme si d'un seul coup, tout le vivant s'ouvrait à notre vision!»
        Pour donner une idée de la puissance des techniques de génomique, elle évoque l'identification de la séquence de tous les gènes d'un être vivant - ce qu'on appelle le séquençage d'un génome. «Lorsqu'on a commencé à faire du séquençage, il y a 20 ou 30 ans, dit-elle, il nous fallait trois jours pour identifier un tout petit fragment, disons un dix-millième d'un ADN. Tandis que maintenant, grâce aux techniques de génomique, on peut analyser un génome entier en un après-midi seulement! Or, c'est fantastique parce que cela nous permet de faire une multitude de choses.»
        Grâce à la puissance de ces techniques d'analyse, la génomique donne en effet accès à une foule d'applications médicales, notamment à des thérapies géniques. Ainsi, en séquençant votre génome, on peut déterminer si vous avez une prédisposition particulière à développer un certain type de cancer, le diabète ou quantité d'autres maladies. On peut aussi déterminer à quel médicament vous réagirez le mieux, ou quel est celui qui provoquera chez vous le moins d'effets secondaires tout en étant, au bout du compte, le plus efficace.
        «Il y a quantité d'autres applications possibles, poursuit la spécialiste, notamment en recherche. Ainsi, auparavant, on ne pouvait étudier que les maladies génétiques liées à un gène, parce que nos techniques ne nous permettaient pas d'en repérer plus d'un à la fois. Mais aujourd'hui, grâce à la génomique - grâce au fait qu'on peut regarder tous les gènes à la fois -, on étudie les maladies qui sont reliées à 10, 20 ou 100 gènes. On s'attaque ainsi aux cancers et aux maladies cardiovasculaires, qui relèvent d'une multitude de gènes. On passe alors de la génétique à la génomique, en regardant le génome en entier! Vous rendez-vous compte des possibilités que cela procure?!»

Les craintes de la génomique

        Bien sûr, il va sans dire que la puissance de cette technique a de quoi inquiéter. Ainsi, rapporte Mme Jabet, il y a des personnes qui ne veulent absolument pas entendre parler des prédispositions qu'elles pourraient avoir par rapport à un cancer, une maladie cardiovasculaire, l'asthme, ou de toute autre vulnérabilité. «Mais certains, comme moi, diront que c'est au contraire formidable et qu'on veut le savoir afin de pouvoir être prévenants! Pourtant, d'autres personnes préfèrent continuer de vivre normalement sans qu'on aille fouiller dans leurs gènes...»
        D'autres personnes redoutent l'utilisation qu'on pourrait faire de ce genre d'informations. Elles se demandent, à juste titre, si leur assureur pourrait - ou devrait - avoir accès aux données concernant leurs prédispositions génétiques. «Mais alors, c'est comme lorsque vous complétez le questionnaire de santé requis par un assureur où on vous en demande beaucoup, observe Carole Jabet. C'est la même chose!»
        Ceux qui craignent d'être ainsi victimes d'une nouvelle forme de discrimination basée sur des tares génétiques doivent comprendre que, puisque chacun d'entre nous souffre probablement de quelque prédisposition génétique, on représentera tous des risques plus ou moins semblables aux yeux des assureurs et que ceux-ci pourront par conséquent nous offrir une couverture taillée sur mesure selon nos besoins éventuels.
        «Eh oui, il y a aussi des gens qui pensent à manipuler les gènes, enchaîne Mme Jabet, et bien sûr que la connaissance du génome va faciliter leur travail! Mais en même temps, il ne faut pas conclure que les connaissances que nous acquérons seront nécessairement utilisées à tort. En réalité, selon moi, de telles peurs ne devraient pas être associées à la génomique, puisque cette technique permet avant tout l'acquisition de connaissances pour faire le bien dans une foule de domaines. Il faut aussi savoir que le clonage, notamment, est interdit, alors que les thérapies géniques constituent un bénéfice pour les patients et qu'on doit pouvoir y recourir.»
        Pour la vice-présidente aux affaires scientifiques de Génome Québec, ces craintes bien compréhensibles viennent d'une méconnaissance et d'une mauvaise compréhension des enjeux posés par la génomique. Il faut donc que les scientifiques expliquent en quoi celle-ci consiste, alors que les éthiciens doivent préciser la manière dont on peut développer et appliquer des politiques pour éviter les dérives.
        «Il faut tenter de contrebalancer le fait que, n'étant pas encore familiarisé avec les enjeux de la génomique, on a peur, ce qui est normal, rapporte Carole Jabet. Mais plus on va en parler - et en parler, ça ne veut pas dire prendre des décisions pour les gens -, plus on verra clairement de quoi il s'agit.»
        C'est précisément à cette fin que les responsables de Génome Québec présentent cet atelier intitulé «Génétique, génomique, protéomique, éthique... Doit-on avoir peur des "iques"?» «Mon plus grand rêve, de conclure Mme Jabet, c'est que l'on comprenne que, si on prend le temps de s'informer et de réfléchir, on constate que la balance penche nettement du côté des bienfaits plutôt que des méfaits. On veut donc, dans le cadre de l'atelier, démystifier ce qu'est la génomique et discuter de ce qu'elle peut nous apporter...»
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, samedi, le 12 mai 2007, p. H3

Sommes-nous en bonne santé ?

par Claude Lafleur

        Il ne s'écoule guère une journée sans qu'on parle de santé. Bien sûr, l'état de notre système de santé génère quantité de questionnements alors que bon nombre de personnes s'inquiètent de leur santé ou de celle d'un proche. Mais on peut aussi se demander si on a raison de se questionner autant.
        «Lorsqu'on se demande si on est en santé, tout dépend de la manière dont on définit la chose», répond Diane Berthelette, directrice de l'Institut santé et société de l'UQAM. Techniquement, on peut définir la santé comme étant une expérience de bien-être physique et mental ainsi que la capacité d'agir sur son milieu, de participer pleinement à la vie sociale et communautaire.
        Pour déterminer si nous, Québécois, sommes en santé, Mme Berthelette propose d'examiner différents indicateurs pertinents en les comparant à ceux d'autres pays. «Ce qui est intéressant, note-t-elle, c'est que l'Organisation mondiale de la santé [OMS] publie des statistiques qui comparent les pays en fonction de leur position dans l'échelle pour voir comment ils se situent.»
        L'Institut santé et société qu'elle dirige regroupe 110 professeurs répartis dans 23 départements présents dans chacune des facultés de l'UQAM ainsi que des partenaires de terrain. «Je vous dirais que ce qui nous caractérise, c'est notre couleur "uqamienne". Nous rassemblons des chercheurs qui proviennent des sciences sociales, de la gestion, de l'éducation, de la faculté des arts, etc. Ce qui nous distingue des autres universités - comme pour tout ce qui se fait à l'UQAM -, c'est notre habitude de travailler avec des collectivités qui sont concernées directement par des problèmes. On dénombre ainsi plus de 125 collaborateurs dans toutes sortes de secteurs, tant dans le biomédical que dans l'économie sociale, dans les syndicats et associations professionnelles, etc. En conséquence, dans notre institut, nous ne parlons pas de transfert de connaissances vers les collectivités, mais plutôt de partage des connaissances...»

Lorsqu'on se compare, on se...

        Le premier indicateur sur l'état de santé global d'une population est bien entendu l'espérance de vie. Or, malgré tout ce qu'on peut reprocher à notre société moderne, force est de constater que notre état de santé s'est sûrement amélioré puisque, au cours du dernier siècle, la durée de vie moyenne des Québécois a doublé. Il y a un siècle, on était «vieux» dès l'âge de 40 ou 50 ans!
        Diane Berthelette relate que l'espérance de vie des Canadiens, selon les données 2004 de l'OMS, atteint 83 ans pour les femmes et 78 ans pour les hommes. «On est en meilleure posture que les États-Unis (80 ans pour les femmes et 75 ans pour les hommes) et le Royaume-Uni (81 ans pour les femmes et 76 ans pour les hommes).». On peut aussi se comparer à la Finlande, un pays qu'on cite souvent comme un modèle où il fait bon vivre. Or, surprise, les femmes de là-bas ont une espérance de vie de 82 ans et les hommes, de 75 ans. «On est donc en bonne posture», conclut la chercheure.
        Un indicateur encore plus intéressant est l'espérance de vie sans incapacité. Autrement dit: combien d'années peut-on espérer vivre sans avoir de problèmes de santé majeurs ou de limitations fonctionnelles? «Les "meilleurs" en la matière en Europe, ce sont l'Italie et l'Espagne», rapporte Mme Berthelette. Pour les femmes de ces pays, cette espérance est de 74,4 ans et de 70,9 ans pour les hommes. Au Canada, elle s'élève à 68,6 ans chez les femmes et à 66,9 ans chez les hommes. «On peut donc dire que notre espérance de vie sans incapacité est plus faible que dans les meilleurs pays d'Europe, observe-t-elle. Par ailleurs, au sein du Canada, on constate que le Québec se classe au premier rang... Pour cet indicateur, on peut donc se dire qu'on est dans une bonne situation.»

Jeunes vies

        Un autre indicateur significatif est le taux de mortalité infantile, puisqu'il traduit bien la qualité générale de la vie. Les données de Statistique Canada indiquent des taux qui varient d'une région à l'autre, de 4,3 à 16 décès chez les enfants de moins d'un an pour 1000 naissances. Le taux le plus bas (4,1) s'observe au Nouveau-Brunswick et à l'Île-du-Prince-Édouard, alors que le Québec se situe à 4,6. «Là encore, nous figurons dans le peloton de tête», résume Diane Berthelette.
        Mais le chiffre qui fait le plus sursauter la spécialiste, c'est le taux d'avortements provoqués. Selon les données de Statistique Canada, pour 100 naissances, on enregistre de 9,7 à 41,7 avortements selon les régions du pays. Encore là, le taux le plus bas s'observe à l'Île-du-Prince-Édouard... alors que le plus élevé se retrouve au Québec!
        «Un tel taux montre un problème de santé parce que tout avortement est une indication que quelque chose ne va pas, explique la chercheure. Entendons-nous bien, insiste-t-elle, il n'est nullement question de remettre en cause le libre choix des femmes, bien au contraire. Mais la question se pose: pourquoi tant de Québécoises choisissent-elles d'avorter? Est-ce parce qu'elles n'ont pas les moyens de mener à terme leur grossesse?»
        «Je pense qu'on peut dire que, globalement, au Canada, ça va bien, on est en bonne santé, résume la directrice de l'Institut santé et société. Par contre, il ne faut pas oublier les écarts qu'on observe d'une région à l'autre puisqu'on sait qu'il y a des inégalités sociales.»

La santé, une affaire de société

        Diane Berthelette constate en effet que, lorsqu'on examine de plus près les indicateurs de santé, on découvre l'existence d'écarts liés à la situation économique des individus ainsi qu'à leur niveau d'éducation. «Depuis le XIXe siècle, souligne-t-elle, on a très bien documenté les inégalités sociales en lien avec un moins grand accès à l'éducation. Or, souvent, on oublie de lier éducation et santé.» On observe par exemple que les Américains sont dans l'ensemble en moins bonne santé que nous, justement à cause des grandes inégalités sociales qu'on retrouve chez nos voisins pourtant si riches.
        «Souvent, dans les médias, on nous rapporte que ce qui pose problème, c'est que les gens se nourrissent mal, qu'ils ne font pas d'exercice physique, etc., rappelle Diane Berthelette. Mais il ne faut pas oublier que de tels comportements ne sont pas une question de responsabilité individuelle. Ils sont liés à l'éducation que nous avons reçue ainsi qu'aux outils concrets dont on dispose dans notre milieu pour adopter de bons comportements.»
        Pour illustrer son propos, elle imagine le cas d'une mère de famille à qui on demande de confectionner des repas équilibrés, de s'occuper de son stress, de faire de l'exercice 30 minutes par jour... et qu'on culpabilise parce que ses comportements ne sont pas suffisamment sains! «Or, ça m'inquiète beaucoup de voir qu'on met tant l'accent sur notre responsabilité individuelle, dit-elle. J'ai tendance à penser que le discours officiel consiste à dire aux gens "prenez-vous en main" et on nous défile une longue liste: il faut cesser de manger du gras et du sucre, faire de l'exercice quotidiennement, mettre sa ceinture de sécurité, cesser de fumer... et ça n'en finit plus! Il y a toujours quelque chose pour nous culpabiliser... Mais, pendant ce temps, on oublie d'attaquer la source des problèmes de santé.»
        Selon la chercheure, iI ne faut donc pas tant mettre l'accent sur des changements de comportement individuels que se questionner sur l'accessibilité à l'éducation et aux ressources qui permettent d'adopter des comportements recommandés. Nous sommes les «fruits» de la société dans laquelle nous vivons.
        «Aussi, poursuit-elle, on parle d'un côté d'environnement et de santé de l'autre, mais on ne traite jamais des déterminants environnementaux de la santé. Il faut aussi penser à la question du soutien social et des relations sociales étroites.» On observe par exemple une plus grande espérance de vie sans incapacité dans les pays où les relations familiales sont étroites.
        «Il ne suffit donc pas de demander aux gens d'adopter tel ou tel comportement, il faut leur donner des moyens, notamment pour accéder à des aliments adéquats, soutient la directrice de l'Institut santé et société de l'UQAM. Il faut aussi faire en sorte que notre société offre des outils qui permettent aux gens d'avoir le temps et les moyens d'adopter de bons comportements. Mais ça, voyez-vous, ce sont des choix de société!»
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, samedi, le 26 mai 2007, p. G7

Montréal, un formidable pole
d’attraction scientifique et culturel

par Claude Lafleur

        «Je suis étonné de voir à quel point les Montréalais ne sont pas fiers de leur ville... et à quel point ils n'ont pas conscience de la place qu'occupe leur ville sur la scène internationale.» Voilà le constat déroutant que dresse Vassilios Papadopoulos, le tout nouveau directeur de l'Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill (CUSM).
        Vassilios Papadopoulos est un éminent biopharmacien qui a le privilège de contempler notre situation de l'extérieur, lui qui vient de passer 20 ans à l'université de Georgetown, à Washington. «Si je suis venu poursuivre ma carrière ici, c'est parce que Montréal représente un réel avancement pour moi.»
        À ses yeux, notre ville figure non seulement parmi les principaux pôles biomédicaux de la planète, mais également comme une colllectivité multiculturelle exceptionnelle.
        Nommé à la tête de l'Institut de recherche du CUSM en novembre dernier, M. Papadopoulos s'installe tout juste dans nos murs. Il jette par conséquent un regard neuf sur nous qui, à vrai dire, l'intriguons passablement. Ainsi, lance-t-il en souriant: «Vous vous demandez si vous avez vraiment besoin de deux grands centres hospitaliers universitaires alors que, pour moi, il me semble évident qu'il vous en faudrait même un troisième!»

La richesse du multiculturalisme

        De tout temps, M. Papadopoulos a baigné dans plusieurs cultures, ce qui gouverne les choix de vie qui l'ont mené jusqu'à Montréal. «Avec un nom comme le mien, vous devinez sans doute que je suis d'origine grecque», avance-t-il en souriant.
        «Je suis né à Athènes, où j'ai fait mes études en pharmacie. D'aussi loin que je puisse me rappeler, j'ai appris le français, l'anglais, le grec et même le grec ancien. Par la suite, j'ai fait mes études doctorales à l'université Pierre et Marie Curie, à Paris. J'ai poursuivi mes recherches postdoctorales en France, puis en Australie. C'est là-bas que j'ai été exposé à la culture anglo-saxonne - très différente des cultures grecque et française (qui se ressemblent à bien des égards). J'y ai aussi fait la connaissance de mon épouse, une chercheure française. Puis, il y a 19 ans, nous avons emménagé à Washington, une ville américaine d'exception puisque très internationale...»
        «Là, nous avons eu une vie vraiment superbe et j'y ai mené une très belle carrière universitaire, d'abord comme professeur adjoint, jusqu'à devenir le directeur de recherche du Centre médical de l'université Georgetown. Mais j'ai fini par avoir l'impression d'avoir à peu près tout fait et j'ai eu le goût de passer à autre chose. Bien sûr, j'ai eu plusieurs autres belles offres, mais mon choix s'est arrêté sur Montréal parce que mon épouse et moi souhaitions conserver le style de vie multiculturel qu'on connaissait à Washington.»
        «Ce qui nous a attirés?, de poursuivre M. Papadopoulos. Premièrement, Montréal est une véritable capitale culturelle. Or, ma famille et moi avons toujours baigné dans un milieu multiculturel - nous parlons trois langues à la maison - et c'est ce qu'on adore. Deuxièmement, l'université McGill est l'une des plus réputées au monde. Troisièmement, avec ses quatre grandes universités, Montréal est un endroit idéal pour réaliser de grands projets de médecine.»
        En fait, relate le biopharmacien, notre ville est l'un des très rares endroits du globe où se trouve la gamme complète des institutions permettant de mener à bien autant des travaux de recherche fondamentale que des applications cliniques jusqu'au développement de nouveaux médicaments. «Il y a aussi la façon dont le Québec appuie la recherche pour créer un environnement exceptionnel qui fait de Montréal l'un des endroits les plus réputés en pharmaceutique, insiste M. Papadopoulos. De surcroît, il y a en ce moment la construction des deux grands hôpitaux universitaires, ce qui constitue pour moi une occasion qui ne se représentera pas deux fois dans une vie! Et n'oublions pas qu'il y a des vols directs pour Athènes et pour Paris... Tout compte fait, mon choix n'a pas été si difficile!», conclut-il en riant.

À l'avant-garde de la recherche planétaire

        En juillet, Vassilios Papadopoulos assumera à temps plein la direction de l'Institut de recherche du CUSM. Il supervisera alors le travail de plus de 500 chercheurs et de 1000 étudiants diplômés et postdoctoraux, en plus de poursuivre ses propres travaux.
        «Si je viens m'installer ici, explique le scientifique, c'est que je perçois très bien que la recherche s'oriente actuellement vers des développements très importants et qu'il n'y a pas beaucoup d'endroits sur la planète qui ont la capacité d'orienter cette recherche. Si on veut pouvoir influencer le cours des travaux biomédicaux, il faut se trouver dans un centre comme Montréal, insiste-t-il. Il faut en fait disposer de plusieurs outils dont, entre autres, des centres hospitaliers universitaires des plus avancés, comme ceux qu'on est en train de bâtir à Montréal.»
        «Vous savez, on dit souvent que Boston est la Mecque de la recherche biomédicale, enchaîne M. Papadopoulos. Mais savez-vous que cette ville compte une demi-douzaine de grands hôpitaux universitaires?! Boston ne serait pas le pôle biomédical qu'il est s'il n'y avait pas tous ces grands hôpitaux universitaires. Et Montréal ne deviendra pas ce à quoi il aspire s'il n'a pas le CHUM et le CUSM! C'est pourquoi je dis qu'il en faudrait même un troisième... mais ça, c'est mon opinion personnelle.»
        Un autre aspect qui étonne le chercheur, c'est nos récriminations répétées envers notre système de santé. «En lisant les journaux, je constate qu'il ne s'écoule pas une semaine sans qu'on parle de quelque chose de négatif à propos des hôpitaux, observe Vassilios Papadopoulos. Bien sûr, il y a des problèmes - de sérieux problèmes même -, mais en même temps, on évoque rarement les formidables progrès réalisés dans nos hôpitaux. On traite maintenant des maladies qui étaient incurables il n'y a pas si longtemps, dont le cancer du sein. Les gens vivent de plus en plus longtemps et ils sont en bien meilleure santé qu'autrefois. Or, une partie de ces progrès a été réalisée ici même à Montréal, grâce à des travaux menés dans les hôpitaux qu'on dénonce semaine après semaine.»
        «Bref, si j'avais une baguette magique, j'aimerais renverser cette tendance pour faire en sorte qu'on parle plus souvent du travail formidable qui se fait ici à Montréal!», de conclure ce Montréalais d'adoption.
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, samedi, le 26 mai 2007, p. G6

Que Montréal et le Québec
cessent d'être «timides»

par Claude Lafleur

        Il devient de plus en plus difficile d'attirer des congrès à Montréal étant donné la concurrence féroce que nous livrent d'autres villes, rapporte Jacques Corcos, président du Club des ambassadeurs du Palais des congrès. Comment contrer une tendance...
        «On voit que les congrès se déplacent vers Vancouver et Toronto, observe le président du Club des ambassadeurs. Nous sommes confrontés à la concurrence grandissante des villes nord-américaines. On perd par conséquent des congrès, ce qui est fort dommage étant donné toutes les retombées - certaines incalculables - qu'apportent de telles réunions à notre ville et à notre collectivité.»
        Depuis deux ans, Jacques Corcos préside un regroupement de membres sélect puisque, pour faire partie du Club des ambassadeurs, il faut avoir présidé à l'organisation d'une rencontre internationale au Palais des congrès de Montréal. Par conséquent, le Club rassemble surtout des scientifiques et des gens d'affaires qui sont fiers de leur ville et qui ont à coeur son épanouissement. C'est ainsi que Jacques Corcos, chef du département d'urologie de l'Hôpital général juif et reconnu mondialement pour son expertise dans le domaine de l'incontinence urinaire, a présidé la 35e rencontre annuelle de l'International Continence Society, qui s'est tenue à Montréal en août 2005.
        «Pourquoi organise-t-on un congrès dans sa ville?, demande-t-il. Certainement parce qu'on veut la montrer à nos collègues! Si on vivait dans un coin pas très agréable, on n'organiserait pas un congrès chez soi. On éprouve donc une certaine fierté d'appartenir à notre collectivité et on veut la développer...»
        Or, c'est justement pour tirer profit de la fierté manifestée par les présidents de congrès passés que le Palais des congrès a créé en 1985 son Club des ambassadeurs. Ces ambassadeurs ont pour mission de sensibiliser des personnes clés autour d'eux qui pourraient un jour attirer au Palais des rencontres nord-américaines ou internationales. «Chaque président de congrès devient donc, s'il le veut bien, un ambassadeur de la ville de Montréal, résume le docteur Corcos. On cherche ainsi à créer un effet boule de neige afin de générer encore plus de congrès. Les membres du Club regardent donc dans leur milieu et parmi leurs collègues pour voir s'il n'y aurait pas quelqu'un qui, potentiellement, pourrait organiser un congrès. Personnellement, je crois beaucoup au pouvoir de ces ambassadeurs.»

Favoriser la migration des «cerveaux»

        Comme on l'imagine aisément, la tenue de grands événements à Montréal stimule énormément l'économie locale et le tourisme. Ainsi, le Palais des congrès rapporte que les 183 événements qu'il a accueillis durant son année 2005-06 ont attiré 610 000 visiteurs et généré 188 000 nuitées, pour des retombées économiques de 250 millions de dollars.
        Pour sa part, le docteur Corcos fait valoir que l'assemblée qu'il a présidée en 2005 a attiré 3500 congressistes et leurs accompagnants provenant de 68 pays. «Cela représente probablement un total de 5000 personnes qui sont demeurées ici durant une semaine», dit-il. Bien entendu, la première retombée d'une telle rencontre est d'ordre économique, mais, insiste le président des ambassadeurs, les congrès donnent également lieu à de multiples autres retombées aussi incalculables qu'importantes.
        «Le fait de recevoir des milliers de congressistes donne une vision et une impression de Montréal que ceux-ci n'avaient pas nécessairement avant leur venue, dit-il. Ainsi, depuis le congrès de 2005, j'ai rencontré nombre de mes collègues qui m'ont dit: "Quelle ville extraordinaire! Tu as vraiment de la chance de vivre là-bas!"» Ces visites confèrent en outre un rayonnement à Montréal qui peut avoir d'autres retombées. «De retour chez eux, lorsqu'ils apprennent qu'il y aura un autre congrès à Montréal, les congressistes peuvent dire à leurs collègues: "Vas-y, c'est une ville superbe! Tu verras... il faut absolument que tu voies cela!" Autrement dit, ces congressistes en encouragent d'autres à venir nous visiter.»
        De surcroît, le docteur Corcos rapporte même qu'après avoir découvert Montréal, certains désirent s'y établir. «Je sais que lorsqu'on organise une assemblée à Montréal, il y a toujours des participants qui envisagent ensuite de venir travailler ici, rapporte-t-il. Peut-être que leurs démarches ne se concrétisent pas nécessairement - puisqu'il y a souvent des barrières assez complexes à franchir -, mais il n'empêche qu'il y a toujours quelques chercheurs qui découvrent la ville ainsi que nos universités...» Le docteur Corcos souligne au passage que tout congrès scientifique donne une visibilité importante à nos universités, ce qui contribue à leur renommée internationale.
        «Jusqu'à quel point les congrès scientifiques génèrent-ils la migration de scientifiques?, se demande-t-il. Combien de "cerveaux" sont-ils venus s'établir à Montréal à la suite de congrès? Personne ne possède de données là-dessus, mais il ne fait aucun doute qu'il y a des répercussions de ce genre. Je puis vous dire qu'on en parle entre nous...»

Les Montréalais... pas assez audacieux !

        Selon le président du Club des ambassadeurs, il est assez facile de «vendre» Montréal à l'étranger. Toutefois, nous ne possédons pas les installations nous permettant d'accueillir tous les congrès qui sont à notre portée. «Nous ne sommes pas capables de recevoir la majorité des grands congrès américains, qui rassemblent de quinze à vingt mille médecins spécialistes, rapporte Jacques Corcos. Par contre, Vancouver a maintenant ce qu'il faut, de même que Toronto.»
        «Or, voyez-vous, on touche là à l'un des principaux problèmes qui affecte Montréal et le Québec: notre timidité. Ainsi, il y a quelques années, on aurait dû plus que doubler les capacités du Palais des congrès. En fait, à mon avis, on ne fait pas les choses avec assez d'envergure, et, pour cette raison, on se coupe des possibilités. Tant qu'à agrandir le Palais [comme on l'a fait il y a cinq ans], on aurait dû faire un truc gigantesque capable d'accueillir les grands congrès internationaux.»
        «Je dirais qu'on a un problème de timidité. On a un site exceptionnel, mais, malheureusement, on n'a pas les gouvernements visionnaires qui osent prendre des décisions audacieuses, lance cet amoureux de Montréal. Il faut dire aussi qu'on n'a pas non plus une population qui soutient ce genre de vision. On a toujours peur que... Mais il nous faut aller de l'avant et oser faire des choses spectaculaires!»
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, samedi, le 2 juin 2007, p. G7

Gaston Déry : faire sa part
pour préserver notre Terre

par Claude  Lafleur

        Le Comité écologique du Grand Montréal ainsi que Gaston Déry, propriétaire de l'Île-aux-Pommes, sont les colauréats du Phénix pour la mise en valeur de milieux naturels et de la biodiversité. Surtout, ils nous offrent l'exemple de ce que peuvent faire concrètement des citoyens «ordinaires» pour préserver notre planète.
        Le Comité écologique du Grand Montréal (CEGM) a transformé le boisé des Pères, un dépotoir non autorisé au coeur du quartier Rosemont, en un habitat naturel dont jouissent à présent les citoyens riverains. Quant à Gaston Déry, il a transformé une île quasi déserte, située au large de Trois-Pistoles, en un milieu où s'épanouissent des colonies d'oiseaux et d'animaux marins.
        «En restaurant le milieu faunique du boisé des Pères, nous voulions non seulement rétablir le caractère écologique de cet écosystème, mais également faire en sorte que les familles, les enfants et les personnes âgées se réapproprient ce milieu de vie exceptionnel», relate Erik Basil, président du Comité écologique du Grand Montréal.
        «Pour sauver notre petite planète bleue, il faut que chacun de nous pose des gestes concrets, insiste Gaston Déry. Pour ma part, j'ai eu le privilège de pouvoir rétablir un milieu naturel en plein estuaire du Saint-Laurent.» L'un comme l'autre rapportent qu'ils seront ravis si leur exemple pouvait inspirer ne serait-ce qu'une seule personne...

«Un "Bed & Breakfast" pour canards»

        La famille Déry possède l'Île-aux-Pommes depuis 1927. Toutefois, ayant été laissée à elle-même, l'île était devenue un rocher presque dénué de végétation et habité par 20 000 goélands. «À 28 ans, lorsque j'ai acquis l'île de mon père, elle n'était plus qu'un tas de roches couvert de goélands, raconte Gaston Déry. Pour vous dire, on pouvait la repérer juste à l'odeur - et ce n'est pas une caricature - tant il y avait de goélands dessus! Mais ma formation de forestier m'a permis de voir qu'il y avait là un environnement avec un potentiel énorme... à condition de s'en occuper.»
        M. Déry a donc entrepris de transformer son île en un paradis pour oiseaux, en particulier pour les canards eiders. En collaboration avec le Service canadien de la faune et la société Canards illimités Canada, il a développé un ambitieux plan d'aménagement favorisant la végétation et décourageant quelque peu les goélands. «Ces oiseaux nichant toujours dans des milieux découverts, on savait que si on favorisait la régénération des arbustes et des plantes herbacées, cela les découragerait alors que, de leur côté, les canards apprécieraient une si belle place. On a en quelque sorte développé un "Bed & Breakfast" pour canards!»

Un travail réparti sur un quart de siècle !

          M. Déry a ainsi investi «25 ans d'amour, de passion, d'énergie et d'argent» dans son île. Il a d'abord fait un brûlage contrôlé afin de régénérer la végétation, ce qui a entre autres favorisé la pousse des framboisiers. Il a ensuite planté des boutures de groseilliers et quelques épinettes. Mais, surtout, il a permis à la nature de faire le reste. «On a en fait donné un coup de pouce à la nature, dit-il, puis nous sommes devenus les gardiens des lieux.»
        Résultat, l'Île-aux-Pommes héberge aujourd'hui non seulement 3000 canards eiders, mais également des colonies de goélands, de cormorans, de mouettes et même de petits pingouins. Elle joue en outre un rôle d'incubateur dans la région de Trois-Pistoles puisque les résidants constatent avec ravissement la présence de davantage de canards. «Et comme l'île est un endroit paisible, des mammifères marins viennent s'y reposer, rapporte avec joie Gaston Déry. Il ne se passe pas une journée sans qu'on y voie un loup marin... et, en arrivant la semaine dernière, j'avais un harfang des neiges qui m'attendait! Tout un privilège...»
        Le propriétaire des lieux s'empresse toutefois d'ajouter que l'île est une propriété privée qui n'est pas ouverte au public puisqu'il s'agit d'un environnement fragile. «Aujourd'hui encore, nous devons nous en occuper de près, dit-il. On doit par exemple s'assurer que des renards ne viendront pas s'y établir. Et comme la nature a horreur du vide, si je n'occupe pas l'île, d'autres le feront.» En fait, Gaston Déry considère que, s'il a le privilège d'être propriétaire de l'Île-aux-Pommes, il a surtout la responsabilité d'en être le gardien.

Redonner à la nature, et aux citoyens, un boisé

        C'est le même esprit qui anime les passionnés du Comité écologique du Grand Montréal, un organisme sans but lucratif créé en 1995 afin de sensibiliser la population à la préservation de l'environnement. «Nous avons été le premier organisme Écoquartier de Montréal, évoque Erik Basil. Nous avons commencé par sensibiliser les citoyens à l'amélioration de l'environnement urbain tout en les motivant à s'engager dans des activités concrètes.»
        À cette fin, en 1999, le comité s'est attaqué à la renaturalisation du boisé des Pères, situé à l'arrière de l'hôpital Maisonneuve. «Ce boisé de six hectares est un vestige de l'ère agricole de Montréal, explique M. Basil. Lorsque nous sommes arrivés sur les lieux, il y avait des revendeurs de drogue, de la prostitution masculine... alors que les gens du voisinage venaient y déposer leurs rebuts!»

Un grand ménage

        «Nous avons commencé par organiser des corvées de ménage afin de rendre l'endroit un peu plus agréable, poursuit-il. Nous avons sorti plus de dix tonnes de matériaux divers!» Les citoyens du comité ont ensuite entrepris de restaurer les aménagements fauniques en réintroduisant 69 espèces indigènes. Ils y ont planté 949 arbres, 4337 arbustes et 2478 plantes herbacées en plus d'aménager des sentiers écologiques. Ils ont en outre rétabli le milieu humide asséché dans les années 1950, dans l'espoir d'y voir s'épanouir des amphibiens.
        «Le projet n'est pas terminé, indique M. Basil, puisqu'il reste encore quatre phases d'intervention. Un milieu naturel en région urbaine ne peut subsister par lui-même. Il est "sur respirateur artificiel" puisqu'il subit un stress constant de la part de tous les usagers et des visiteurs qui s'y trouvent. Et nous, nous ne voulons surtout pas empêcher les gens d'y venir. Au contraire même, puisque notre but est de faire en sorte que les riverains se réapproprient la nature. Bref, il sera toujours nécessaire d'entretenir le boisé des Pères car, autrement, il pourrait se détériorer assez rapidement et revenir à son état de délabrement...»
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, samedi, le 8 septembre 2007, p. B3

Comment vaincre l'analphabétisme

par Claude Lafleur

        Selon les plus récentes données, 49% des Québécois âgés de 16 à 65 ans n'ont pas la capacité de lire suffisamment bien pour fonctionner dans notre monde moderne. À défaut d'un meilleur terme, indique Maryse Perreault, présidente-directrice générale de la Fondation pour l'alphabétisation, on les considère comme des analphabètes, même s'ils savent lire. «Ces personnes n'ont pas les habiletés requises pour remplir un emploi de qualité raisonnable, pour faire face et s'adapter aux changements, pour aider leurs enfants à l'école ou, tout bonnement, pour jouer leur rôle de citoyen», résume-t-elle.
        On compte au Québec 800 000 adultes qui sont incapables de lire une phrase au complet ou d'en dégager le sens. Il y en a également 1 700 000 autres qui éprouvent d'énormes difficultés: par exemple, ils peuvent comprendre le titre des articles d'un journal mais pas un paragraphe. Une autre donnée importante, relate Maryse Perreault, est le fait que 37% des jeunes adultes (16-25 ans) sont à ces niveaux. «C'est dire que l'analphabétisme se retrouve partout dans la pyramide des âges de notre société», dit-elle.
        Néanmoins, la situation s'améliore, puisqu'il y a dix ans on comptait un million d'analphabètes graves, au lieu de 800 000. «On fait des progrès, relate Mme Perreault, bien qu'il ne s'agisse pas de progrès spectaculaires. Il faut dire que nous ne disposons pas non plus de budgets spectaculaires pour combattre l'analphabétisme!»

Enracinement profond

        Comment expliquer qu'en 2007, dans une société aussi informatisée que la nôtre, tant de personnes et, surtout, tant de jeunes soient analphabètes?
        Il y a plusieurs facteurs qui entrent en jeu, indique la p.-d.-g. de la Fondation pour l'alphabétisation. «La première raison, et la plus évidente, dit-elle, c'est que l'éducation n'est pas valorisée dans le milieu familial.» De surcroît, l'analphabétisme se transmet d'une génération à l'autre. «Il est très rare que des universitaires engendrent des enfants analphabètes, illustre Maryse Perreault, alors que, très souvent, les enfants qui décrochent de l'école ont des parents sous-scolarisés et analphabètes.»
        «Les enfants qui naissent dans un milieu défavorisé partent perdants avant même qu'un professeur ne leur ait adressé la parole, poursuit-elle. L'analphabétisme est donc plus qu'un problème d'éducation, c'est une problématique sociale plus vaste. Voilà pourquoi il est si difficile de lutter contre elle.»

S'attaquer au problème par les deux bouts

        Puisque l'analphabétisme a une composante intergénérationnelle, il faut l'aborder simultanément «par les deux bouts», indique Mme Perreault. Il faut à la fois se préoccuper autant des enfants que des parents. À cette fin, la Fondation a mis sur pied deux programmes: La Lecture en cadeau, pour les enfants, et le service d'aide et de référence téléphoniques Info-Alpha, pour les adultes.
        «Nous ne faisons pas comme telle de l'alphabétisation, explique Mme Perreault, puisque l'offre de formation est abondante partout au Québec.» L'écueil principal réside au niveau de la demande. «Les adultes qui éprouvent des problèmes ne sont pas tentés de chercher de la formation, dit-elle. La plupart du temps, il s'agit de gens qui ont décroché de l'école, qui n'ont pas aimé l'école et que l'école n'a pas aimés...»
        En collaboration avec le ministère de l'Éducation, la Fondation mène des campagnes de promotion là où se retrouvent les personnes en difficulté. «Entre autres, nous sensibilisons et outillons les intervenants des CLSC, les infirmières, les organisateurs communautaires, le personnel du Centre local d'emploi, etc., pour faire en sorte que leur clientèle qui a besoin de notre aide nous appelle.»
        Toutefois, il peut s'écouler des années entre le moment où une personne en difficulté obtient le numéro de la ligne Info-Alpha (1 800 361-9142) et celui où elle le signalera. «Ce n'est pas rare qu'on nous appelle après trois ans, indique Maryse Perreault. La première chose que nous faisons, c'est d'écouter. Généralement, la personne qui nous appelle a besoin de parler, de dire ce qu'elle vit: "Je suis allée à l'école et ç'a mal été, nous dit-elle. Je n'ai pas eu la chance d'apprendre..." Un appel dure en moyenne vingt minutes, parfois même jusqu'à une heure. Et lorsque cette personne se dit prête à entreprendre une formation, on lui demande ce qu'elle en attend, puis on la dirige vers la ressource appropriée.»
        Des adultes de tout âge et de toute condition appellent à la ligne Info-Alpha, précise Mme Perreault. Il y a cependant davantage de femmes que d'hommes, tout bonnement parce que, souvent, ce sont des aidants naturels (plutôt des aidantes naturelles) qui appellent pour leur fils ou pour leur mari. «Il est fréquent qu'une tierce personne fasse les premières démarches», dit-elle.
        C'est ainsi que, bon an mal an, la Fondation reçoit de deux à trois mille appels téléphoniques et qu'elle a à ce jour aidé plus de 65 000 personnes.

« Mon premier livre à moi ! »

        L'«autre bout du problème» - les jeunes enfants - est traité par l'entremise du programme La Lecture en cadeau. À l'occasion du Salon du livre de Montréal, la Fondation invite les visiteurs à acheter un livre jeunesse neuf destiné à un enfant de 1 à 12 ans. Ces livres sont ensuite distribués via un réseau d'écoles primaires en milieu défavorisé, de CPE et d'organismes communautaires. «Puisqu'un enfant qui aime lire aura beaucoup moins de difficultés à l'école, nous faisons ainsi de la prévention en développant son rapport au livre», explique Mme Perreault.
        Pour ces enfants, recevoir un livre neuf est un cadeau merveilleux. «Vous devriez voir l'étincelle qui brille dans leurs yeux, rapporte Mme Perreault. Lorsqu'on procède aux distributions, au mois de mai, on voit des enfants qui n'en reviennent pas qu'un adulte ait pris la peine de choisir un livre pour eux et qui le lui dédicace...»
        Les donateurs sont en outre invités à inscrire leurs coordonnées sur une carte postale insérée dans le livre qu'ils donnent. «Vous devriez voir les enfants s'appliquer à écrire un petit mot sur la carte postale ou à faire un dessin, relate tout sourire Mme Perreault. C'est très touchant de les voir aller...»
        Le programme La Lecture en cadeau est aussi une façon pour la Fondation de sensibiliser le grand public au fait que beaucoup d'enfants n'ont pas accès à la lecture. Il y a neuf ans, lors de la première année du programme, la Fondation a distribué deux mille livres dans la région de Montréal. En mai dernier, elle en a remis 25 293 à travers le Québec. «Évidemment, nous ne pouvons évaluer quel impact a notre programme, mais nous sommes certains qu'il ne peut pas faire de tort... bien au contraire!», lance, emballée, Maryse Perreault.
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, samedi, le 13 octobre 2007, p. G8

Donald Smith : les tribulations
d’un spécialiste des plantes

par Claude Lafleur

        Dans son laboratoire de Sainte-Anne-de-Bellevue, Donald Smith cherche à comprendre comment les plantes se nourrissent et comment on peut les aider à croître. Spécialiste du mécanisme de fixation de l'azote, ce biologiste voit ses recherches en écophysiologie soulignées par l'attribution du prix Michel-Jurdant.
        Donald Smith met au jour des connaissances fondamentales qui mènent tout droit à des applications pratiques en agriculture. Ainsi, ses recherches ont grandement favorisé l'essor de la culture du soja au Québec alors que certaines de ses découvertes sont maintenant commercialisées à travers le monde. «Au départ de ma carrière, je me suis concentré sur la fixation de l'azote sur les racines des plantes, dit-il. Je me suis aussi intéressé à l'utilisation de l'azote par les plantes et à la manière dont on peut aider leur croissance en le leur en fournissant.»
        Pourquoi un intérêt aussi pointu de la part d'un jeune chercheur? À vrai dire, Donald Smith ne le sait pas vraiment. «Oh, voyez-vous, j'ai grandi sur une ferme [en Nouvelle-Écosse]. J'ai pu observer la croissance des plantes et j'ai vu le rôle que jouent les engrais en agriculture... C'était donc la chose la plus naturelle pour moi que de m'intéresser aux plantes.» Et pourquoi avoir entrepris une carrière scientifique? «Tout bonnement parce que, lorsque j'étais jeune, quantité d'émissions de télé nous montraient les merveilles de la science. Et puis, j'étais abonné à des magazines de science pour jeunes... La science, c'était donc une chose naturelle pour moi, si je puis dire!»

L'azote, ce gaz inerte si vital aux plantes

        Le chercheur entreprend donc de se spécialiser dans la croissance des plantes. «Sur la ferme comme dans mes recherches, dit-il, j'observais les plantes en constatant que certaines choses les aident à grandir et d'autres pas. C'était pour moi un intérêt très concret, très pratique et c'est tout naturellement que j'en suis venu à me demander pourquoi?» C'est tout bonnement de cette façon que s'est amorcée la quête scientifique d'un grand chercheur.
        C'est même par accident, durant ses études, que l'apprenti-chercheur en vient à se passionner pour la fixation de l'azote. «Lors d'une excursion de terrain, j'ai aperçu quelque chose de curieux collé à un rocher, se rappelle M. Smith. J'en ai gratté un peu à l'aide de ma carte d'étudiant et l'ai ramené en laboratoire. Là, j'ai découvert qu'il s'agissait d'une sorte de cyanobactérie, ce qui m'a amené à lire quantité de choses sur la fixation de l'azote par les plantes.»
        L'azote est ce gaz inerte qui compose les trois quarts de l'atmosphère que nous respirons. «Il est intéressant de constater que les deux principales composantes de notre air - l'azote et l'oxygène - sont le fruit d'activités biologiques», note fièrement le biologiste.
        Normalement, les plantes parviennent difficilement à extraire l'azote dont elles ont besoin pour croître. «Elles doivent recourir à différentes stratégies, indique le spécialiste, dont s'associer à des bactéries. Ce sont des mécanismes fort intéressants à étudier.» C'est aussi pourquoi les agriculteurs et les jardiniers fournissent de l'azote à leurs plantes par l'entremise d'engrais.

Pourquoi le soja cesse-t-il de croître ?

        Les premiers travaux du professeur Smith visent donc à comprendre les mécanismes de fixation de l'azote par les racines des plantes, recherches fondamentales qui présentent beaucoup d'intérêt pour la mise au point d'engrais.
           L'expertise du chercheur l'amène à s'installer au Québec en 1985, là où il observe un phénomène qui pique sa curiosité. À l'époque, la culture du soja était peu répandue puisque cette plante pousse difficilement chez nous. Les cultivateurs et les agronomes remarquaient que, si les graines semblaient germer normalement, leur croissance marquait une pause inexpliquée. «Personne ne comprenait ce qui se passait, se rappelle M. Smith. Mais on constatait qu'au bout d'un certain temps, les plants de soja se remettaient à croître normalement. What the heck was going on?!», lance-t-il en guise d'interrogation.
        Fort de ses connaissances sur la fixation de l'azote, il réalise quelques expériences. «Je savais que le soja est originaire des régions chaudes de la Chine, dit-il. J'imaginais ainsi que le métabolisme de la plante est adapté à la chaleur. J'ai donc fait des expériences en laboratoire... et, pour faire une histoire courte, j'ai montré que les racines de soja réagissaient mal à la fraîcheur du sol québécois.»
        Au printemps, lorsque mises en terre, les graines de soja germent normalement mais, le sol étant frais, la plante suspend sa croissance jusqu'à ce qu'il se réchauffe suffisamment. D'un point de vue scientifique, la fraîcheur du sol empêcherait les bactéries d'approvisionner la plante en azote. Pour contourner le problème, le biologiste décide d'enrober les graines d'un composé de bactéries qui, même si le sol est frais, permet à la plante d'amorcer sa croissance normalement.
        Cette découverte fondamentale mène à des brevets et débouche sur la mise au point d'un stimulant pour graines. Résultat, Donald Smith crée sa propre petite entreprise - une «spin-off» scientifique - pour commercialiser son invention. C'est ainsi que naît, en 1996, Bios Agriculture et que, en partie grâce aux travaux de son équipe, la culture du soja prend beaucoup d'ampleur au Québec.

Les frustrations du monde des affaires

        En réalité, Bios Agriculture a tant de potentiel qu'elle est rachetée en 2002 par l'entreprise ontarienne Agribiotics. Puis, celle-ci est à son tour absorbée par une multinationale américaine, lEMD Crop Biosciences.
        Cette aventure, si formidable soit-elle, s'avère pourtant une grande déception pour le chercheur. «J'ai totalement perdu le contrôle de mes découvertes, constate-t-il avec amertume. Je sais que dans le monde des affaires ça se passe comme ça, mais pour moi, il m'a fallu du temps pour me remettre de cette expérience.»
        «Ce qui me désole encore davantage, ajoute-t-il, c'est que mes découvertes ont été financées par l'argent des contribuables canadiens. Et voilà qu'aujourd'hui, c'est une multinationale qui en profite!» Et comble de frustration, EMD Crop Biosciences ne mentionne nullement dans son site Internet les contributions de l'équipe de Donald Smith.
        Heureusement qu'entre-temps, le biologiste a poursuivi sa carrière en diversifiant énormément ses travaux. Il est même devenu le directeur du département des sciences végétales de l'université McGill. C'est ainsi qu'il se consacre désormais à l'écologie des cultures agricoles ainsi qu'aux changements climatiques appliqués à l'économie biologique. Comme quoi, la passion, ça ne meurt jamais.
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, samedi, le 13 octobre 2007, p. G6

André Veillette : un humble chercheur
qui fait de grandes découvertes

par Claude Lafleur

        André Veillette fait de grandes découvertes sans trop se poser de grandes questions existentielles. Dans son laboratoire de l'Institut de recherche clinique de Montréal, ce médecin étudie les fins mécanismes du système immunitaire: pourquoi, lors d'une infection, notre organisme réagit-il comme il le fait? Ou pourquoi, dans le cas d'une maladie auto-immune comme le lupus, réagit-il avec tant de virulence que le malade risque d'en périr? Voilà le genre de questions qui intéressent ce passionné de recherche fondamentale.
        Le Dr Veillette est du genre à ne pas trop se poser de questions dans la vie. Ainsi, pourquoi est-il devenu chercheur en médecine? «Étant premier de classe, j'ai tout bonnement fait mes études de médecine à l'université Laval, répond-il. J'avais 17 ans et ce n'était pas un choix bien réfléchi! Puis, c'est en réalisant ma résidence à l'université McGill que j'ai été exposé à la recherche. Et j'ai commencé par m'intéresser à l'immunologie et à l'oncologie tout simplement parce que les patients dont je m'occupais en souffraient...» Quant à son intérêt pour le fonctionnement du système immunitaire, c'est par hasard qu'il s'y est consacré.
        En fait, confie le Dr Veillette, ce qui l'intéresse depuis toujours, c'est le fonctionnement des choses, tel un enfant qui ouvre le boîtier d'une montre pour voir comment s'imbriquent les engrenages. «J'ai toujours eu la curiosité de comprendre comment ça marche, dit-il, et je n'aime pas qu'on me dise que c'est "comme ça...". Je veux savoir le pourquoi des choses. Je me rappelle que, lorsque je faisais mes études de médecine, je désirais comprendre pourquoi une maladie a telle ou telle conséquence. J'étais donc naturellement intéressé par les phénomènes de base qui expliquent la biologie humaine.»

Aux portes des gènes du cancer

        Au terme de sa résidence, le Dr Veillette amorce «une longue réflexion faite de plusieurs consultations» qui l'amène à décider de se surspécialiser en oncologie. «À cette époque - au milieu des années 1980 -, des médecins qui en savaient beaucoup plus que moi m'ont dit que la recherche sur le cancer allait bientôt exploser et qu'il y aurait des développements très importants, surtout grâce à la génétique, raconte le chercheur. C'est donc la voie que j'ai empruntée en me disant qu'il y aura des tas de choses à comprendre et beaucoup de recherches fondamentales et cliniques à faire.»
        Le jeune médecin se rend donc étudier deux ans au prestigieux National Cancer Institute de Bethesda, au Maryland. Il apprend alors les rudiments de la recherche clinique, c'est-à-dire tester des thérapies sur des patients. «Presque tous nos patients suivaient des protocoles cliniques, souligne-t-il. Nous testions donc sur eux de nouveaux médicaments ou de nouvelles combinaisons de médicaments pour essayer d'améliorer le traitement de différentes maladies.»
        Il poursuit ses études avancées au NCI durant cinq ans. «Au fil des ans, on nous permettait de mener nos propres travaux, se rappelle-t-il. J'ai donc entrepris d'identifier les gènes jouant un rôle dans le développement des cancers du sein et du côlon.» Curieusement, ses collègues ne l'encouragent nullement à poursuivre ce chemin: «Tous me disaient: "C'est trop compliqué, tu ne trouveras jamais rien. Depuis des années, on cherche sans jamais rien trouver!" Mais moi, je m'y suis plongé naïvement, sans trop me poser de questions.»
        Or, contre toute attente, le Dr Veillette obtient de très bons résultats. «J'ai commencé par me poser des questions simples, puis j'ai développé les outils nécessaires pour y répondre. J'ai été chanceux puisque j'ai fait des découvertes à propos du système immunitaire qui ont eu un impact réel.» Le Dr Veillette découvre entre autres des «portes» qui donnent accès à l'intérieur d'un gène intervenant dans le cancer du côlon, ouvrant ainsi la voie à de nouvelles thérapies. Ces découvertes fondamentales permettent actuellement à des chercheurs de l'industrie pharmaceutique d'explorer de nouvelles avenues thérapeutiques.
        Au terme de ces années d'études aux États-Unis, le Dr Veillette décide de revenir au Québec, d'abord comme chercheur à la faculté de médecine de l'université McGill, puis à l'Institut de recherche clinique de Montréal.

Les engrenages du système immunitaire

        Tant à McGill qu'à l'Institut, il approfondit ses travaux entamés aux États-Unis et, une fois de plus, il fait d'importantes découvertes fondamentales. Entre autres, il découvre ce qui se passe à l'intérieur des globules blancs lorsqu'un organisme est agressé. Il s'agit d'un mécanisme comportant trois éléments: SLAM, Fyn et SAP. Lorsque SLAM reçoit un message en provenance du système immunitaire, il avertit SAP qui s'empresse d'ordonner à Fyn de produire des anticorps. Or, si l'un ou l'autre de ces engrenages ne remplit pas son rôle, la chaîne de commandement est brisée et le système immunitaire déraille. On estime que cette découverte pourrait un jour permettre de mettre au point des médicaments efficaces contre le lupus, le diabète juvénile et l'arthrite rhumatoïde.
        «Aujourd'hui, je poursuis mes travaux concernant ce mécanisme, poursuit André Veillette. Il y a d'autres secrets à percer. On sait par exemple que SLAM est un récepteur et qu'il y en a six autres. On essaie donc de comprendre ce que chacun fait. Par ailleurs, on sait que SAP a deux "cousins" et on cherche à connaître leur fonction. Et il y a probablement autre chose encore que Fyn qui peut être observé... Voyez-vous, c'est comme le mécanisme d'une montre, on veut comprendre comment tout fonctionne...»
        «Comme vous le voyez, enchaîne-t-il, il s'agit de recherches fondamentales qui permettent de comprendre ce qui se passe... Or moi, j'essaie toujours de trouver quels sont les mécanismes primaires de phénomènes biologiques pertinents à la santé humaine.» Le chercheur lance même, mi-sérieux mi-badin, qu'il se pose toujours des questions simples, parce qu'il ne s'estime pas «assez intelligent pour trouver des choses compliquées»!
        «En fait, ajoute-t-il, je ne me pose pas trop de questions, j'essaie de faire le mieux ce que j'ai à faire avec ce que j'ai.» À cette fin, il dirige une «merveilleuse petite équipe» d'une dizaine de chercheurs qui lui procure beaucoup de satisfaction. «Je préfère diriger une petite équipe faite de gens qui sont vraiment passionnés par ce qu'ils font, plutôt qu'une grosse équipe... Je préfère les petits pots avec les meilleurs onguents!», lance-t-il en riant.
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, samedi, le 27 octobre 2007, p. G4

Sylvain Martel : des missiles
téléguidés contre les tumeurs ?

par Claude Lafleur

        Une équipe d'ingénieurs a réussi une prouesse technologique remarquable: téléguider une bille dans l'artère carotide d'un porc. «Nous avons ouvert la voie de la robotique pour faire des interventions médicales, relate fièrement Sylvain Martel, chercheur au laboratoire de nanorobotique de l'École polytechnique de Montréal. Nous avons démontré qu'il est possible de contrôler une bille de 1,5 millimètre à l'intérieur d'un être vivant.»
        Le système de navigation mis au point par l'équipe de Sylvain Martel pourrait servir à acheminer des médicaments en des endroits très précis du corps. Il pourrait aussi être utilisé à la manière de missiles téléguidés pour attaquer des tumeurs cancérigènes.
        Autre attrait: les ingénieurs se sont servis d'un appareil médical en usage dans les hôpitaux - un système d'imagerie par résonance magnétique (IRM) - pour guider leur bille. Or, le fait de recourir à un appareil existant, au lieu d'en inventer un de toute pièce, facilitera d'autant l'implantation des applications médicales découlant de leur innovation.
        L'équipe de Polytechnique a, dans les faits, réalisé une première mondiale en contrôlant au moyen de logiciels les déplacements d'une microbille à l'intérieur d'un animal placé dans un appareil d'IRM.
        «Pour commencer, un chirurgien a introduit la bille dans l'artère d'un porc vivant, le modèle animal se rapprochant le plus de l'être humain», précise le professeur Martel. Puis l'animal a été placé dans un appareil d'imagerie médicale identique à ceux qu'on retrouve dans maints hôpitaux. «Dès que notre système a repéré la bille, poursuit-il, il en a pris le contrôle et l'a dirigée selon une trajectoire prédéterminée.»
        C'est le magnétisme dégagé par l'appareil d'imagerie qui a propulsé la bille, celle-ci ayant fait dix allers-retours dans l'artère à une vitesse moyenne de 10 cm/sec. «C'est la réalisation d'un rêve en nanorobotique, souligne le chercheur, puisque jamais personne n'était parvenu à contrôler à distance un objet à l'intérieur d'un être vivant.»

Embûches

        Parmi les embûches qu'ont dû franchir les ingénieurs, il y a eu la nécessité de cartographier parfaitement le vaisseau sanguin dans lequel allait circuler la bille. Il fallait aussi développer les logiciels permettant de guider la bille de façon automatique. «C'est un peu comme contrôler une fusée dans l'espace», illustre M. Martel. Enfin, il a fallu installer ces logiciels sur un appareil d'IRM, «une opération délicate puisqu'il s'agissait d'un système en opération dans un hôpital». En collaboration avec des médecins du Centre hospitalier de l'Université de Montréal, les chercheurs de l'École polytechnique ont mis trois années pour parvenir à leurs fins.
        «À notre connaissance, nous sommes les premiers à avoir démontré qu'il est possible de contrôler les déplacements d'une bille dans un vaisseau sanguin», relate Sylvain Martel.
Il s'empresse cependant de souligner que son équipe a utilisé une bille de la taille de la pointe d'un stylo à bille (1,5 mm), «ce qui est énorme en nanorobotique». À terme, ses collègues et lui espèrent naviguer dans les plus petits vaisseaux sanguins au moyen de billes 750 fois plus petites. «Ce que nous visons, c'est le contrôle de billes de deux micromètres seulement», dit-il.
        Il confirme du coup que des tests avec de petites billes ont été réalisés en laboratoire, mais pas encore sur des êtres vivants. «Il y a de nombreuses différences entre contrôler une bille de 1,5 millimètre et une de deux micromètres, dit-il, notamment sur le plan des forces qui entrent en jeu. Mais nous sommes en train de développer les outils nécessaires pour y parvenir et ça avance bien...»

Une arme de guerre contre les tumeurs

        Pourquoi chercher à téléguider des billes de deux micromètres seulement? «Parce que nous désirons atteindre les petits capillaires qui ne sont pas accessibles à l'aide de cathéters, indique M. Martel. Nous voulons aussi, pour certaines applications médicales, pouvoir utiliser des grappes de milliers de nanobilles.» En fait, cette dimension correspond à la moitié du diamètre des vaisseaux sanguins qui alimentent les tumeurs.
        «Voyez-vous, lorsqu'une tumeur commence à se développer, il y a un stade très précis de son développement durant lequel nous pourrions intervenir sur elle», explique l'ingénieur. La tumeur tisse un réseau de minuscules vaisseaux sanguins qui servent à l'alimenter. Ces capillaires sont détectables à l'aide des appareils d'imagerie médicale, mais on ne peut pour l'instant les atteindre puisqu'ils sont trop petits.
        Si on pouvait téléguider des chapelets de nanobilles enduites de médicaments appropriés jusque dans ces capillaires, on pourrait ainsi attaquer la tumeur avant qu'elle ne se développe trop. «Il y a donc une fenêtre qu'on voudrait exploiter pour cibler la tumeur avant qu'elle n'affecte l'organisme», souligne M. Martel.
        Son équipe cherche donc à mettre au point des missiles antitumeurs - porteurs de substances toxiques comme celles utilisées en chimiothérapie - pour viser le coeur de la tumeur. «De la sorte, au lieu de bombarder tout l'organisme avec de la chimio - avec les effets secondaires qu'on connaît -, nous pourrions mener des attaques ciblées et moins dommageables pour l'organisme», propose l'ingénieur.
        Forts de la technique de téléguidage dont ils ont fait la démonstration, les chercheurs de Polytechnique travaillent actuellement avec des laboratoires spécialisés pour mettre au point des nanobilles capables de transporter des médicaments existants. Bien entendu, il leur faudra des années pour mettre au point leur système. «Pour l'instant, notre défi consiste à concevoir un système de guidage qui permettra de nous rendre jusque dans les plus petits vaisseaux sanguins», indique M. Martel.
        «Nous travaillons avec des équipes médicales spécialisées en oncologie et on a déjà démontré en laboratoire qu'on peut liquider des tumeurs, dit-il. Il reste cependant encore beaucoup de travail à faire, sauf que tout devrait fonctionner d'ici, je pense, deux à quatre ans.»
        Sylvain Martel ne peut cependant pas estimer combien de temps s'écoulera avant que son système puisse traiter des patients. «Tout ce que je puis vous dire, laisse-t-il filer, c'est que je pense que notre technologie sera disponible d'ici quelques années... Mais combien de temps faudra-t-il pour obtenir toutes les approbations nécessaires à une utilisation chez l'humain? Ça, c'est une tout autre histoire!»
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, samedi, le 3 novembre 2007, p. G5

Neuroimagerie fonctionnelle :
Une plongée dans le cerveau

par Claude Lafleur

        De véritables prodiges sont réalisés grâce aux plus récentes techniques d'imagerie médicale, rapportent deux chercheurs spécialisés dans l'étude du cerveau.
        «Grâce à l'imagerie par résonance magnétique, nous observons comme jamais auparavant le fonctionnement du cerveau», relate Julien Doyon, directeur scientifique de l'Unité de neuroimagerie fonctionnelle de l'Institut universitaire de gériatrie de Montréal.
        «Certains d'entre nous observent comment le cerveau normal fonctionne ainsi que l'effet du vieillissement, relate Ouri Monchi, adjoint au directeur scientifique de l'Unité de neuroimagerie fonctionnelle. Ainsi, on constate que les performances d'une personne vieillissante ne diminuent pas nécessairement avec l'âge, mais que son cerveau travaille plus fort pour obtenir le même résultat.»
        À cette fin, les chercheurs utilisent des appareils d'imagerie par résonance magnétique (IRM) semblables à ceux qu'on retrouve dans les hôpitaux. Toutefois, leur laboratoire est doté de certains des appareils les plus performants au monde. Ceux-ci permettent non seulement d'examiner avec une précision inégalée l'anatomie du cerveau, mais surtout de voir comment il fonctionne. Ces techniques d'imagerie médicale représentent une véritable révolution puisque ce genre d'observations ne pouvaient se faire autrefois que sur des sujets décédés ou des animaux sacrifiés.

Voir comment on pense

        «Nos appareils d'IRM nous permettent d'observer une multitude de fonctions du cerveau, indique
        M. Doyon. On peut entre autres étudier le fonctionnement de la mémoire et du langage ainsi que les structures du cerveau concernées par la planification de la pensée et la résolution de problèmes. On peut aussi étudier l'effet de maladies ou de lésions.»
        Opérationnelle depuis trois ans, l'Unité de neuroimagerie fonctionnelle accueille une quarantaine de chercheurs qui y mènent plus d'une centaine de projets de recherche.
        «La neuroimagerie fonctionnelle est l'observation du cerveau qui permet non seulement d'étudier ses structures, mais de les voir à l'oeuvre», précise M. Doyon. «Plusieurs axes de recherche sont menés à l'Institut universitaire de gériatrie, indique son collègue Monchi. Le Dr Doyon et moi faisons partie de l'axe neuroscience cognitive et neuroimagerie.»
        Dans son laboratoire, M. Monchi étudie entre autres la maladie de Parkinson alors que des collègues s'intéressent aux troubles légers de la cognition ou encore à la maladie d'Alzheimer. D'autres chercheurs de cette unité étudient le cerveau chez des sujets normaux afin de comprendre quels sont les bons facteurs du vieillissement. «On peut aussi tenter d'observer les effets des traitements sur certaines maladies, ajoute Julien Doyon. Ou encore, on peut chercher de quelle façon on peut aider les patients qui sont sur le point de développer la maladie d'Alzheimer ou qui en sont au tout début, etc.»
        «L'une des choses qu'on peut faire maintenant, mais qui nous était inaccessible avant l'IRM, est d'étudier les problèmes du langage qui apparaissent en vieillissant, illustre M. Monchi. Comme vous le savez, il arrive que des personnes âgées développent une certaine hésitation en parlant. Nous savons aussi qu'en vieillissant le cerveau fonctionne plus lentement. La question qui se pose est donc: est-ce parce que le cerveau fonctionne plus lentement qu'on parle avec hésitation ou s'agit-il de deux phénomènes distincts? Nous menons actuellement des travaux qui visent à répondre à cette question...»
        «Nous sommes un centre d'expertise en neuroimagerie au Québec, résume le directeur du laboratoire, mais il y a plusieurs chercheurs d'un peu partout, y compris d'Europe, qui viennent faire ici des expériences.»

Une révolution : scruter l'ensemble du cerveau

        Les deux chercheurs font en outre état de la mise au point, dans leur laboratoire comme ailleurs dans le monde, d'une nouvelle méthode d'imagerie médicale qui permet d'observer les connexions entre les différentes régions du cerveau. «Nous appelons cela de l'imagerie par tenseur de diffusion, indique M. Doyon. Nous sommes maintenant capables d'observer les axones, ces fameux faisceaux de fibres qui relient les différentes parties du cerveau.»
        Ce qui fascine les chercheurs, c'est que cette approche permet pour la première fois d'observer le fonctionnement global et détaillé du cerveau. «On peut même regarder si la qualité de ces branchements est en train de se dégrader, ce qui est très précieux», poursuit son collègue Monchi.
        Auparavant, on pouvait observer le fonctionnement de certaines parties du cerveau lorsque, par exemple, on demande à un sujet de faire une activité de mémorisation ou de langage. Mais grâce à l'imagerie par tenseur de diffusion, les chercheurs peuvent enfin voir de quelle façon les différentes régions du cerveau sont reliées entre elles et travaillent ensemble. «C'est fantastique!», de lancer Ouri Monchi.
        «Grâce à l'imagerie par tenseur de diffusion, nous étudions le fonctionnement du cerveau dans son ensemble, nous voyons les réseaux travailler ensemble, poursuit-il. Par exemple, nous observons les régions du cerveau qui s'activent lorsqu'on cherche à se rappeler d'un événement: quelles sont donc les structures qui contribuent au souvenir et comment fonctionnent-elles entre elles?»
        Autre genre de questions que la nouvelle technique permet d'aborder: qu'est-ce qui se passe lorsqu'une personne souffre d'une pathologie? Comment réagit son cerveau et comment se réorganise-t-il?
        Mise au point ces dernières années, cette technique ouvre de fascinantes avenues de recherche, estime le directeur scientifique de l'Unité de neuroimagerie fonctionnelle.
        «En fait, j'en suis absolument convaincu, c'est la voie de l'avenir!, dit-il avec enthousiasme. Non
        seulement va-t-on chercher à comprendre comment fonctionne le cerveau, mais aussi comprendre de quelle façon ses réseaux sont affectés par une pathologie.»
        Il estime même que cette technique devrait permettre d'observer les différences entre des personnes normales et celles qui développeront la maladie d'Alzheimer. «Un jour, on pourra prédire qui risque de devenir alzheimer, affirme-t-il. Voilà qui ouvre des perspectives sensationnelles!»
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, samedi, le 10 novembre 2007, p. I2

Jacques Montplaisir :
percer les mystères du sommeil

par Claude Lafleur

        Le Dr Jacques Montplaisir dirige l'une des plus importantes équipes au monde qui se consacrent à l'étude du sommeil. Son laboratoire, à l'hôpital Sacré-Coeur, rassemble une dizaine de chercheurs et vingt-cinq étudiants-chercheurs. Pourtant, lorsqu'il a commencé sa carrière, dans les années 1970, sa discipline ne comptait qu'une poignée de chercheurs. Sa persévérance est aujourd'hui reconnue par l'attribution du prix Wilder-Penfield.
        «En 1975, on a tenu une réunion de gens intéressés par la médecine du sommeil à Chicago, se souvient Jacques Montplaisir. Nous n'étions qu'une dizaine. Aujourd'hui, lors d'un grand congrès sur le sujet, on peut être plus de six mille!»
        Le Dr Montplaisir est un véritable pionnier. Non seulement est-il l'un de ceux qui ont mis en lumière les processus complexes qui surviennent durant le sommeil, mais en plus son équipe a développé des traitements pour contrer certains troubles du sommeil. «Le sommeil a longtemps été perçu comme un phénomène relativement passif, se rappelle-t-il. Or, la première chose qu'on voit, lorsqu'on commence à l'étudier, c'est qu'il s'agit au contraire d'un phénomène très actif durant lequel surviennent beaucoup de changements.»

Ce qui se passe durant la nuit

        C'est dès son adolescence qu'est née cette passion pour le sommeil. «Ça m'a toujours fasciné d'observer et de m'interroger sur ce qui se passe durant la nuit, pourquoi on dort et à quoi ça sert, rapporte Jacques Montplaisir. Je me souviens que, me réveillant la nuit, je regardais avec fascination les gens dormir...»
        Il éprouve dès lors une grande curiosité pour le fonctionnement du cerveau. Dans la bibliothèque du collège où il étudie, il tombe par hasard sur un traité sur le sommeil. «Il s'agissait d'un rapport scientifique qui n'aurait peut-être pas dû se trouver là, note-t-il. En le lisant, j'ai découvert que des gens abordaient la question d'une manière scientifique en plaçant des électrodes sur la tête de sujets pour voir comment ils dorment! Ça m'est resté dans l'esprit...»
        À l'université, le jeune Montplaisir s'intéresse tout naturellement à la biologie humaine, en particulier aux sciences neurologiques. Il effectue donc des études de médecine afin, il le sait déjà, de pouvoir un jour scruter le fonctionnement du cerveau.
        «Ce qui m'intéressait, c'était la physiologie de la conscience, en particulier du sommeil et des différents états de vigilance. C'était un domaine peu connu à l'époque, puisqu'on ne disposait que de peu de moyens d'investigation. De plus, comme médecin, je me suis intéressé aux problèmes associés au sommeil: pourquoi certaines personnes tombent-elles endormies durant la journée alors que d'autres n'arrivent pas à s'endormir le soir? Pourquoi y a-t-il des somnambules? Etc.»
        Dans les faits, le chercheur a le privilège de participer à l'élaboration d'une nouvelle discipline médicale. Ses collègues et lui commencent par décrire les phénomènes normaux qui se passent durant la nuit. Puis ils établissent des critères de diagnostic pour définir les maladies du sommeil. Ils cherchent ensuite à comprendre les mécanismes et les causes de ces maladies avant, éventuellement, de tenter de développer des traitements. «Ça, ç'a été l'un des premiers grands plaisirs de ce travail pour le moins novateur, dit-il. Il n'y avait pratiquement rien d'établi...»

Vers des traitements contre le parkinson?

        Les chercheurs ont ainsi cerné quatre grandes catégories de troubles du sommeil. Il y a d'abord les insomnies, qui affligent ceux et celles qui ont du mal à s'endormir ou qui se réveillent souvent la nuit. Il y a ensuite les troubles de l'hypersomnie, c'est-à-dire la somnolence durant la journée. Il y a les troubles de la parasomnie, soit des phénomènes anormaux qui surviennent durant la nuit, tels que le somnambulisme et le grincement des dents. Enfin, il y a les dérèglements biologiques du sommeil, qui affligent notamment les personnes qui doivent se coucher très tôt ou très tard pour espérer bénéficier d'une bonne période de sommeil. C'est le cas des gens âgés qui se couchent dès 20 heures et des adolescents qui ont du mal à se coucher avant deux heures le matin.
        Le Dr Montplaisir a entre autres observé que certains insomniaques sont victimes du syndrome des impatiences musculaires, une maladie également appelée syndrome des jambes sans repos. «C'est l'une des causes fréquentes d'insomnie, dit-il, particulièrement au Québec.» Heureusement, son équipe a mis au point le traitement standard dont bénéficient des milliers de personnes à travers le monde. Il s'agit de leur administrer un médicament utilisé normalement pour traiter le parkinson.
        Une autre maladie que le chercheur étudie en ce moment est le trouble comportemental en sommeil paradoxal. Il s'agit d'une maladie qui survient généralement chez les personnes âgées de 50 ans ou plus qui se mettent à parler, à crier ou à frapper durant leur sommeil. «Ces personnes ont souvent un comportement agressif qui survient généralement vers la fin de leur nuit», indique le Dr Montplaisir. Mais, surtout, ce qu'on a découvert, c'est que les deux tiers de ceux et celles qui en souffrent vont ultérieurement développer une maladie dégénérative, en particulier le parkinson.
        «C'est une maladie qui nous intéresse tout particulièrement, puisqu'elle nous permet d'identifier une population à haut risque de développer la maladie de Parkinson, indique le médecin. On essaie ainsi de développer des traitements, dits de neuroprotection, qui empêcheraient ces personnes de devenir parkinsoniennes. Nous pensons avoir trouvé des traitements qui semblent avoir des propriétés de neuroprotection, mais il est encore trop tôt pour en être certain.»
        Entre-temps, son équipe et lui, tout comme ses collègues d'un peu partout sur la planète, s'intéressent à des questions plus générales qui nous concernent tous. Ainsi, le Dr Montplaisir aimerait bien savoir ce qui se passe durant une bonne nuit de sommeil pour que, le matin venu, on se sente tout ragaillardi. «Quelles sont donc les fonctions réparatrices du sommeil?, demande-t-il. Et pourquoi ces fonctions se détériorent-elles avec l'âge?» Il s'intéresse également au rôle précis du sommeil dans les processus cognitifs, notamment en matière de mémorisation et de traitement de l'information.
        Comme quoi, même après trois décennies de recherche, la curiosité du spécialiste est toujours aussi éveillée. «Il y a plein de choses qu'on ignore encore à propos du sommeil...», laisse-t-il filer avec toujours autant de passion.
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, samedi, 10 novembre 2007, p. G4

Soins de santé : privé ou public ?

par Claude Lafleur

        Doit-on permettre la coexistence d'un système de santé à «deux vitesses»? Quelle place devrait-on accorder au privé dans notre système public de santé?

        Pour résoudre ce genre de questions, il importe d'abord de distinguer deux aspects fondamentaux: le financement du système de santé et la prestation des soins. C'est du moins ce que recommande Damien Contandriopoulos, qui dirige la Chaire sur la gouverne et la transformation des organismes de santé.
        «Le financement du système peut être public ou privé, affirme-t-il. Le financement public provient bien entendu des revenus de l'État, donc de la taxation et des impôts, alors que le financement privé vient en grande partie d'assurances que l'on contracte soit individuellement ou en groupe.»
        Quant à la prestation - qui donne les soins -, M. Contandriopoulos constate qu'on a déjà un système largement mixte. «On n'a qu'à penser aux médecins qui pratiquent dans leur cabinet ainsi qu'aux cliniques privées qui sont actuellement existantes», dit-il. Pour l'heure, la prestation des soins est en grande partie défrayée par du financement public. Toutefois, cela pourrait changer... pour le meilleur ou pour le pire?
        Voilà précisément la question à laquelle se consacre ce chercheur en administration de la santé au Groupe de Recherche interdisciplinaire en santé (GRIS) de l'Université de Montréal. «Le GRIS regroupe une centaine de spécialistes qui travaillent sur les meilleures façons de s'assurer que les populations soient en santé, indique M. Contandriopoulos. Nous menons depuis longtemps des travaux sur comment financer les soins de santé et sur comment les organiser. L'un des thèmes sur lesquels je travaille, c'est la répartition public/privé et le mouvement actuel vers une plus grande privatisation.»

Serions-nous mieux traités dans le privé ?

        Au niveau de la dispensation des soins, Damien Contandriopoulos rapporte que quantité d'études ont été menées au fil des ans, particulièrement aux États-Unis où le public et le privé sont largement répandus et où les cliniques et hôpitaux privés peuvent être ou non à but lucratif.
        «Ce qu'on observe, dit-il, c'est qu'il est probablement mieux pour un patient d'être hospitalisé dans une institution à but non lucratif, qu'elle soit privée ou publique. On y retrouve en effet les meilleurs taux de survie par suite d'une maladie grave, un plus haut taux de recours aux meilleures pratiques, etc.»
        Il ne s'agit cependant pas d'un constat inébranlable, s'empresse-t-il d'ajouter: «Les preuves ne sont pas absolument claires puisqu'on peut trouver autant le pire que le meilleur dans l'un ou l'autre des systèmes. Toutefois, de grandes études comparatives montrent que les hôpitaux qui n'ont pas un but lucratif sont significativement meilleurs.»

Pourquoi ne pas se payer ses propres soins ?

        Quant au financement, la situation est très nette, rapporte M. Contandriopoulos: «Le public est largement supérieur au privé, quelle que soit la situation!»
        Premièrement, rares sont les personnes qui peuvent se payer des soins de santé, surtout lorsqu'elles sont atteintes d'une maladie grave. «Le coût des soins est souvent largement au-delà de ce que peut payer 99,9% de la population, résume le spécialiste. On doit donc recourir à des assurances.» La plupart du temps, il s'agit d'assurances privées obtenues par l'entremise d'un employeur.
        Deuxièmement, que se passe-t-il lorsqu'on doit combattre, par exemple, un cancer? «Au bout d'un certain temps, comme vous êtes relativement invalide, votre employeur finit par vous mettre à la porte», relate M. Contandriopoulos. De ce fait, il vous prive de vos bénéfices d'assurance, alors que vous avez encore besoin de traitements. Théoriquement, vous pouvez recourir aux programmes publics, mais si vous avez des biens - une maison, une auto, des économies, etc. -, vous n'êtes pas admissible... Vous devez donc défrayer vos soins, jusqu'à ce qu'il ne vous reste plus rien...

Gaspillage de fonds publics ?

        Néanmoins, on a tous l'impression que l'administration publique de la santé est une bureaucratie qui coûte cher et qui utilise à mauvais escient quantité d'argent. C'est tout le contraire, rapporte le spécialiste en administration de la santé. «C'est un mythe que de penser que le système public gaspille de l'argent dans une lourde structure administrative», tranche-t-il.
        De fait, l'administration d'un système privé gobe de 15 à 30% de la totalité des sommes en jeu, comparativement à de 3 à 6% pour l'administration d'un système public. «Cette énorme différence s'explique parce que le second est beaucoup plus simple que le premier», explique-t-il.
        Prenons l'exemple de la Régie de l'assurance maladie du Québec, suggère Damien Contandriopoulos. Chaque fois qu'un patient consulte un médecin, la RAMQ reçoit une facture et, à la fin du mois, elle émet un chèque à son intention. «Comme il y a quelques milliers de médecins au Québec, elle n'émet que quelques milliers de chèques chaque mois.» Quant aux hôpitaux, le ministère de la Santé alloue des sommes selon les besoins de chacune de ces institutions.
        Par contre, dans un système privé, la plupart des actes médicaux doivent être autorisés par l'assureur privé. «Chaque assureur a une armée de médecins chargés de surveiller la pratique de leurs collègues et de recommander ou non un traitement, rapporte M. Contandriopoulos. Vous avez des dizaines de milliers de personnes qui ne font que ça!»
        C'est ainsi qu'aux États-Unis, les frais d'administration des assurances de santé dépassent la totalité de ce qu'on dépense au Canada en tout et pour tout dans la santé, rapporte-t-il. C'est dire que ces frais supplantent ce qu'il en coûte pour traiter plus de trente millions de personnes!

Une médecine publique et privée ?

        Ne pourrait-on pas permettre à nos médecins de travailler à la fois pour le public et pour le privé? Pour Damien Contandriopoulos, ce serait là la pire des choses à faire. «Que feront alors nos médecins?, pose-t-il. Ils joueront sur les deux tableaux.»
        Ainsi, dans un premier temps, ils se plaindront auprès du gouvernement que, puisque le privé leur octroie davantage que ce qu'on leur attribue, ils n'ont guère d'intérêt à demeurer dans le public. «On va donc être obligé de leur offrir les mêmes conditions que le privé», dit-il. Mais que feront-ils par la suite? Ils se retourneront vers le privé en se demandant pourquoi travailler dans ce secteur puisque le public leur offre autant. «Le privé n'aura d'autres choix que de leur octroyer un supplément... Et ainsi de suite!»
        «Pourquoi pensez-vous que les États-Unis consacrent 15% de leur PIB à la santé, alors que ce n'est que de 8 à 10% pour les autres pays industrialisés?, lance enfin Damien Contandriopoulos. C'est précisément pour cette raison!»

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© Claude Lafleur, 2008
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