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samedi, le 24 mars 2007, p. g8
Dre Marie-Dominique Beaulieu
:
au secours du médecin
de famille
par Claude Lafleur
Comme toute pratique médicale, la médecine familiale a besoin
de se développer ainsi que de produire et de diffuser de nouvelles
connaissances. C'est la fonction première de la chaire Dr Sadok-Besrour
en médecine familiale, créée en l'an 2000 à
l'Université de Montréal.
La médecine familiale est la clé de voûte de notre
système de santé. Comme le relate la docteure Marie-Dominique
Beaulieu, un médecin de famille règle quantité de
problèmes de santé, à la fois ponctuels mais qui concernent
également la prise en charge, le suivi et la coordination des soins
à assurer aux personnes affligées par des maladies complexes
ou chroniques. «Je pense qu'on comprend de plus en plus à
quel point ce professionnel rend beaucoup de services et joue un rôle
clé dans le système de santé», résume-t-elle.
Première du genre au Québec, la chaire Dr Sadok-Besrour en
médecine familiale contribue à accroître la capacité
de recherche en médecine familiale non seulement au Québec,
mais au Canada et sur le plan international. Elle soutient aussi la formation
de jeunes chercheurs et accueille des étudiants et professeurs de
l'étranger, en particulier ceux venant de Tunisie et des pays émergents.
Titulaire de la chaire Besrour, Marie-Dominique Beaulieu se définit
comme une passionnée de médecine familiale. «J'en suis
passionnée comme un cardiologue est passionné de cardiologie
ou un pneumologue de pneumologie!»
Le secteur privé s'implique
La chaire qu'elle dirige a été instituée grâce
aux efforts déployés par le Dr Sadok Besrour. Tunisien formé
à la médecine en France, il a été l'un des
membres fondateurs en 1979 de la clinique de médecine familiale
de l'hôpital Notre-Dame (où il pratique toujours). «Pour
lui, c'était essentiel que la médecine familiale prenne sa
place dans les activités de recherche, relate Dre Beaulieu. Ainsi,
comme toute autre discipline scientifique, la médecine familiale
doit réaliser des travaux pour contribuer à la vie académique.»
Le Dr Besrour a donc entrepris de convaincre le département de médecine
familiale du CHUM de la nécessité de fonder une chaire de
recherche. Puis, il est parvenu à mobiliser la communauté
des affaires pour financer son projet.
Chose remarquable d'ailleurs, le financement de la chaire est assuré
en grande partie par les contributions de particuliers, notamment celles
du fondateur lui-même, ainsi que de la famille et de la Fondation
J.-Armand-Bombardier, de Power Corporation, de la Fondation du CHUM et
de l'Université de Montréal.
Améliorer l'accessibilité
aux soins
Globalement, la chaire Besrour étudie comment la médecine
familiale gère les problèmes auxquels elle est confrontée.
Elle s'intéresse entre autres à l'accessibilité aux
soins ainsi qu'à la prise en charge de certains problèmes
de santé. Par exemple, les chercheurs se penchent sur les défis
que représente l'implantation dans la société des
groupes de médecine familiale. Ils étudient aussi l'organisation
des services de santé dans les collectivités rurales et isolées
du Québec. Ils s'intéressent également à des
questions telles que: comment les futurs médecins conçoivent-ils
leur rôle et se sentent-ils préparés à l'assumer
à la fin de leur formation?
«L'un de nos projets de recherche, indique Dre Beaulieu, a consisté
à dresser un diagnostic sur l'accessibilité et la continuité
des soins, tels que le vivent les utilisateurs. On a ainsi mené
une enquête auprès de 100 cabinets de médecins au Québec
et auprès de 3000 patients pour cerner les problèmes d'accessibilité
et de continuité. Avec cette étude, on a cherché à
déterminer les caractéristiques des cliniques qui offraient
le meilleur service et le meilleur suivi. Cela nous permet d'avoir une
idée à savoir s'il y a un nombre optimal de médecins,
comment organiser leurs horaires, le rôle de l'infirmière,
etc. Cette recherche, qui vise à améliorer l'accessibilité
et la continuité, a été largement diffusée
dans le système de santé.»
Une autre recherche consistait à observer de près l'implantation
de cinq groupes de médecine familiale. «Cette recherche a
permis de voir comment s'est passée l'implantation des GMF et l'impact
que cela a eu, commente Marie-Dominique Beaulieu. Les données ainsi
recueillies sont utilisées pour guider l'implantation de nouveaux
groupes de médecins de famille.»
La chaire du Dr Besrour réalise également des projets en
collaboration avec d'autres groupes de chercheurs. Ceux-ci se sont notamment
penchés sur les facteurs qui déterminent les choix de carrière
pour une pratique obstétricale en médecine. Ils se sont aussi
intéressés
à l'influence des modes d'organisation des services de santé
auprès des groupes défavorisés, etc.
«Comme vous le voyez, la chaire est là pour produire des connaissances
scientifiques, résume la titulaire. Mais notre mission est aussi
de rendre nos travaux les plus visibles possible afin qu'ils soient utiles.
Par conséquent, la chaire doit s'impliquer dans les réflexions
et dans la formation. On essaie donc de faire beaucoup de vulgarisation
scientifique et de favoriser la diffusion de nos résultats.»
Patience, messieurs les politiciens...
En cette ère de réorganisation perpétuelle du système
de santé, les chercheurs de la chaire Besrour observent la situation
avec intérêt. «Il me semble que, en matière de
médecine générale - dans les soins directs aux patients
-, on est sur la bonne voie, estime Dre Beaulieu. Je dirais même
que de bonnes décisions ont été prises dans la foulée
de la Commission Clair et je souhaite qu'on assure une continuité...
En fait, l'une des choses qui m'apparaît très importante,
c'est de maintenir le cap et d'accepter que les changements ne donneront
pas des résultats concrets en quelques semaines!»
En conséquence, le message que la spécialiste aimerait livrer
à nos politiciens serait qu'ils permettent au personnel du réseau
de la santé de réaliser les changements sans toujours les
obliger à se réorganiser. «On est en train de prendre
les bonnes décisions, dit-elle, et je sens qu'il se passe actuellement
des choses fort intéressantes dans le réseau quant à
l'amélioration de l'accessibilité, de la continuité
et de la coordination des services offerts aux patients. Il faut donc,
me semble-t-il, faire preuve de patience et garder le cap...»
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samedi, le 24 mars 2007, p. G8
Timothy Geary :
ces parasites qui profitent
de nous !
par Claude Lafleur
McGill abrite sur le campus Macdonald l'unique Institut nord-américain
de parasitologie du continent. La question là posée est simple:
pourquoi, des millions de parasites existant, une trentaine seulement trouvent-ils
refuge dans l'organisme humain? À propos des mystères de
l'évolution.
«La majorité des espèces animales sont des parasites,
indique Timothy Geary, directeur par intérim de l'Institut de parasitologie
de l'université McGill. Cela signifie, du point de vue de l'évolution,
qu'être parasite est la meilleure façon d'assurer la survie
d'une espèce.»
«Cela signifie également pour nous, êtres humains, que
nous risquons à tout moment d'être infectés ou attaqués
par une myriade de parasites de toutes sortes», enchaîne-t-il.
Or, curieusement, bien qu'il existe des millions et des millions de parasites,
seule une trentaine d'espèces parviennent à nous parasiter.
«Comment ceux-ci réussissent-ils là où tant
d'autres échouent? Voilà l'une des grandes questions que
mes collègues et moi étudions.»
Mieux vaut prévenir...
Le Québec compte l'une des très rares, sinon même l'unique
équipe de chercheurs spécialisés en Amérique
du Nord en parasitologie, la science fondamentale des parasites. «Les
parasites ont longtemps été un problème sur notre
continent, notamment ceux causant la malaria», relate M. Geary. De
ce fait, jadis, un grand nombre d'universités avaient leur département
ou leur école de parasitologie. Mais une bonne partie des problèmes
ayant été réglés grâce au traitement
des eaux, son équipe constitue aujourd'hui le seul institut de parasitologie
du continent.
Les problèmes de santé provoqués par les parasites
sont par contre loin d'être inexistants. Ainsi, le professeur Geary
relate que près du tiers de l'humanité est infecté
par des parasites, alors que la malaria tue plus de deux millions de personnes
par année! «De surcroît, avec les voyages et les migrations
de plus en plus fréquentes, ainsi que dans la foulée des
changements climatiques, notre société sera de plus en plus
confrontée à des problèmes de parasitisme. Déjà,
les maladies tropicales affectent non seulement les voyageurs, mais également
ceux et celles qui travaillent à l'étranger, alors que nos
soldats qui combattent en Afghanistan sont confrontés à des
problèmes de parasites.»
Par conséquent, la douzaine de chercheurs qui oeuvrent au sein de
l'Institut de parasitologie s'attaque à des questions qui concernent
autant des problèmes qui affligent les populations des pays en développement
que des enjeux qui nous touchent directement. «À l'Institut,
nous faisons de la recherche, notamment en collaboration avec l'industrie
pharmaceutique, qui sert à développer de nouveaux médicaments,
précise Tim Geary. Nous formons également une soixantaine
d'étudiants aux techniques et aux traitements avancés des
infections parasitaires.»
Sur le terrain et...dans
les fermes
En tant que centre de recherche universitaire, l'Institut réalise
des travaux fondamentaux ainsi que des études de terrain, notamment
au Cameroun et au Panama. Ainsi, le professeur Geary étudie un parasite
qui provoque une grave infection auprès de 150 millions de personnes
à travers le monde. «Je cherche à comprendre comment
ce parasite réussit à demeurer à l'intérieur
de nous durant 10 ou 15 ans sans être détecté par notre
système immunitaire. Comment fait-il pour passer inaperçu?»
Les chercheurs s'intéressent également aux problèmes
parasitaires chez les animaux - problèmes affectant autant les animaux
de ferme que les animaux de compagnie au Québec, tout comme à
travers l'Amérique. «Je pense que, à la suite des changements
climatiques qui s'en viennent, on verra davantage d'infections parasitaires
chez nos animaux, estime le chercheur. Par contre, je ne pense pas que
ce sera le cas pour nous, les humains, puisque la plupart des infections
qui nous affligent proviennent des eaux usées. Or, tant et aussi
longtemps qu'on continuera de traiter nos eaux, on ne devrait pas rencontrer
trop d'infections. Il faudra par contre suivre de près les migrations
de populations.»
L'Institut de parasitologie est en outre le noyau de tout ce qui se fait
dans ce domaine au Québec. Ainsi, il héberge le Centre de
recherche sur les interactions hôte-parasite, qui regroupe les spécialistes
en la matière provenant de l'université Laval, de l'Université
de Montréal à Saint-Hyacinthe, de l'Institut Armand-Frappier
et de l'Université du Québec à Montréal ainsi
que, bien entendu, ceux de l'université McGill.
«En réalité, ce réseau de chercheurs existait,
sous une forme ou une autre, depuis longtemps, indique le professeur Geary.
Mais il y a cinq ou six ans, le gouvernement du Québec a fondé
un centre de recherche spécialisé afin de rassembler tous
les spécialistes qui s'intéressent aux relations particulières
qui existent entre les parasites et les hôtes qui les hébergent.»
Peut-on vraiment vivre sans
parasites ?
Compte tenu du fait que des millions de parasites existent mais qu'une
trentaine seulement parviennent à nous parasiter, les membres du
Centre de recherche sur les interactions hôte-parasite cherchent
à déterminer ce que ces derniers ont de particulier. «Comment
parviennent-ils à nous déjouer, se demande Tim Geary, à
s'installer en nous et à mener leur existence sans qu'on réussisse
à s'en débarrasser?»
Il y a même des parasites qui n'infectent que les humains et aucune
autre espèce animale. «Pourquoi?, se demande le chercheur
intrigué. Ce sont là des questions de biologie fondamentale
aussi intéressantes qu'importantes. En effet, si on parvenait à
cerner comment s'y prennent ces parasites et à trouver leur point
faible - donc la façon de les attaquer -, on pourrait mettre au
point des vaccins et des traitements efficaces.»
Par ailleurs, si aux yeux du spécialiste les parasites sont nécessairement
néfastes, il se pourrait par contre qu'on ne puisse se passer d'eux!
Ainsi, diverses recherches semblent indiquer que certaines pathologies
pourraient être dues à l'absence de parasites. Ce pourrait
être le cas, notamment, de la maladie de Crohn (une grave inflammation
de l'intestin) et de l'asthme.
«Curieusement, on observe que ces maladies sont plus répandues
en Occident que partout ailleurs dans le monde», relate le chercheur.
Or, comme elles ont une composante parasitaire alors que nous vivons dans
un environnement de plus en plus aseptisé, on se demande si une
portion de ces cas ne proviendrait pas d'un dérèglement de
notre système immunitaire. Autrement dit, n'ayant pas à combattre
quoi que ce soit, notre système immunitaire finirait par devenir
hypersensible et réagirait «à rien». À
l'appui de cette hypothèse, on combat dans certains cas de telles
réactions en infectant justement le patient! «C'est là,
en tout cas, une piste fort intéressante à suivre»,
d'indiquer le chercheur.
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samedi, le 7 avril 2007, p. G1
Accommodements raisonnables
ou réactions déraisonnables
?
par Claude Lafleur
Le directeur d'un centre communautaire décide de givrer les fenêtres
d'une salle d'entraînement. Une direction d'école choisit
d'allouer un local à la prière. Une direction d'hôpital
aménage un espace pour les clients qui ne mangent pas le type de
nourriture servi à la cafétéria. Un patron d'érablière
privilégie un groupe religieux plutôt que sa clientèle
régulière. Des responsables municipaux dotent leur collectivité
d'un code de vie interdisant les mauvais traitements à leurs citoyennes...
Non, il ne s'agit pas d'accommodements raisonnables, tranchent sans hésiter
Jean-Louis Roy et Jean-René Milot, respectivement président
de Droits et démocratie et docteur en études islamiques à
l'UQAM. Tout au plus s'agit-il de gestes de bonne volonté ou de
bon voisinage, quand ce ne sont pas tout bonnement des faits divers montés
en épingle par des médias avides de scandales.
«Les accommodements raisonnables sont des cas d'exception, explique
M. Roy. Il ne s'agit pas de faits divers, mais de problèmes de fond
qui ont une grande portée. Par conséquent, ce n'est pas à
un directeur général d'hôpital de décider d'un
accommodement raisonnable, mais cela revient à la Commission des
droits de la personne, à un tribunal ou, ultimement, au législateur.
Voyez-vous, on ne peut pas laisser à des individus ou à des
organismes quelconques le soin de redéfinir le Code civil ou le
Code pénal... ça n'a pas de bon sens!»
«Un accommodement raisonnable, au sens juridique du terme, désigne
quelque chose de beaucoup plus précis que ce qu'on entend généralement,
enchaîne M. Milot. Ce dont on parle souvent, ce sont de simples accommodements
comme lorsque, dans la vie de tous les jours, on parle d'accommoder quelqu'un
ou de s'accommoder les uns les autres. Il y a donc toutes sortes de situations
qui peuvent être considérées comme des accommodements,
mais qui ne sont pas des accommodements raisonnables. Et il peut s'agir
d'accommodements avec lesquels vous et moi ne sommes pas nécessairement
d'accord...»
Jean-René Milot est professeur associé au département
de sciences des religions à l'Université du Québec
à Montréal. Il est aussi chercheur au Groupe de recherche
interdisciplinaire sur le Montréal ethno-religieux ainsi qu'au Centre
de recherche sur l'immigration, l'ethnicité et la citoyenneté.
Il cite le cas d'un exploitant d'érablière qui modifie la
composition des mets qu'il sert pour accommoder un groupe qui ne mange
pas de porc. «C'est là tout simplement une stratégie
de commerce, d'échange de services convenus entre un commerçant
et un client, dit-il. Ce n'est pas un accommodement raisonnable.»
Même chose dans le cas des fenêtres givrées du YMCA:
«C'est un cas de "bon voisinage" où l'on essaie de s'entendre
pour éviter les frictions, poursuit le professeur. C'est du bon
voisinage et cela a une valeur.» Pour lui, en effet, ce cas s'apparente
à celui d'un voisin qui se plaindrait qu'un arbre sur votre propriété
fait tant d'ombre sur son potager que ses tomates ne parviennent pas à
mûrir. Ce voisin vous demande par conséquent de couper l'arbre
ou de l'émonder. «Mais cela n'a rien à voir avec un
accommodement raisonnable car, insiste le professeur, en aucun cas votre
voisin ne pourrait réclamer ses droits devant un tribunal!»
Primauté mais accommodement
du droit
Dans les faits, poursuit Jean-Louis Roy, les accommodements raisonnables
touchent des droits protégés par la Constitution et par les
chartes des droits et libertés de la personne. M. Roy préside
d'ailleurs un organisme non partisan, le Centre international des droits
de la personne et du développement démocratique, qui a été
créé en 1988 par le Parlement canadien afin d'encourager
et d'appuyer les valeurs universelles des droits humains et pour promouvoir
les institutions et pratiques démocratiques partout dans le monde.
En collaboration avec des individus, des organismes et des gouvernements,
Droits et démocratie s'emploie à promouvoir au Canada et
à l'étranger les droits humains et les droits démocratiques
tels que définis dans la Charte internationale des droits de l'homme.
«Or, explique-t-il, trois grands principes doivent être rappelés
lorsqu'on aborde la question des accommodements raisonnables: la citoyenneté
commune à tous, le respect du droit établi - et des règlements
qui en découlent -, et l'égalité de tous et chacun.»
En particulier, l'égalité homme-femme - «la grande
bataille du XXe siècle qui est devenue le grand acquis du XXIe siècle»,
souligne au passage M. Roy - ne doit jamais être remise en question.
«L'égalité, c'est non négociable!, dit-il fermement.
De même, il n'y a pas plusieurs types de citoyenneté dans
une société donnée et tous, qui que nous soyons, devons
respecter le droit.»
Cela dit, poursuit-il, il peut y avoir des exceptions à l'égalité,
comme l'indique justement l'article 15 de la Constitution canadienne, et
ce, afin de tenir compte de la situation de groupes vulnérables
ou défavorisés. «Ainsi, explique M. Roy, un accommodement
raisonnable est une modification, pour un motif profond, à une règle
ou à une réglementation qui est commune à tous.»
Une aversion pour les religions
?
«La nécessité de faire un accommodement raisonnable,
explique M. Milot, vient de ce qu'il existe, de temps à autre, un
risque de discrimination ou d'atteinte à la liberté pour
certains individus. Il arrive parfois qu'on s'aperçoive qu'une loi,
sous des apparences neutres, puisse créer des inégalités
si elle est appliquée à la lettre. Il peut y avoir une atteinte
aux droits de quelqu'un, par exemple à sa liberté, ou un
risque de discrimination fondé sur diverses choses, tel un handicap.
Dans ce cas, l'accommodement raisonnable est un moyen trouvé par
les tribunaux pour s'assurer, dans des cas exceptionnels, qu'une loi ou
une norme qui en principe s'applique à tout le monde n'aura pas
d'effets discriminatoires sur certains groupes de personnes.»
Imaginons, propose le professeur Milot, qu'un règlement de l'université
interdise d'admettre les chiens dans les salles de cours. «À
première vue, ça tombe sous le sens, dit-il. Mais ce règlement
peut avoir le même effet que si on disait: "Les aveugles ne sont
pas admis dans les salles de cours".» Dans le cas d'un accommodement
raisonnable, on ne change pas le règlement, on fait tout simplement
une exception pour que des personnes ayant des problèmes particuliers
ne soient pas discriminées.
Toutefois, la notion d'accommodement raisonnable n'implique pas, par exemple,
que tout restaurateur doive nécessairement accommoder un aveugle
avec son chien guide. «Il peut y avoir, dans certains cas, des atteintes
à la liberté ou des formes de discrimination qui peuvent
être justifiées», précise M. Milot. Ainsi, dans
le cas d'un restaurateur, s'il juge que son établissement est trop
petit, que les tables sont trop rapprochées ou qu'il est déjà
difficile de s'y déplacer, il peut juger que la contrainte d'accommoder
une personne aveugle et son chien guide serait excessive ou poserait un
risque pour la sécurité des autres personnes. «Il faut
toujours tenir compte d'un ensemble de facteurs, dit-il, dont les questions
de sécurité. Ainsi, si une conductrice d'autobus qui pratique
l'islam décidait un jour de porter un "niqab", là, ce serait
une question de sécurité publique. On comprendra alors qu'il
sera véritablement justifié de ne pas faire preuve envers
elle d'accommodement raisonnable!»
«En conséquence, enchaîne Jean-Louis Roy, la notion
d'accommodement raisonnable a une portée limitée puisqu'elle
porte sur des choses qui sont significatives. Ce dont on parle souvent
dans les médias, ce sont des compromis comme on en fait tous dans
nos vies, dans notre milieu de travail, etc. Ce sont des compromis pour
pouvoir vivre ensemble correctement sans qu'il y ait de conflits.»
«Le problème, poursuit M. Milot, c'est que souvent, aussitôt
qu'il est question de religion au Québec, certains disjonctent!
En réalité, certains ont des comptes à régler
avec la religion et ils sont incapables de faire la différence entre
leurs états d'âme personnels et ce que dit la loi. D'autres
craignent aussi qu'on revienne à une société religieuse...
Or, on présume souvent que le Québec est un État laïque,
mais cela n'est inscrit dans aucune loi! Il faudrait donc discuter de la
place du religieux dans notre société laïque... mais
ça, c'est un autre débat!»
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samedi, le 21 avril 2007, p. G7
Manquerons-nous d'eau un
jour ?
par Claude Lafleur
Nous avons tous conscience que le «cycle de l'eau» est à
la base de la vie. Sans les précipitations régulières,
sans les bienfaits de l'eau qui humidifie les sols, sans son écoulement
à travers les sols, vers les rivières, les fleuves et les
océans, et sans l'évaporation qui régénère
les pluies, les terres immergées seraient à toute fin pratique
des déserts. Or, ce cycle est non seulement fort complexe, mais
il est tributaire des activités humaines - notamment de la culture
des sols, de la pollution de toute nature ainsi que des changements climatiques
que nous accentuons.
Quelles influences ont donc nos activités sur le cycle de l'eau
et que nous réserve l'avenir en ce qui a trait à cette ressource
essentielle? Voilà en résumé les questions que se
posent les chercheurs du Centre Brace de gestion des ressources en eau
et de l'environnement de l'université McGill. Ce centre rassemble
une équipe de spécialistes de calibre international qui réalise
des travaux à la fois pratiques et théoriques dans le but
autant d'améliorer l'utilisation de l'eau que d'atténuer
les conséquences que provoqueront les changements climatiques.
Diminution de la ressource
ou pénurie ?
«Nous savons maintenant qu'on assistera à d'importantes diminutions
des pluies et des précipitations à la suite des changements
climatiques, rapporte Chandra Madramootoo, chercheur au Centre Brace. Or,
d'après nos modèles mathématiques, nous calculons
que cela provoquera de graves pénuries d'eau chez les populations
et les agriculteurs, et ce, autant dans l'Ouest canadien qu'en Chine, en
Inde, au Mexique et en Afrique.»
C'est dire que, alors qu'on prévoit l'élévation du
niveau des océans, les spécialistes voient en même
temps venir d'importantes baisses du niveau des réserves d'eau douce
à l'intérieur des continents. «Au Canada, rapporte
le chercheur, cette diminution aura de grands impacts. On observera notamment
la baisse du niveau des lacs et des grandes rivières, dont celui
du fleuve Saint-Laurent, ce qui engendrera des problèmes de navigation
pour les navires de grande taille. De surcroît, les municipalités
auront de plus en plus de difficultés à approvisionner leur
population en eau. Et lorsqu'il y a moins d'eau dans un lac ou une rivière,
les polluants qui s'y trouvent sont encore plus concentrés. Et bien
sûr, on aura également des problèmes d'irrigation et
de production des aliments...»
Or, M. Madramootoo, qui est également doyen de la faculté
des sciences de l'agriculture et de l'environnement de McGill, est l'un
des rares spécialistes mondiaux en irrigation. «Je m'intéresse
à cette technique parce que, au Canada comme à l'étranger,
il est essentiel de faire de l'irrigation pour augmenter les récoltes
de légumes, de fruits, de céréales, etc. Je pense
qu'à l'avenir, on devra augmenter de beaucoup nos capacités
d'irrigation justement à cause des effets qu'entraîneront
les changements climatiques. En fait, l'irrigation deviendra vitale si
nous voulons continuer de produire, ici même au Canada, au Québec
et partout ailleurs, les aliments dont nous avons besoin.»
Une nouvelle gestion s'impose
Par conséquent, les chercheurs du Centre Brace ciblent un certain
nombre de domaines d'étude particulièrement critiques. «Tout
d'abord, relate Chandra Madramootoo, nous travaillons sur un programme
de recherches sur les quantités d'eau disponibles maintenant et
dans l'avenir, compte tenu des effets des changements climatiques. Un autre
volet de nos recherches porte sur l'étude des conséquences
de différentes pratiques agricoles sur la qualité de l'eau
en milieu rural. Nous nous intéressons également à
la pollution générée par les fumiers et les engrais,
en étudiant les concentrations de nitrate et de phosphore dans les
rivières et les lacs du Québec, du Canada et dans le monde.
Par ailleurs, un tout autre volet porte sur la gestion de l'eau; dispose-t-on
des mécanismes de gouvernance, aux niveaux fédéral,
provincial et municipal, qui nous permettent d'améliorer la gestion
de l'eau? Nos structures politiques actuelles permettent-elles d'améliorer
la préservation de l'eau et d'impliquer les populations dans les
processus décisionnels? Enfin, on étudie aussi l'impact des
bactéries, des pathogènes et des virus dans l'eau, et sur
la santé humaine...»
Le Centre Brace réalise autant des travaux fondamentaux qu'appliqués.
«Bien souvent, raconte le prof Madramootoo, nous mettons d'abord
au point une solution dans nos laboratoires, puis nous l'essayons sur le
terrain. Par exemple, nous pouvons chercher dans nos laboratoires une technique
de conservation de l'eau, puis nous l'appliquons sur une ferme, dans une
usine ou auprès d'une municipalité afin de vérifier
si elle produit bien les résultats escomptés. Nous développons
aussi en laboratoire des modèles mathématiques qui permettent
de simuler différentes pratiques, pour finalement essayer des méthodes
sur le terrain ou en usine...»
Irriguer autrement
Ainsi, les chercheurs de McGill se préoccupent autant de déterminer
la quantité d'eau dont nous disposerons dans l'avenir que de trouver
des solutions, par exemple, pour conserver l'eau afin de répondre
aux besoins des populations ou développer des méthodes d'irrigation
hautement efficaces.
«Personnellement, ajoute M. Madramootoo, je pense qu'à l'avenir
on recourra davantage à l'irrigation à cause des changements
climatiques. Cela deviendra très, très important si nous
voulons produire suffisamment d'aliments au Québec, au Canada et
dans le monde.»
Il souligne en outre que rares sont les chercheurs qui, comme lui, se spécialisent
dans les techniques d'irrigation. «Or, j'estime qu'il est fort important
de comprendre la nécessité de développer de nouvelles
techniques d'irrigation ainsi que des méthodes de conservation de
l'eau dans le sol en utilisant par exemple différents types de labours»,
indique-t-il.
Parmi les façons de faire face aux pénuries d'eau en agriculture,
Chandra Madramootoo avance l'idée qu'on pourrait génétiquement
modifier les plantes afin de réduire les quantités d'eau
dont elles ont besoin. «Mais est-ce possible?, se demande-t-il. Pour
le savoir, il est essentiel de développer nos connaissances sur
la physiologie des plantes...»
C'est dire aussi que, si tout se passe comme on l'entrevoit au cours des
prochaines décennies, on assistera paradoxalement à des pénuries
d'eau sur les continents en même temps qu'à la montée
des eaux des océans. Malheureusement, cette dernière étant
salée, on ne pourra l'utiliser pour irriguer nos sol. «Dessaler
de l'eau coûte extrêmement cher, d'indiquer M. Madramootoo.
Par conséquent, il ne peut s'agir d'une solution viable. Il nous
faut donc absolument apprendre à utiliser de façon très
efficace toute l'eau [potable] dont nous disposerons!»
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samedi, le 5 mai 2007, p. G6
Devrait-on avoir peur de
la génomique ?
par Claude Lafleur
La génomique, ce formidable outil pour percer les secrets du vivant,
fait-elle peur? Devrait-on la craindre tout autant que les manipulations
génétiques, la possibilité de créer des clones
humains, les expériences sur les cellules souches ou, tout bonnement,
l'existence même des OGM?
«Il y a de grandes peurs autour de la génomique, admet sans
hésiter Carole Jabet, vice-présidente aux affaires scientifiques
de Génome Québec et animatrice d'un atelier tenu dans le
cadre du congrès de l'Acfas. Les peurs qui sont souvent greffées
à la génomique - ce que les gens n'aiment vraiment pas -
sont liées aux mots clés suivants: manipulation des gènes,
clonage [humain], cellules souches, organismes génétiquement
modifiés et transgénèse. Ce sont là des notions
qui, à tort ou à raison, peuvent faire peur. Mais quelqu'un
qui, comme moi, baigne dans ce domaine tous les jours, vous dira: "Non,
ce n'est pas ça, la génomique!"»
Pour Mme Jabet, la génomique est une technique, un outil technologique,
qui a permis ces dernières années d'accroître de façon
prodigieuse nos connaissances du fonctionnement de tout ce qui est vivant.
«Qu'on pense simplement à tout ce que nous apporte le séquençage
du génome humain, dit-elle. C'est comme si d'un seul coup, tout
le vivant s'ouvrait à notre vision!»
Pour donner une idée de la puissance des techniques de génomique,
elle évoque l'identification de la séquence de tous les gènes
d'un être vivant - ce qu'on appelle le séquençage d'un
génome. «Lorsqu'on a commencé à faire du séquençage,
il y a 20 ou 30 ans, dit-elle, il nous fallait trois jours pour identifier
un tout petit fragment, disons un dix-millième d'un ADN. Tandis
que maintenant, grâce aux techniques de génomique, on peut
analyser un génome entier en un après-midi seulement! Or,
c'est fantastique parce que cela nous permet de faire une multitude de
choses.»
Grâce à la puissance de ces techniques d'analyse, la génomique
donne en effet accès à une foule d'applications médicales,
notamment à des thérapies géniques. Ainsi, en séquençant
votre génome, on peut déterminer si vous avez une prédisposition
particulière à développer un certain type de cancer,
le diabète ou quantité d'autres maladies. On peut aussi déterminer
à quel médicament vous réagirez le mieux, ou quel
est celui qui provoquera chez vous le moins d'effets secondaires tout en
étant, au bout du compte, le plus efficace.
«Il y a quantité d'autres applications possibles, poursuit
la spécialiste, notamment en recherche. Ainsi, auparavant, on ne
pouvait étudier que les maladies génétiques liées
à un gène, parce que nos techniques ne nous permettaient
pas d'en repérer plus d'un à la fois. Mais aujourd'hui, grâce
à la génomique - grâce au fait qu'on peut regarder
tous les gènes à la fois -, on étudie les maladies
qui sont reliées à 10, 20 ou 100 gènes. On s'attaque
ainsi aux cancers et aux maladies cardiovasculaires, qui relèvent
d'une multitude de gènes. On passe alors de la génétique
à la génomique, en regardant le génome en entier!
Vous rendez-vous compte des possibilités que cela procure?!»
Les craintes de la génomique
Bien sûr, il va sans dire que la puissance de cette technique a de
quoi inquiéter. Ainsi, rapporte Mme Jabet, il y a des personnes
qui ne veulent absolument pas entendre parler des prédispositions
qu'elles pourraient avoir par rapport à un cancer, une maladie cardiovasculaire,
l'asthme, ou de toute autre vulnérabilité. «Mais certains,
comme moi, diront que c'est au contraire formidable et qu'on veut le savoir
afin de pouvoir être prévenants! Pourtant, d'autres personnes
préfèrent continuer de vivre normalement sans qu'on aille
fouiller dans leurs gènes...»
D'autres personnes redoutent l'utilisation qu'on pourrait faire de ce genre
d'informations. Elles se demandent, à juste titre, si leur assureur
pourrait - ou devrait - avoir accès aux données concernant
leurs prédispositions génétiques. «Mais alors,
c'est comme lorsque vous complétez le questionnaire de santé
requis par un assureur où on vous en demande beaucoup, observe Carole
Jabet. C'est la même chose!»
Ceux qui craignent d'être ainsi victimes d'une nouvelle forme de
discrimination basée sur des tares génétiques doivent
comprendre que, puisque chacun d'entre nous souffre probablement de quelque
prédisposition génétique, on représentera tous
des risques plus ou moins semblables aux yeux des assureurs et que ceux-ci
pourront par conséquent nous offrir une couverture taillée
sur mesure selon nos besoins éventuels.
«Eh oui, il y a aussi des gens qui pensent à manipuler les
gènes, enchaîne Mme Jabet, et bien sûr que la connaissance
du génome va faciliter leur travail! Mais en même temps, il
ne faut pas conclure que les connaissances que nous acquérons seront
nécessairement utilisées à tort. En réalité,
selon moi, de telles peurs ne devraient pas être associées
à la génomique, puisque cette technique permet avant tout
l'acquisition de connaissances pour faire le bien dans une foule de domaines.
Il faut aussi savoir que le clonage, notamment, est interdit, alors que
les thérapies géniques constituent un bénéfice
pour les patients et qu'on doit pouvoir y recourir.»
Pour la vice-présidente aux affaires scientifiques de Génome
Québec, ces craintes bien compréhensibles viennent d'une
méconnaissance et d'une mauvaise compréhension des enjeux
posés par la génomique. Il faut donc que les scientifiques
expliquent en quoi celle-ci consiste, alors que les éthiciens doivent
préciser la manière dont on peut développer et appliquer
des politiques pour éviter les dérives.
«Il faut tenter de contrebalancer le fait que, n'étant pas
encore familiarisé avec les enjeux de la génomique, on a
peur, ce qui est normal, rapporte Carole Jabet. Mais plus on va en parler
- et en parler, ça ne veut pas dire prendre des décisions
pour les gens -, plus on verra clairement de quoi il s'agit.»
C'est précisément à cette fin que les responsables
de Génome Québec présentent cet atelier intitulé
«Génétique, génomique, protéomique, éthique...
Doit-on avoir peur des "iques"?» «Mon plus grand rêve,
de conclure Mme Jabet, c'est que l'on comprenne que, si on prend le temps
de s'informer et de réfléchir, on constate que la balance
penche nettement du côté des bienfaits plutôt que des
méfaits. On veut donc, dans le cadre de l'atelier, démystifier
ce qu'est la génomique et discuter de ce qu'elle peut nous apporter...»
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samedi, le 12 mai 2007, p. H3
Sommes-nous en bonne santé
?
par Claude Lafleur
Il ne s'écoule guère une journée sans qu'on parle
de santé. Bien sûr, l'état de notre système
de santé génère quantité de questionnements
alors que bon nombre de personnes s'inquiètent de leur santé
ou de celle d'un proche. Mais on peut aussi se demander si on a raison
de se questionner autant.
«Lorsqu'on se demande si on est en santé, tout dépend
de la manière dont on définit la chose», répond
Diane Berthelette, directrice de l'Institut santé et société
de l'UQAM. Techniquement, on peut définir la santé comme
étant une expérience de bien-être physique et mental
ainsi que la capacité d'agir sur son milieu, de participer pleinement
à la vie sociale et communautaire.
Pour déterminer si nous, Québécois, sommes en santé,
Mme Berthelette propose d'examiner différents indicateurs pertinents
en les comparant à ceux d'autres pays. «Ce qui est intéressant,
note-t-elle, c'est que l'Organisation mondiale de la santé [OMS]
publie des statistiques qui comparent les pays en fonction de leur position
dans l'échelle pour voir comment ils se situent.»
L'Institut santé et société qu'elle dirige regroupe
110 professeurs répartis dans 23 départements présents
dans chacune des facultés de l'UQAM ainsi que des partenaires de
terrain. «Je vous dirais que ce qui nous caractérise, c'est
notre couleur "uqamienne". Nous rassemblons des chercheurs qui proviennent
des sciences sociales, de la gestion, de l'éducation, de la faculté
des arts, etc. Ce qui nous distingue des autres universités - comme
pour tout ce qui se fait à l'UQAM -, c'est notre habitude de travailler
avec des collectivités qui sont concernées directement par
des problèmes. On dénombre ainsi plus de 125 collaborateurs
dans toutes sortes de secteurs, tant dans le biomédical que dans
l'économie sociale, dans les syndicats et associations professionnelles,
etc. En conséquence, dans notre institut, nous ne parlons pas de
transfert de connaissances vers les collectivités, mais plutôt
de partage des connaissances...»
Lorsqu'on se compare, on
se...
Le premier indicateur sur l'état de santé global d'une population
est bien entendu l'espérance de vie. Or, malgré tout ce qu'on
peut reprocher à notre société moderne, force est
de constater que notre état de santé s'est sûrement
amélioré puisque, au cours du dernier siècle, la durée
de vie moyenne des Québécois a doublé. Il y a un siècle,
on était «vieux» dès l'âge de 40 ou 50
ans!
Diane Berthelette relate que l'espérance de vie des Canadiens, selon
les données 2004 de l'OMS, atteint 83 ans pour les femmes et 78
ans pour les hommes. «On est en meilleure posture que les États-Unis
(80 ans pour les femmes et 75 ans pour les hommes) et le Royaume-Uni (81
ans pour les femmes et 76 ans pour les hommes).». On peut aussi se
comparer à la Finlande, un pays qu'on cite souvent comme un modèle
où il fait bon vivre. Or, surprise, les femmes de là-bas
ont une espérance de vie de 82 ans et les hommes, de 75 ans. «On
est donc en bonne posture», conclut la chercheure.
Un indicateur encore plus intéressant est l'espérance de
vie sans incapacité. Autrement dit: combien d'années peut-on
espérer vivre sans avoir de problèmes de santé majeurs
ou de limitations fonctionnelles? «Les "meilleurs" en la matière
en Europe, ce sont l'Italie et l'Espagne», rapporte Mme Berthelette.
Pour les femmes de ces pays, cette espérance est de 74,4 ans et
de 70,9 ans pour les hommes. Au Canada, elle s'élève à
68,6 ans chez les femmes et à 66,9 ans chez les hommes. «On
peut donc dire que notre espérance de vie sans incapacité
est plus faible que dans les meilleurs pays d'Europe, observe-t-elle. Par
ailleurs, au sein du Canada, on constate que le Québec se classe
au premier rang... Pour cet indicateur, on peut donc se dire qu'on est
dans une bonne situation.»
Jeunes vies
Un autre indicateur significatif est le taux de mortalité infantile,
puisqu'il traduit bien la qualité générale de la vie.
Les données de Statistique Canada indiquent des taux qui varient
d'une région à l'autre, de 4,3 à 16 décès
chez les enfants de moins d'un an pour 1000 naissances. Le taux le plus
bas (4,1) s'observe au Nouveau-Brunswick et à l'Île-du-Prince-Édouard,
alors que le Québec se situe à 4,6. «Là encore,
nous figurons dans le peloton de tête», résume Diane
Berthelette.
Mais le chiffre qui fait le plus sursauter la spécialiste, c'est
le taux d'avortements provoqués. Selon les données de Statistique
Canada, pour 100 naissances, on enregistre de 9,7 à 41,7 avortements
selon les régions du pays. Encore là, le taux le plus bas
s'observe à l'Île-du-Prince-Édouard... alors que le
plus élevé se retrouve au Québec!
«Un tel taux montre un problème de santé parce que
tout avortement est une indication que quelque chose ne va pas, explique
la chercheure. Entendons-nous bien, insiste-t-elle, il n'est nullement
question de remettre en cause le libre choix des femmes, bien au contraire.
Mais la question se pose: pourquoi tant de Québécoises choisissent-elles
d'avorter? Est-ce parce qu'elles n'ont pas les moyens de mener à
terme leur grossesse?»
«Je pense qu'on peut dire que, globalement, au Canada, ça
va bien, on est en bonne santé, résume la directrice de l'Institut
santé et société. Par contre, il ne faut pas oublier
les écarts qu'on observe d'une région à l'autre puisqu'on
sait qu'il y a des inégalités sociales.»
La santé, une affaire
de société
Diane Berthelette constate en effet que, lorsqu'on examine de plus près
les indicateurs de santé, on découvre l'existence d'écarts
liés à la situation économique des individus ainsi
qu'à leur niveau d'éducation. «Depuis le XIXe siècle,
souligne-t-elle, on a très bien documenté les inégalités
sociales en lien avec un moins grand accès à l'éducation.
Or, souvent, on oublie de lier éducation et santé.»
On observe par exemple que les Américains sont dans l'ensemble en
moins bonne santé que nous, justement à cause des grandes
inégalités sociales qu'on retrouve chez nos voisins pourtant
si riches.
«Souvent, dans les médias, on nous rapporte que ce qui pose
problème, c'est que les gens se nourrissent mal, qu'ils ne font
pas d'exercice physique, etc., rappelle Diane Berthelette. Mais il ne faut
pas oublier que de tels comportements ne sont pas une question de responsabilité
individuelle. Ils sont liés à l'éducation que nous
avons reçue ainsi qu'aux outils concrets dont on dispose dans notre
milieu pour adopter de bons comportements.»
Pour illustrer son propos, elle imagine le cas d'une mère de famille
à qui on demande de confectionner des repas équilibrés,
de s'occuper de son stress, de faire de l'exercice 30 minutes par jour...
et qu'on culpabilise parce que ses comportements ne sont pas suffisamment
sains! «Or, ça m'inquiète beaucoup de voir qu'on met
tant l'accent sur notre responsabilité individuelle, dit-elle. J'ai
tendance à penser que le discours officiel consiste à dire
aux gens "prenez-vous en main" et on nous défile une longue liste:
il faut cesser de manger du gras et du sucre, faire de l'exercice quotidiennement,
mettre sa ceinture de sécurité, cesser de fumer... et ça
n'en finit plus! Il y a toujours quelque chose pour nous culpabiliser...
Mais, pendant ce temps, on oublie d'attaquer la source des problèmes
de santé.»
Selon la chercheure, iI ne faut donc pas tant mettre l'accent sur des changements
de comportement individuels que se questionner sur l'accessibilité
à l'éducation et aux ressources qui permettent d'adopter
des comportements recommandés. Nous sommes les «fruits»
de la société dans laquelle nous vivons.
«Aussi, poursuit-elle, on parle d'un côté d'environnement
et de santé de l'autre, mais on ne traite jamais des déterminants
environnementaux de la santé. Il faut aussi penser à la question
du soutien social et des relations sociales étroites.» On
observe par exemple une plus grande espérance de vie sans incapacité
dans les pays où les relations familiales sont étroites.
«Il ne suffit donc pas de demander aux gens d'adopter tel ou tel
comportement, il faut leur donner des moyens, notamment pour accéder
à des aliments adéquats, soutient la directrice de l'Institut
santé et société de l'UQAM. Il faut aussi faire en
sorte que notre société offre des outils qui permettent aux
gens d'avoir le temps et les moyens d'adopter de bons comportements. Mais
ça, voyez-vous, ce sont des choix de société!»
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samedi, le 26 mai 2007, p. G7
Montréal, un formidable
pole
d’attraction scientifique
et culturel
par Claude Lafleur
«Je suis étonné de voir à quel point les Montréalais
ne sont pas fiers de leur ville... et à quel point ils n'ont pas
conscience de la place qu'occupe leur ville sur la scène internationale.»
Voilà le constat déroutant que dresse Vassilios Papadopoulos,
le tout nouveau directeur de l'Institut de recherche du Centre universitaire
de santé McGill (CUSM).
Vassilios Papadopoulos est un éminent biopharmacien qui a le privilège
de contempler notre situation de l'extérieur, lui qui vient de passer
20 ans à l'université de Georgetown, à Washington.
«Si je suis venu poursuivre ma carrière ici, c'est parce que
Montréal représente un réel avancement pour moi.»
À ses yeux, notre ville figure non seulement parmi les principaux
pôles biomédicaux de la planète, mais également
comme une colllectivité multiculturelle exceptionnelle.
Nommé à la tête de l'Institut de recherche du CUSM
en novembre dernier, M. Papadopoulos s'installe tout juste dans nos murs.
Il jette par conséquent un regard neuf sur nous qui, à vrai
dire, l'intriguons passablement. Ainsi, lance-t-il en souriant: «Vous
vous demandez si vous avez vraiment besoin de deux grands centres hospitaliers
universitaires alors que, pour moi, il me semble évident qu'il vous
en faudrait même un troisième!»
La richesse du multiculturalisme
De tout temps, M. Papadopoulos a baigné dans plusieurs cultures,
ce qui gouverne les choix de vie qui l'ont mené jusqu'à Montréal.
«Avec un nom comme le mien, vous devinez sans doute que je suis d'origine
grecque», avance-t-il en souriant.
«Je suis né à Athènes, où j'ai fait mes
études en pharmacie. D'aussi loin que je puisse me rappeler, j'ai
appris le français, l'anglais, le grec et même le grec ancien.
Par la suite, j'ai fait mes études doctorales à l'université
Pierre et Marie Curie, à Paris. J'ai poursuivi mes recherches postdoctorales
en France, puis en Australie. C'est là-bas que j'ai été
exposé à la culture anglo-saxonne - très différente
des cultures grecque et française (qui se ressemblent à bien
des égards). J'y ai aussi fait la connaissance de mon épouse,
une chercheure française. Puis, il y a 19 ans, nous avons emménagé
à Washington, une ville américaine d'exception puisque très
internationale...»
«Là, nous avons eu une vie vraiment superbe et j'y ai mené
une très belle carrière universitaire, d'abord comme professeur
adjoint, jusqu'à devenir le directeur de recherche du Centre médical
de l'université Georgetown. Mais j'ai fini par avoir l'impression
d'avoir à peu près tout fait et j'ai eu le goût de
passer à autre chose. Bien sûr, j'ai eu plusieurs autres belles
offres, mais mon choix s'est arrêté sur Montréal parce
que mon épouse et moi souhaitions conserver le style de vie multiculturel
qu'on connaissait à Washington.»
«Ce qui nous a attirés?, de poursuivre M. Papadopoulos. Premièrement,
Montréal est une véritable capitale culturelle. Or, ma famille
et moi avons toujours baigné dans un milieu multiculturel - nous
parlons trois langues à la maison - et c'est ce qu'on adore. Deuxièmement,
l'université McGill est l'une des plus réputées au
monde. Troisièmement, avec ses quatre grandes universités,
Montréal est un endroit idéal pour réaliser de grands
projets de médecine.»
En fait, relate le biopharmacien, notre ville est l'un des très
rares endroits du globe où se trouve la gamme complète des
institutions permettant de mener à bien autant des travaux de recherche
fondamentale que des applications cliniques jusqu'au développement
de nouveaux médicaments. «Il y a aussi la façon dont
le Québec appuie la recherche pour créer un environnement
exceptionnel qui fait de Montréal l'un des endroits les plus réputés
en pharmaceutique, insiste M. Papadopoulos. De surcroît, il y a en
ce moment la construction des deux grands hôpitaux universitaires,
ce qui constitue pour moi une occasion qui ne se représentera pas
deux fois dans une vie! Et n'oublions pas qu'il y a des vols directs pour
Athènes et pour Paris... Tout compte fait, mon choix n'a pas été
si difficile!», conclut-il en riant.
À l'avant-garde de
la recherche planétaire
En juillet, Vassilios Papadopoulos assumera à temps plein la direction
de l'Institut de recherche du CUSM. Il supervisera alors le travail de
plus de 500 chercheurs et de 1000 étudiants diplômés
et postdoctoraux, en plus de poursuivre ses propres travaux.
«Si je viens m'installer ici, explique le scientifique, c'est que
je perçois très bien que la recherche s'oriente actuellement
vers des développements très importants et qu'il n'y a pas
beaucoup d'endroits sur la planète qui ont la capacité d'orienter
cette recherche. Si on veut pouvoir influencer le cours des travaux biomédicaux,
il faut se trouver dans un centre comme Montréal, insiste-t-il.
Il faut en fait disposer de plusieurs outils dont, entre autres, des centres
hospitaliers universitaires des plus avancés, comme ceux qu'on est
en train de bâtir à Montréal.»
«Vous savez, on dit souvent que Boston est la Mecque de la recherche
biomédicale, enchaîne M. Papadopoulos. Mais savez-vous que
cette ville compte une demi-douzaine de grands hôpitaux universitaires?!
Boston ne serait pas le pôle biomédical qu'il est s'il n'y
avait pas tous ces grands hôpitaux universitaires. Et Montréal
ne deviendra pas ce à quoi il aspire s'il n'a pas le CHUM et le
CUSM! C'est pourquoi je dis qu'il en faudrait même un troisième...
mais ça, c'est mon opinion personnelle.»
Un autre aspect qui étonne le chercheur, c'est nos récriminations
répétées envers notre système de santé.
«En lisant les journaux, je constate qu'il ne s'écoule pas
une semaine sans qu'on parle de quelque chose de négatif à
propos des hôpitaux, observe Vassilios Papadopoulos. Bien sûr,
il y a des problèmes - de sérieux problèmes même
-, mais en même temps, on évoque rarement les formidables
progrès réalisés dans nos hôpitaux. On traite
maintenant des maladies qui étaient incurables il n'y a pas si longtemps,
dont le cancer du sein. Les gens vivent de plus en plus longtemps et ils
sont en bien meilleure santé qu'autrefois. Or, une partie de ces
progrès a été réalisée ici même
à Montréal, grâce à des travaux menés
dans les hôpitaux qu'on dénonce semaine après semaine.»
«Bref, si j'avais une baguette magique, j'aimerais renverser cette
tendance pour faire en sorte qu'on parle plus souvent du travail formidable
qui se fait ici à Montréal!», de conclure ce Montréalais
d'adoption.
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samedi, le 26 mai 2007, p. G6
Que Montréal et le
Québec
cessent d'être «timides»
par Claude Lafleur
Il devient de plus en plus difficile d'attirer des congrès à
Montréal étant donné la concurrence féroce
que nous livrent d'autres villes, rapporte Jacques Corcos, président
du Club des ambassadeurs du Palais des congrès. Comment contrer
une tendance...
«On voit que les congrès se déplacent vers Vancouver
et Toronto, observe le président du Club des ambassadeurs. Nous
sommes confrontés à la concurrence grandissante des villes
nord-américaines. On perd par conséquent des congrès,
ce qui est fort dommage étant donné toutes les retombées
- certaines incalculables - qu'apportent de telles réunions à
notre ville et à notre collectivité.»
Depuis deux ans, Jacques Corcos préside un regroupement de membres
sélect puisque, pour faire partie du Club des ambassadeurs, il faut
avoir présidé à l'organisation d'une rencontre internationale
au Palais des congrès de Montréal. Par conséquent,
le Club rassemble surtout des scientifiques et des gens d'affaires qui
sont fiers de leur ville et qui ont à coeur son épanouissement.
C'est ainsi que Jacques Corcos, chef du département d'urologie de
l'Hôpital général juif et reconnu mondialement pour
son expertise dans le domaine de l'incontinence urinaire, a présidé
la 35e rencontre annuelle de l'International Continence Society, qui s'est
tenue à Montréal en août 2005.
«Pourquoi organise-t-on un congrès dans sa ville?, demande-t-il.
Certainement parce qu'on veut la montrer à nos collègues!
Si on vivait dans un coin pas très agréable, on n'organiserait
pas un congrès chez soi. On éprouve donc une certaine fierté
d'appartenir à notre collectivité et on veut la développer...»
Or, c'est justement pour tirer profit de la fierté manifestée
par les présidents de congrès passés que le Palais
des congrès a créé en 1985 son Club des ambassadeurs.
Ces ambassadeurs ont pour mission de sensibiliser des personnes clés
autour d'eux qui pourraient un jour attirer au Palais des rencontres nord-américaines
ou internationales. «Chaque président de congrès devient
donc, s'il le veut bien, un ambassadeur de la ville de Montréal,
résume le docteur Corcos. On cherche ainsi à créer
un effet boule de neige afin de générer encore plus de congrès.
Les membres du Club regardent donc dans leur milieu et parmi leurs collègues
pour voir s'il n'y aurait pas quelqu'un qui, potentiellement, pourrait
organiser un congrès. Personnellement, je crois beaucoup au pouvoir
de ces ambassadeurs.»
Favoriser la migration des
«cerveaux»
Comme on l'imagine aisément, la tenue de grands événements
à Montréal stimule énormément l'économie
locale et le tourisme. Ainsi, le Palais des congrès rapporte que
les 183 événements qu'il a accueillis durant son année
2005-06 ont attiré 610 000 visiteurs et généré
188 000 nuitées, pour des retombées économiques de
250 millions de dollars.
Pour sa part, le docteur Corcos fait valoir que l'assemblée qu'il
a présidée en 2005 a attiré 3500 congressistes et
leurs accompagnants provenant de 68 pays. «Cela représente
probablement un total de 5000 personnes qui sont demeurées ici durant
une semaine», dit-il. Bien entendu, la première retombée
d'une telle rencontre est d'ordre économique, mais, insiste le président
des ambassadeurs, les congrès donnent également lieu à
de multiples autres retombées aussi incalculables qu'importantes.
«Le fait de recevoir des milliers de congressistes donne une vision
et une impression de Montréal que ceux-ci n'avaient pas nécessairement
avant leur venue, dit-il. Ainsi, depuis le congrès de 2005, j'ai
rencontré nombre de mes collègues qui m'ont dit: "Quelle
ville extraordinaire! Tu as vraiment de la chance de vivre là-bas!"»
Ces visites confèrent en outre un rayonnement à Montréal
qui peut avoir d'autres retombées. «De retour chez eux, lorsqu'ils
apprennent qu'il y aura un autre congrès à Montréal,
les congressistes peuvent dire à leurs collègues: "Vas-y,
c'est une ville superbe! Tu verras... il faut absolument que tu voies cela!"
Autrement dit, ces congressistes en encouragent d'autres à venir
nous visiter.»
De surcroît, le docteur Corcos rapporte même qu'après
avoir découvert Montréal, certains désirent s'y établir.
«Je sais que lorsqu'on organise une assemblée à Montréal,
il y a toujours des participants qui envisagent ensuite de venir travailler
ici, rapporte-t-il. Peut-être que leurs démarches ne se concrétisent
pas nécessairement - puisqu'il y a souvent des barrières
assez complexes à franchir -, mais il n'empêche qu'il y a
toujours quelques chercheurs qui découvrent la ville ainsi que nos
universités...» Le docteur Corcos souligne au passage que
tout congrès scientifique donne une visibilité importante
à nos universités, ce qui contribue à leur renommée
internationale.
«Jusqu'à quel point les congrès scientifiques génèrent-ils
la migration de scientifiques?, se demande-t-il. Combien de "cerveaux"
sont-ils venus s'établir à Montréal à la suite
de congrès? Personne ne possède de données là-dessus,
mais il ne fait aucun doute qu'il y a des répercussions de ce genre.
Je puis vous dire qu'on en parle entre nous...»
Les Montréalais...
pas assez audacieux !
Selon le président du Club des ambassadeurs, il est assez facile
de «vendre» Montréal à l'étranger. Toutefois,
nous ne possédons pas les installations nous permettant d'accueillir
tous les congrès qui sont à notre portée. «Nous
ne sommes pas capables de recevoir la majorité des grands congrès
américains, qui rassemblent de quinze à vingt mille médecins
spécialistes, rapporte Jacques Corcos. Par contre, Vancouver a maintenant
ce qu'il faut, de même que Toronto.»
«Or, voyez-vous, on touche là à l'un des principaux
problèmes qui affecte Montréal et le Québec: notre
timidité. Ainsi, il y a quelques années, on aurait dû
plus que doubler les capacités du Palais des congrès. En
fait, à mon avis, on ne fait pas les choses avec assez d'envergure,
et, pour cette raison, on se coupe des possibilités. Tant qu'à
agrandir le Palais [comme on l'a fait il y a cinq ans], on aurait dû
faire un truc gigantesque capable d'accueillir les grands congrès
internationaux.»
«Je dirais qu'on a un problème de timidité. On a un
site exceptionnel, mais, malheureusement, on n'a pas les gouvernements
visionnaires qui osent prendre des décisions audacieuses, lance
cet amoureux de Montréal. Il faut dire aussi qu'on n'a pas non plus
une population qui soutient ce genre de vision. On a toujours peur que...
Mais il nous faut aller de l'avant et oser faire des choses spectaculaires!»
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samedi, le 2 juin 2007, p. G7
Gaston Déry : faire
sa part
pour préserver notre
Terre
par Claude Lafleur
Le Comité écologique du Grand Montréal ainsi que Gaston
Déry, propriétaire de l'Île-aux-Pommes, sont les colauréats
du Phénix pour la mise en valeur de milieux naturels et de la biodiversité.
Surtout, ils nous offrent l'exemple de ce que peuvent faire concrètement
des citoyens «ordinaires» pour préserver notre planète.
Le Comité écologique du Grand Montréal (CEGM) a transformé
le boisé des Pères, un dépotoir non autorisé
au coeur du quartier Rosemont, en un habitat naturel dont jouissent à
présent les citoyens riverains. Quant à Gaston Déry,
il a transformé une île quasi déserte, située
au large de Trois-Pistoles, en un milieu où s'épanouissent
des colonies d'oiseaux et d'animaux marins.
«En restaurant le milieu faunique du boisé des Pères,
nous voulions non seulement rétablir le caractère écologique
de cet écosystème, mais également faire en sorte que
les familles, les enfants et les personnes âgées se réapproprient
ce milieu de vie exceptionnel», relate Erik Basil, président
du Comité écologique du Grand Montréal.
«Pour sauver notre petite planète bleue, il faut que chacun
de nous pose des gestes concrets, insiste Gaston Déry. Pour ma part,
j'ai eu le privilège de pouvoir rétablir un milieu naturel
en plein estuaire du Saint-Laurent.» L'un comme l'autre rapportent
qu'ils seront ravis si leur exemple pouvait inspirer ne serait-ce qu'une
seule personne...
«Un "Bed & Breakfast"
pour canards»
La famille Déry possède l'Île-aux-Pommes depuis 1927.
Toutefois, ayant été laissée à elle-même,
l'île était devenue un rocher presque dénué
de végétation et habité par 20 000 goélands.
«À 28 ans, lorsque j'ai acquis l'île de mon père,
elle n'était plus qu'un tas de roches couvert de goélands,
raconte Gaston Déry. Pour vous dire, on pouvait la repérer
juste à l'odeur - et ce n'est pas une caricature - tant il y avait
de goélands dessus! Mais ma formation de forestier m'a permis de
voir qu'il y avait là un environnement avec un potentiel énorme...
à condition de s'en occuper.»
M. Déry a donc entrepris de transformer son île en un paradis
pour oiseaux, en particulier pour les canards eiders. En collaboration
avec le Service canadien de la faune et la société Canards
illimités Canada, il a développé un ambitieux plan
d'aménagement favorisant la végétation et décourageant
quelque peu les goélands. «Ces oiseaux nichant toujours dans
des milieux découverts, on savait que si on favorisait la régénération
des arbustes et des plantes herbacées, cela les découragerait
alors que, de leur côté, les canards apprécieraient
une si belle place. On a en quelque sorte développé un "Bed
& Breakfast" pour canards!»
Un travail réparti
sur un quart de siècle !
M. Déry a ainsi investi «25 ans d'amour, de passion, d'énergie
et d'argent» dans son île. Il a d'abord fait un brûlage
contrôlé afin de régénérer la végétation,
ce qui a entre autres favorisé la pousse des framboisiers. Il a
ensuite planté des boutures de groseilliers et quelques épinettes.
Mais, surtout, il a permis à la nature de faire le reste. «On
a en fait donné un coup de pouce à la nature, dit-il, puis
nous sommes devenus les gardiens des lieux.»
Résultat, l'Île-aux-Pommes héberge aujourd'hui non
seulement 3000 canards eiders, mais également des colonies de goélands,
de cormorans, de mouettes et même de petits pingouins. Elle joue
en outre un rôle d'incubateur dans la région de Trois-Pistoles
puisque les résidants constatent avec ravissement la présence
de davantage de canards. «Et comme l'île est un endroit paisible,
des mammifères marins viennent s'y reposer, rapporte avec joie Gaston
Déry. Il ne se passe pas une journée sans qu'on y voie un
loup marin... et, en arrivant la semaine dernière, j'avais un harfang
des neiges qui m'attendait! Tout un privilège...»
Le propriétaire des lieux s'empresse toutefois d'ajouter que l'île
est une propriété privée qui n'est pas ouverte au
public puisqu'il s'agit d'un environnement fragile. «Aujourd'hui
encore, nous devons nous en occuper de près, dit-il. On doit par
exemple s'assurer que des renards ne viendront pas s'y établir.
Et comme la nature a horreur du vide, si je n'occupe pas l'île, d'autres
le feront.» En fait, Gaston Déry considère que, s'il
a le privilège d'être propriétaire de l'Île-aux-Pommes,
il a surtout la responsabilité d'en être le gardien.
Redonner à la nature,
et aux citoyens, un boisé
C'est le même esprit qui anime les passionnés du Comité
écologique du Grand Montréal, un organisme sans but lucratif
créé en 1995 afin de sensibiliser la population à
la préservation de l'environnement. «Nous avons été
le premier organisme Écoquartier de Montréal, évoque
Erik Basil. Nous avons commencé par sensibiliser les citoyens à
l'amélioration de l'environnement urbain tout en les motivant à
s'engager dans des activités concrètes.»
À cette fin, en 1999, le comité s'est attaqué à
la renaturalisation du boisé des Pères, situé à
l'arrière de l'hôpital Maisonneuve. «Ce boisé
de six hectares est un vestige de l'ère agricole de Montréal,
explique M. Basil. Lorsque nous sommes arrivés sur les lieux, il
y avait des revendeurs de drogue, de la prostitution masculine... alors
que les gens du voisinage venaient y déposer leurs rebuts!»
Un grand ménage
«Nous avons commencé par organiser des corvées de ménage
afin de rendre l'endroit un peu plus agréable, poursuit-il. Nous
avons sorti plus de dix tonnes de matériaux divers!» Les citoyens
du comité ont ensuite entrepris de restaurer les aménagements
fauniques en réintroduisant 69 espèces indigènes.
Ils y ont planté 949 arbres, 4337 arbustes et 2478 plantes herbacées
en plus d'aménager des sentiers écologiques. Ils ont en outre
rétabli le milieu humide asséché dans les années
1950, dans l'espoir d'y voir s'épanouir des amphibiens.
«Le projet n'est pas terminé, indique M. Basil, puisqu'il
reste encore quatre phases d'intervention. Un milieu naturel en région
urbaine ne peut subsister par lui-même. Il est "sur respirateur artificiel"
puisqu'il subit un stress constant de la part de tous les usagers et des
visiteurs qui s'y trouvent. Et nous, nous ne voulons surtout pas empêcher
les gens d'y venir. Au contraire même, puisque notre but est de faire
en sorte que les riverains se réapproprient la nature. Bref, il
sera toujours nécessaire d'entretenir le boisé des Pères
car, autrement, il pourrait se détériorer assez rapidement
et revenir à son état de délabrement...»
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samedi, le 8 septembre 2007, p. B3
Comment vaincre l'analphabétisme
par Claude Lafleur
Selon les plus récentes données, 49% des Québécois
âgés de 16 à 65 ans n'ont pas la capacité de
lire suffisamment bien pour fonctionner dans notre monde moderne. À
défaut d'un meilleur terme, indique Maryse Perreault, présidente-directrice
générale de la Fondation pour l'alphabétisation, on
les considère comme des analphabètes, même s'ils savent
lire. «Ces personnes n'ont pas les habiletés requises pour
remplir un emploi de qualité raisonnable, pour faire face et s'adapter
aux changements, pour aider leurs enfants à l'école ou, tout
bonnement, pour jouer leur rôle de citoyen», résume-t-elle.
On compte au Québec 800 000 adultes qui sont incapables de lire
une phrase au complet ou d'en dégager le sens. Il y en a également
1 700 000 autres qui éprouvent d'énormes difficultés:
par exemple, ils peuvent comprendre le titre des articles d'un journal
mais pas un paragraphe. Une autre donnée importante, relate Maryse
Perreault, est le fait que 37% des jeunes adultes (16-25 ans) sont à
ces niveaux. «C'est dire que l'analphabétisme se retrouve
partout dans la pyramide des âges de notre société»,
dit-elle.
Néanmoins, la situation s'améliore, puisqu'il y a dix ans
on comptait un million d'analphabètes graves, au lieu de 800 000.
«On fait des progrès, relate Mme Perreault, bien qu'il ne
s'agisse pas de progrès spectaculaires. Il faut dire que nous ne
disposons pas non plus de budgets spectaculaires pour combattre l'analphabétisme!»
Enracinement profond
Comment expliquer qu'en 2007, dans une société aussi informatisée
que la nôtre, tant de personnes et, surtout, tant de jeunes soient
analphabètes?
Il y a plusieurs facteurs qui entrent en jeu, indique la p.-d.-g. de la
Fondation pour l'alphabétisation. «La première raison,
et la plus évidente, dit-elle, c'est que l'éducation n'est
pas valorisée dans le milieu familial.» De surcroît,
l'analphabétisme se transmet d'une génération à
l'autre. «Il est très rare que des universitaires engendrent
des enfants analphabètes, illustre Maryse Perreault, alors que,
très souvent, les enfants qui décrochent de l'école
ont des parents sous-scolarisés et analphabètes.»
«Les enfants qui naissent dans un milieu défavorisé
partent perdants avant même qu'un professeur ne leur ait adressé
la parole, poursuit-elle. L'analphabétisme est donc plus qu'un problème
d'éducation, c'est une problématique sociale plus vaste.
Voilà pourquoi il est si difficile de lutter contre elle.»
S'attaquer au problème
par les deux bouts
Puisque l'analphabétisme a une composante intergénérationnelle,
il faut l'aborder simultanément «par les deux bouts»,
indique Mme Perreault. Il faut à la fois se préoccuper autant
des enfants que des parents. À cette fin, la Fondation a mis sur
pied deux programmes: La Lecture en cadeau, pour les enfants, et le service
d'aide et de référence téléphoniques Info-Alpha,
pour les adultes.
«Nous ne faisons pas comme telle de l'alphabétisation, explique
Mme Perreault, puisque l'offre de formation est abondante partout au Québec.»
L'écueil principal réside au niveau de la demande. «Les
adultes qui éprouvent des problèmes ne sont pas tentés
de chercher de la formation, dit-elle. La plupart du temps, il s'agit de
gens qui ont décroché de l'école, qui n'ont pas aimé
l'école et que l'école n'a pas aimés...»
En collaboration avec le ministère de l'Éducation, la Fondation
mène des campagnes de promotion là où se retrouvent
les personnes en difficulté. «Entre autres, nous sensibilisons
et outillons les intervenants des CLSC, les infirmières, les organisateurs
communautaires, le personnel du Centre local d'emploi, etc., pour faire
en sorte que leur clientèle qui a besoin de notre aide nous appelle.»
Toutefois, il peut s'écouler des années entre le moment où
une personne en difficulté obtient le numéro de la ligne
Info-Alpha (1 800 361-9142) et celui où elle le signalera. «Ce
n'est pas rare qu'on nous appelle après trois ans, indique Maryse
Perreault. La première chose que nous faisons, c'est d'écouter.
Généralement, la personne qui nous appelle a besoin de parler,
de dire ce qu'elle vit: "Je suis allée à l'école et
ç'a mal été, nous dit-elle. Je n'ai pas eu la chance
d'apprendre..." Un appel dure en moyenne vingt minutes, parfois même
jusqu'à une heure. Et lorsque cette personne se dit prête
à entreprendre une formation, on lui demande ce qu'elle en attend,
puis on la dirige vers la ressource appropriée.»
Des adultes de tout âge et de toute condition appellent à
la ligne Info-Alpha, précise Mme Perreault. Il y a cependant davantage
de femmes que d'hommes, tout bonnement parce que, souvent, ce sont des
aidants naturels (plutôt des aidantes naturelles) qui appellent pour
leur fils ou pour leur mari. «Il est fréquent qu'une tierce
personne fasse les premières démarches», dit-elle.
C'est ainsi que, bon an mal an, la Fondation reçoit de deux à
trois mille appels téléphoniques et qu'elle a à ce
jour aidé plus de 65 000 personnes.
« Mon premier livre
à moi ! »
L'«autre bout du problème» - les jeunes enfants - est
traité par l'entremise du programme La Lecture en cadeau. À
l'occasion du Salon du livre de Montréal, la Fondation invite les
visiteurs à acheter un livre jeunesse neuf destiné à
un enfant de 1 à 12 ans. Ces livres sont ensuite distribués
via un réseau d'écoles primaires en milieu défavorisé,
de CPE et d'organismes communautaires. «Puisqu'un enfant qui aime
lire aura beaucoup moins de difficultés à l'école,
nous faisons ainsi de la prévention en développant son rapport
au livre», explique Mme Perreault.
Pour ces enfants, recevoir un livre neuf est un cadeau merveilleux. «Vous
devriez voir l'étincelle qui brille dans leurs yeux, rapporte Mme
Perreault. Lorsqu'on procède aux distributions, au mois de mai,
on voit des enfants qui n'en reviennent pas qu'un adulte ait pris la peine
de choisir un livre pour eux et qui le lui dédicace...»
Les donateurs sont en outre invités à inscrire leurs coordonnées
sur une carte postale insérée dans le livre qu'ils donnent.
«Vous devriez voir les enfants s'appliquer à écrire
un petit mot sur la carte postale ou à faire un dessin, relate tout
sourire Mme Perreault. C'est très touchant de les voir aller...»
Le programme La Lecture en cadeau est aussi une façon pour la Fondation
de sensibiliser le grand public au fait que beaucoup d'enfants n'ont pas
accès à la lecture. Il y a neuf ans, lors de la première
année du programme, la Fondation a distribué deux mille livres
dans la région de Montréal. En mai dernier, elle en a remis
25 293 à travers le Québec. «Évidemment, nous
ne pouvons évaluer quel impact a notre programme, mais nous sommes
certains qu'il ne peut pas faire de tort... bien au contraire!»,
lance, emballée, Maryse Perreault.
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samedi, le 13 octobre 2007, p. G8
Donald Smith : les tribulations
d’un spécialiste
des plantes
par Claude Lafleur
Dans son laboratoire de Sainte-Anne-de-Bellevue, Donald Smith cherche à
comprendre comment les plantes se nourrissent et comment on peut les aider
à croître. Spécialiste du mécanisme de fixation
de l'azote, ce biologiste voit ses recherches en écophysiologie
soulignées par l'attribution du prix Michel-Jurdant.
Donald Smith met au jour des connaissances fondamentales qui mènent
tout droit à des applications pratiques en agriculture. Ainsi, ses
recherches ont grandement favorisé l'essor de la culture du soja
au Québec alors que certaines de ses découvertes sont maintenant
commercialisées à travers le monde. «Au départ
de ma carrière, je me suis concentré sur la fixation de l'azote
sur les racines des plantes, dit-il. Je me suis aussi intéressé
à l'utilisation de l'azote par les plantes et à la manière
dont on peut aider leur croissance en le leur en fournissant.»
Pourquoi un intérêt aussi pointu de la part d'un jeune chercheur?
À vrai dire, Donald Smith ne le sait pas vraiment. «Oh, voyez-vous,
j'ai grandi sur une ferme [en Nouvelle-Écosse]. J'ai pu observer
la croissance des plantes et j'ai vu le rôle que jouent les engrais
en agriculture... C'était donc la chose la plus naturelle pour moi
que de m'intéresser aux plantes.» Et pourquoi avoir entrepris
une carrière scientifique? «Tout bonnement parce que, lorsque
j'étais jeune, quantité d'émissions de télé
nous montraient les merveilles de la science. Et puis, j'étais abonné
à des magazines de science pour jeunes... La science, c'était
donc une chose naturelle pour moi, si je puis dire!»
L'azote, ce gaz inerte si
vital aux plantes
Le chercheur entreprend donc de se spécialiser dans la croissance
des plantes. «Sur la ferme comme dans mes recherches, dit-il, j'observais
les plantes en constatant que certaines choses les aident à grandir
et d'autres pas. C'était pour moi un intérêt très
concret, très pratique et c'est tout naturellement que j'en suis
venu à me demander pourquoi?» C'est tout bonnement de cette
façon que s'est amorcée la quête scientifique d'un
grand chercheur.
C'est même par accident, durant ses études, que l'apprenti-chercheur
en vient à se passionner pour la fixation de l'azote. «Lors
d'une excursion de terrain, j'ai aperçu quelque chose de curieux
collé à un rocher, se rappelle M. Smith. J'en ai gratté
un peu à l'aide de ma carte d'étudiant et l'ai ramené
en laboratoire. Là, j'ai découvert qu'il s'agissait d'une
sorte de cyanobactérie, ce qui m'a amené à lire quantité
de choses sur la fixation de l'azote par les plantes.»
L'azote est ce gaz inerte qui compose les trois quarts de l'atmosphère
que nous respirons. «Il est intéressant de constater que les
deux principales composantes de notre air - l'azote et l'oxygène
- sont le fruit d'activités biologiques», note fièrement
le biologiste.
Normalement, les plantes parviennent difficilement à extraire l'azote
dont elles ont besoin pour croître. «Elles doivent recourir
à différentes stratégies, indique le spécialiste,
dont s'associer à des bactéries. Ce sont des mécanismes
fort intéressants à étudier.» C'est aussi pourquoi
les agriculteurs et les jardiniers fournissent de l'azote à leurs
plantes par l'entremise d'engrais.
Pourquoi le soja cesse-t-il
de croître ?
Les premiers travaux du professeur Smith visent donc à comprendre
les mécanismes de fixation de l'azote par les racines des plantes,
recherches fondamentales qui présentent beaucoup d'intérêt
pour la mise au point d'engrais.
L'expertise du chercheur l'amène à s'installer au Québec
en 1985, là où il observe un phénomène qui
pique sa curiosité. À l'époque, la culture du soja
était peu répandue puisque cette plante pousse difficilement
chez nous. Les cultivateurs et les agronomes remarquaient que, si les graines
semblaient germer normalement, leur croissance marquait une pause inexpliquée.
«Personne ne comprenait ce qui se passait, se rappelle M. Smith.
Mais on constatait qu'au bout d'un certain temps, les plants de soja se
remettaient à croître normalement. What the heck was going
on?!», lance-t-il en guise d'interrogation.
Fort de ses connaissances sur la fixation de l'azote, il réalise
quelques expériences. «Je savais que le soja est originaire
des régions chaudes de la Chine, dit-il. J'imaginais ainsi que le
métabolisme de la plante est adapté à la chaleur.
J'ai donc fait des expériences en laboratoire... et, pour faire
une histoire courte, j'ai montré que les racines de soja réagissaient
mal à la fraîcheur du sol québécois.»
Au printemps, lorsque mises en terre, les graines de soja germent normalement
mais, le sol étant frais, la plante suspend sa croissance jusqu'à
ce qu'il se réchauffe suffisamment. D'un point de vue scientifique,
la fraîcheur du sol empêcherait les bactéries d'approvisionner
la plante en azote. Pour contourner le problème, le biologiste décide
d'enrober les graines d'un composé de bactéries qui, même
si le sol est frais, permet à la plante d'amorcer sa croissance
normalement.
Cette découverte fondamentale mène à des brevets et
débouche sur la mise au point d'un stimulant pour graines. Résultat,
Donald Smith crée sa propre petite entreprise - une «spin-off»
scientifique - pour commercialiser son invention. C'est ainsi que naît,
en 1996, Bios Agriculture et que, en partie grâce aux travaux de
son équipe, la culture du soja prend beaucoup d'ampleur au Québec.
Les frustrations du monde
des affaires
En réalité, Bios Agriculture a tant de potentiel qu'elle
est rachetée en 2002 par l'entreprise ontarienne Agribiotics. Puis,
celle-ci est à son tour absorbée par une multinationale américaine,
lEMD Crop Biosciences.
Cette aventure, si formidable soit-elle, s'avère pourtant une grande
déception pour le chercheur. «J'ai totalement perdu le contrôle
de mes découvertes, constate-t-il avec amertume. Je sais que dans
le monde des affaires ça se passe comme ça, mais pour moi,
il m'a fallu du temps pour me remettre de cette expérience.»
«Ce qui me désole encore davantage, ajoute-t-il, c'est que
mes découvertes ont été financées par l'argent
des contribuables canadiens. Et voilà qu'aujourd'hui, c'est une
multinationale qui en profite!» Et comble de frustration, EMD Crop
Biosciences ne mentionne nullement dans son site Internet les contributions
de l'équipe de Donald Smith.
Heureusement qu'entre-temps, le biologiste a poursuivi sa carrière
en diversifiant énormément ses travaux. Il est même
devenu le directeur du département des sciences végétales
de l'université McGill. C'est ainsi qu'il se consacre désormais
à l'écologie des cultures agricoles ainsi qu'aux changements
climatiques appliqués à l'économie biologique. Comme
quoi, la passion, ça ne meurt jamais.
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samedi, le 13 octobre 2007, p. G6
André Veillette :
un humble chercheur
qui fait de grandes découvertes
par Claude Lafleur
André Veillette fait de grandes découvertes sans trop se
poser de grandes questions existentielles. Dans son laboratoire de l'Institut
de recherche clinique de Montréal, ce médecin étudie
les fins mécanismes du système immunitaire: pourquoi, lors
d'une infection, notre organisme réagit-il comme il le fait? Ou
pourquoi, dans le cas d'une maladie auto-immune comme le lupus, réagit-il
avec tant de virulence que le malade risque d'en périr? Voilà
le genre de questions qui intéressent ce passionné de recherche
fondamentale.
Le Dr Veillette est du genre à ne pas trop se poser de questions
dans la vie. Ainsi, pourquoi est-il devenu chercheur en médecine?
«Étant premier de classe, j'ai tout bonnement fait mes études
de médecine à l'université Laval, répond-il.
J'avais 17 ans et ce n'était pas un choix bien réfléchi!
Puis, c'est en réalisant ma résidence à l'université
McGill que j'ai été exposé à la recherche.
Et j'ai commencé par m'intéresser à l'immunologie
et à l'oncologie tout simplement parce que les patients dont je
m'occupais en souffraient...» Quant à son intérêt
pour le fonctionnement du système immunitaire, c'est par hasard
qu'il s'y est consacré.
En fait, confie le Dr Veillette, ce qui l'intéresse depuis toujours,
c'est le fonctionnement des choses, tel un enfant qui ouvre le boîtier
d'une montre pour voir comment s'imbriquent les engrenages. «J'ai
toujours eu la curiosité de comprendre comment ça marche,
dit-il, et je n'aime pas qu'on me dise que c'est "comme ça...".
Je veux savoir le pourquoi des choses. Je me rappelle que, lorsque je faisais
mes études de médecine, je désirais comprendre pourquoi
une maladie a telle ou telle conséquence. J'étais donc naturellement
intéressé par les phénomènes de base qui expliquent
la biologie humaine.»
Aux portes des gènes
du cancer
Au terme de sa résidence, le Dr Veillette amorce «une longue
réflexion faite de plusieurs consultations» qui l'amène
à décider de se surspécialiser en oncologie. «À
cette époque - au milieu des années 1980 -, des médecins
qui en savaient beaucoup plus que moi m'ont dit que la recherche sur le
cancer allait bientôt exploser et qu'il y aurait des développements
très importants, surtout grâce à la génétique,
raconte le chercheur. C'est donc la voie que j'ai empruntée en me
disant qu'il y aura des tas de choses à comprendre et beaucoup de
recherches fondamentales et cliniques à faire.»
Le jeune médecin se rend donc étudier deux ans au prestigieux
National Cancer Institute de Bethesda, au Maryland. Il apprend alors les
rudiments de la recherche clinique, c'est-à-dire tester des thérapies
sur des patients. «Presque tous nos patients suivaient des protocoles
cliniques, souligne-t-il. Nous testions donc sur eux de nouveaux médicaments
ou de nouvelles combinaisons de médicaments pour essayer d'améliorer
le traitement de différentes maladies.»
Il poursuit ses études avancées au NCI durant cinq ans. «Au
fil des ans, on nous permettait de mener nos propres travaux, se rappelle-t-il.
J'ai donc entrepris d'identifier les gènes jouant un rôle
dans le développement des cancers du sein et du côlon.»
Curieusement, ses collègues ne l'encouragent nullement à
poursuivre ce chemin: «Tous me disaient: "C'est trop compliqué,
tu
ne trouveras jamais rien. Depuis des années, on cherche sans jamais
rien trouver!" Mais moi, je m'y suis plongé naïvement, sans
trop me poser de questions.»
Or, contre toute attente, le Dr Veillette obtient de très bons résultats.
«J'ai commencé par me poser des questions simples, puis j'ai
développé les outils nécessaires pour y répondre.
J'ai été chanceux puisque j'ai fait des découvertes
à propos du système immunitaire qui ont eu un impact réel.»
Le Dr Veillette découvre entre autres des «portes» qui
donnent accès à l'intérieur d'un gène intervenant
dans le cancer du côlon, ouvrant ainsi la voie à de nouvelles
thérapies. Ces découvertes fondamentales permettent actuellement
à des chercheurs de l'industrie pharmaceutique d'explorer de nouvelles
avenues thérapeutiques.
Au terme de ces années d'études aux États-Unis, le
Dr Veillette décide de revenir au Québec, d'abord comme chercheur
à la faculté de médecine de l'université McGill,
puis à l'Institut de recherche clinique de Montréal.
Les engrenages du système
immunitaire
Tant à McGill qu'à l'Institut, il approfondit ses travaux
entamés aux États-Unis et, une fois de plus, il fait d'importantes
découvertes fondamentales. Entre autres, il découvre ce qui
se passe à l'intérieur des globules blancs lorsqu'un organisme
est agressé. Il s'agit d'un mécanisme comportant trois éléments:
SLAM, Fyn et SAP. Lorsque SLAM reçoit un message en provenance du
système immunitaire, il avertit SAP qui s'empresse d'ordonner à
Fyn de produire des anticorps. Or, si l'un ou l'autre de ces engrenages
ne remplit pas son rôle, la chaîne de commandement est brisée
et le système immunitaire déraille. On estime que cette découverte
pourrait un jour permettre de mettre au point des médicaments efficaces
contre le lupus, le diabète juvénile et l'arthrite rhumatoïde.
«Aujourd'hui, je poursuis mes travaux concernant ce mécanisme,
poursuit André Veillette. Il y a d'autres secrets à percer.
On sait par exemple que SLAM est un récepteur et qu'il y en a six
autres. On essaie donc de comprendre ce que chacun fait. Par ailleurs,
on sait que SAP a deux "cousins" et on cherche à connaître
leur fonction. Et il y a probablement autre chose encore que Fyn qui peut
être observé... Voyez-vous, c'est comme le mécanisme
d'une montre, on veut comprendre comment tout fonctionne...»
«Comme vous le voyez, enchaîne-t-il, il s'agit de recherches
fondamentales qui permettent de comprendre ce qui se passe... Or moi, j'essaie
toujours de trouver quels sont les mécanismes primaires de phénomènes
biologiques pertinents à la santé humaine.» Le chercheur
lance même, mi-sérieux mi-badin, qu'il se pose toujours des
questions simples, parce qu'il ne s'estime pas «assez intelligent
pour trouver des choses compliquées»!
«En fait, ajoute-t-il, je ne me pose pas trop de questions, j'essaie
de faire le mieux ce que j'ai à faire avec ce que j'ai.» À
cette fin, il dirige une «merveilleuse petite équipe»
d'une dizaine de chercheurs qui lui procure beaucoup de satisfaction. «Je
préfère diriger une petite équipe faite de gens qui
sont vraiment passionnés par ce qu'ils font, plutôt qu'une
grosse équipe... Je préfère les petits pots avec les
meilleurs onguents!», lance-t-il en riant.
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samedi, le 27 octobre 2007, p. G4
Sylvain Martel : des missiles
téléguidés
contre les tumeurs ?
par Claude Lafleur
Une équipe d'ingénieurs a réussi une prouesse technologique
remarquable: téléguider une bille dans l'artère carotide
d'un porc. «Nous avons ouvert la voie de la robotique pour faire
des interventions médicales, relate fièrement Sylvain Martel,
chercheur au laboratoire de nanorobotique de l'École polytechnique
de Montréal. Nous avons démontré qu'il est possible
de contrôler une bille de 1,5 millimètre à l'intérieur
d'un être vivant.»
Le système de navigation mis au point par l'équipe de Sylvain
Martel pourrait servir à acheminer des médicaments en des
endroits très précis du corps. Il pourrait aussi être
utilisé à la manière de missiles téléguidés
pour attaquer des tumeurs cancérigènes.
Autre attrait: les ingénieurs se sont servis d'un appareil médical
en usage dans les hôpitaux - un système d'imagerie par résonance
magnétique (IRM) - pour guider leur bille. Or, le fait de recourir
à un appareil existant, au lieu d'en inventer un de toute pièce,
facilitera d'autant l'implantation des applications médicales découlant
de leur innovation.
L'équipe de Polytechnique a, dans les faits, réalisé
une première mondiale en contrôlant au moyen de logiciels
les déplacements d'une microbille à l'intérieur d'un
animal placé dans un appareil d'IRM.
«Pour commencer, un chirurgien a introduit la bille dans l'artère
d'un porc vivant, le modèle animal se rapprochant le plus de l'être
humain», précise le professeur Martel. Puis l'animal a été
placé dans un appareil d'imagerie médicale identique à
ceux qu'on retrouve dans maints hôpitaux. «Dès que notre
système a repéré la bille, poursuit-il, il en a pris
le contrôle et l'a dirigée selon une trajectoire prédéterminée.»
C'est le magnétisme dégagé par l'appareil d'imagerie
qui a propulsé la bille, celle-ci ayant fait dix allers-retours
dans l'artère à une vitesse moyenne de 10 cm/sec. «C'est
la réalisation d'un rêve en nanorobotique, souligne le chercheur,
puisque jamais personne n'était parvenu à contrôler
à distance un objet à l'intérieur d'un être
vivant.»
Embûches
Parmi les embûches qu'ont dû franchir les ingénieurs,
il y a eu la nécessité de cartographier parfaitement le vaisseau
sanguin dans lequel allait circuler la bille. Il fallait aussi développer
les logiciels permettant de guider la bille de façon automatique.
«C'est un peu comme contrôler une fusée dans l'espace»,
illustre M. Martel. Enfin, il a fallu installer ces logiciels sur un appareil
d'IRM, «une opération délicate puisqu'il s'agissait
d'un système en opération dans un hôpital». En
collaboration avec des médecins du Centre hospitalier de l'Université
de Montréal, les chercheurs de l'École polytechnique ont
mis trois années pour parvenir à leurs fins.
«À notre connaissance, nous sommes les premiers à avoir
démontré qu'il est possible de contrôler les déplacements
d'une bille dans un vaisseau sanguin», relate Sylvain Martel.
Il s'empresse cependant de
souligner que son équipe a utilisé une bille de la taille
de la pointe d'un stylo à bille (1,5 mm), «ce qui est énorme
en nanorobotique». À terme, ses collègues et lui espèrent
naviguer dans les plus petits vaisseaux sanguins au moyen de billes 750
fois plus petites. «Ce que nous visons, c'est le contrôle de
billes de deux micromètres seulement», dit-il.
Il confirme du coup que des tests avec de petites billes ont été
réalisés en laboratoire, mais pas encore sur des êtres
vivants. «Il y a de nombreuses différences entre contrôler
une bille de 1,5 millimètre et une de deux micromètres, dit-il,
notamment sur le plan des forces qui entrent en jeu. Mais nous sommes en
train de développer les outils nécessaires pour y parvenir
et ça avance bien...»
Une arme de guerre contre
les tumeurs
Pourquoi chercher à téléguider des billes de deux
micromètres seulement? «Parce que nous désirons atteindre
les petits capillaires qui ne sont pas accessibles à l'aide de cathéters,
indique M. Martel. Nous voulons aussi, pour certaines applications médicales,
pouvoir utiliser des grappes de milliers de nanobilles.» En fait,
cette dimension correspond à la moitié du diamètre
des vaisseaux sanguins qui alimentent les tumeurs.
«Voyez-vous, lorsqu'une tumeur commence à se développer,
il y a un stade très précis de son développement durant
lequel nous pourrions intervenir sur elle», explique l'ingénieur.
La tumeur tisse un réseau de minuscules vaisseaux sanguins qui servent
à l'alimenter. Ces capillaires sont détectables à
l'aide des appareils d'imagerie médicale, mais on ne peut pour l'instant
les atteindre puisqu'ils sont trop petits.
Si on pouvait téléguider des chapelets de nanobilles enduites
de médicaments appropriés jusque dans ces capillaires, on
pourrait ainsi attaquer la tumeur avant qu'elle ne se développe
trop. «Il y a donc une fenêtre qu'on voudrait exploiter pour
cibler la tumeur avant qu'elle n'affecte l'organisme», souligne M.
Martel.
Son équipe cherche donc à mettre au point des missiles antitumeurs
- porteurs de substances toxiques comme celles utilisées en chimiothérapie
- pour viser le coeur de la tumeur. «De la sorte, au lieu de bombarder
tout l'organisme avec de la chimio - avec les effets secondaires qu'on
connaît -, nous pourrions mener des attaques ciblées et moins
dommageables pour l'organisme», propose l'ingénieur.
Forts de la technique de téléguidage dont ils ont fait la
démonstration, les chercheurs de Polytechnique travaillent actuellement
avec des laboratoires spécialisés pour mettre au point des
nanobilles capables de transporter des médicaments existants. Bien
entendu, il leur faudra des années pour mettre au point leur système.
«Pour l'instant, notre défi consiste à concevoir un
système de guidage qui permettra de nous rendre jusque dans les
plus petits vaisseaux sanguins», indique M. Martel.
«Nous travaillons avec des équipes médicales spécialisées
en oncologie et on a déjà démontré en laboratoire
qu'on peut liquider des tumeurs, dit-il. Il reste cependant encore beaucoup
de travail à faire, sauf que tout devrait fonctionner d'ici, je
pense, deux à quatre ans.»
Sylvain Martel ne peut cependant pas estimer combien de temps s'écoulera
avant que son système puisse traiter des patients. «Tout ce
que je puis vous dire, laisse-t-il filer, c'est que je pense que notre
technologie sera disponible d'ici quelques années... Mais combien
de temps faudra-t-il pour obtenir toutes les approbations nécessaires
à une utilisation chez l'humain? Ça, c'est une tout autre
histoire!»
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samedi, le 3 novembre 2007, p. G5
Neuroimagerie fonctionnelle
:
Une plongée dans
le cerveau
par Claude Lafleur
De véritables prodiges sont réalisés grâce aux
plus récentes techniques d'imagerie médicale, rapportent
deux chercheurs spécialisés dans l'étude du cerveau.
«Grâce à l'imagerie par résonance magnétique,
nous observons comme jamais auparavant le fonctionnement du cerveau»,
relate Julien Doyon, directeur scientifique de l'Unité de neuroimagerie
fonctionnelle de l'Institut universitaire de gériatrie de Montréal.
«Certains d'entre nous observent comment le cerveau normal fonctionne
ainsi que l'effet du vieillissement, relate Ouri Monchi, adjoint au directeur
scientifique de l'Unité de neuroimagerie fonctionnelle. Ainsi, on
constate que les performances d'une personne vieillissante ne diminuent
pas nécessairement avec l'âge, mais que son cerveau travaille
plus fort pour obtenir le même résultat.»
À cette fin, les chercheurs utilisent des appareils d'imagerie par
résonance magnétique (IRM) semblables à ceux qu'on
retrouve dans les hôpitaux. Toutefois, leur laboratoire est doté
de certains des appareils les plus performants au monde. Ceux-ci permettent
non seulement d'examiner avec une précision inégalée
l'anatomie du cerveau, mais surtout de voir comment il fonctionne. Ces
techniques d'imagerie médicale représentent une véritable
révolution puisque ce genre d'observations ne pouvaient se faire
autrefois que sur des sujets décédés ou des animaux
sacrifiés.
Voir comment on pense
«Nos appareils d'IRM nous permettent d'observer une multitude de
fonctions du cerveau, indique
M. Doyon. On peut entre autres étudier le fonctionnement de la mémoire
et du langage ainsi que les structures du cerveau concernées par
la planification de la pensée et la résolution de problèmes.
On peut aussi étudier l'effet de maladies ou de lésions.»
Opérationnelle depuis trois ans, l'Unité de neuroimagerie
fonctionnelle accueille une quarantaine de chercheurs qui y mènent
plus d'une centaine de projets de recherche.
«La neuroimagerie fonctionnelle est l'observation du cerveau qui
permet non seulement d'étudier ses structures, mais de les voir
à l'oeuvre», précise M. Doyon. «Plusieurs axes
de recherche sont menés à l'Institut universitaire de gériatrie,
indique son collègue Monchi. Le Dr Doyon et moi faisons partie de
l'axe neuroscience cognitive et neuroimagerie.»
Dans son laboratoire, M. Monchi étudie entre autres la maladie de
Parkinson alors que des collègues s'intéressent aux troubles
légers de la cognition ou encore à la maladie d'Alzheimer.
D'autres chercheurs de cette unité étudient le cerveau chez
des sujets normaux afin de comprendre quels sont les bons facteurs du vieillissement.
«On peut aussi tenter d'observer les effets des traitements sur certaines
maladies, ajoute Julien Doyon. Ou encore, on peut chercher de quelle façon
on peut aider les patients qui sont sur le point de développer la
maladie d'Alzheimer ou qui en sont au tout début, etc.»
«L'une des choses qu'on peut faire maintenant, mais qui nous était
inaccessible avant l'IRM, est d'étudier les problèmes du
langage qui apparaissent en vieillissant, illustre M. Monchi. Comme vous
le savez, il arrive que des personnes âgées développent
une certaine hésitation en parlant. Nous savons aussi qu'en vieillissant
le cerveau fonctionne plus lentement. La question qui se pose est donc:
est-ce parce que le cerveau fonctionne plus lentement qu'on parle avec
hésitation ou s'agit-il de deux phénomènes distincts?
Nous menons actuellement des travaux qui visent à répondre
à cette question...»
«Nous sommes un centre d'expertise en neuroimagerie au Québec,
résume le directeur du laboratoire, mais il y a plusieurs chercheurs
d'un peu partout, y compris d'Europe, qui viennent faire ici des expériences.»
Une révolution : scruter
l'ensemble du cerveau
Les deux chercheurs font en outre état de la mise au point, dans
leur laboratoire comme ailleurs dans le monde, d'une nouvelle méthode
d'imagerie médicale qui permet d'observer les connexions entre les
différentes régions du cerveau. «Nous appelons cela
de l'imagerie par tenseur de diffusion, indique M. Doyon. Nous sommes maintenant
capables d'observer les axones, ces fameux faisceaux de fibres qui relient
les différentes parties du cerveau.»
Ce qui fascine les chercheurs, c'est que cette approche permet pour la
première fois d'observer le fonctionnement global et détaillé
du cerveau. «On peut même regarder si la qualité de
ces branchements est en train de se dégrader, ce qui est très
précieux», poursuit son collègue Monchi.
Auparavant, on pouvait observer le fonctionnement de certaines parties
du cerveau lorsque, par exemple, on demande à un sujet de faire
une activité de mémorisation ou de langage. Mais grâce
à l'imagerie par tenseur de diffusion, les chercheurs peuvent enfin
voir de quelle façon les différentes régions du cerveau
sont reliées entre elles et travaillent ensemble. «C'est fantastique!»,
de lancer Ouri Monchi.
«Grâce à l'imagerie par tenseur de diffusion, nous étudions
le fonctionnement du cerveau dans son ensemble, nous voyons les réseaux
travailler ensemble, poursuit-il. Par exemple, nous observons les régions
du cerveau qui s'activent lorsqu'on cherche à se rappeler d'un événement:
quelles sont donc les structures qui contribuent au souvenir et comment
fonctionnent-elles entre elles?»
Autre genre de questions que la nouvelle technique permet d'aborder: qu'est-ce
qui se passe lorsqu'une personne souffre d'une pathologie? Comment réagit
son cerveau et comment se réorganise-t-il?
Mise au point ces dernières années, cette technique ouvre
de fascinantes avenues de recherche, estime le directeur scientifique de
l'Unité de neuroimagerie fonctionnelle.
«En fait, j'en suis absolument convaincu, c'est la voie de l'avenir!,
dit-il avec enthousiasme. Non
seulement va-t-on chercher à comprendre comment fonctionne le cerveau,
mais aussi comprendre de quelle façon ses réseaux sont affectés
par une pathologie.»
Il estime même que cette technique devrait permettre d'observer les
différences entre des personnes normales et celles qui développeront
la maladie d'Alzheimer. «Un jour, on pourra prédire qui risque
de devenir alzheimer, affirme-t-il. Voilà qui ouvre des perspectives
sensationnelles!»
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samedi, le 10 novembre 2007, p. I2
Jacques Montplaisir :
percer les mystères du sommeil
par Claude Lafleur
Le Dr Jacques Montplaisir dirige l'une des plus importantes équipes
au monde qui se consacrent à l'étude du sommeil. Son laboratoire,
à l'hôpital Sacré-Coeur, rassemble une dizaine de chercheurs
et vingt-cinq étudiants-chercheurs. Pourtant, lorsqu'il a commencé
sa carrière, dans les années 1970, sa discipline ne comptait
qu'une poignée de chercheurs. Sa persévérance est
aujourd'hui reconnue par l'attribution du prix Wilder-Penfield.
«En 1975, on a tenu une réunion de gens intéressés
par la médecine du sommeil à Chicago, se souvient Jacques
Montplaisir. Nous n'étions qu'une dizaine. Aujourd'hui, lors d'un
grand congrès sur le sujet, on peut être plus de six mille!»
Le Dr Montplaisir est un véritable pionnier. Non seulement est-il
l'un de ceux qui ont mis en lumière les processus complexes qui
surviennent durant le sommeil, mais en plus son équipe a développé
des traitements pour contrer certains troubles du sommeil. «Le sommeil
a longtemps été perçu comme un phénomène
relativement passif, se rappelle-t-il. Or, la première chose qu'on
voit, lorsqu'on commence à l'étudier, c'est qu'il s'agit
au contraire d'un phénomène très actif durant lequel
surviennent beaucoup de changements.»
Ce qui se passe durant la
nuit
C'est dès son adolescence qu'est née cette passion pour le
sommeil. «Ça m'a toujours fasciné d'observer et de
m'interroger sur ce qui se passe durant la nuit, pourquoi on dort et à
quoi ça sert, rapporte Jacques Montplaisir. Je me souviens que,
me réveillant la nuit, je regardais avec fascination les gens dormir...»
Il éprouve dès lors une grande curiosité pour le fonctionnement
du cerveau. Dans la bibliothèque du collège où il
étudie, il tombe par hasard sur un traité sur le sommeil.
«Il s'agissait d'un rapport scientifique qui n'aurait peut-être
pas dû se trouver là, note-t-il. En le lisant, j'ai découvert
que des gens abordaient la question d'une manière scientifique en
plaçant des électrodes sur la tête de sujets pour voir
comment ils dorment! Ça m'est resté dans l'esprit...»
À l'université, le jeune Montplaisir s'intéresse tout
naturellement à la biologie humaine, en particulier aux sciences
neurologiques. Il effectue donc des études de médecine afin,
il le sait déjà, de pouvoir un jour scruter le fonctionnement
du cerveau.
«Ce qui m'intéressait, c'était la physiologie de la
conscience, en particulier du sommeil et des différents états
de vigilance. C'était un domaine peu connu à l'époque,
puisqu'on ne disposait que de peu de moyens d'investigation. De plus, comme
médecin, je me suis intéressé aux problèmes
associés au sommeil: pourquoi certaines personnes tombent-elles
endormies durant la journée alors que d'autres n'arrivent pas à
s'endormir le soir? Pourquoi y a-t-il des somnambules? Etc.»
Dans les faits, le chercheur a le privilège de participer à
l'élaboration d'une nouvelle discipline médicale. Ses collègues
et lui commencent par décrire les phénomènes normaux
qui se passent durant la nuit. Puis ils établissent des critères
de diagnostic pour définir les maladies du sommeil. Ils cherchent
ensuite à comprendre les mécanismes et les causes de ces
maladies avant, éventuellement, de tenter de développer des
traitements. «Ça, ç'a été l'un des premiers
grands plaisirs de ce travail pour le moins novateur, dit-il. Il n'y avait
pratiquement rien d'établi...»
Vers des traitements contre
le parkinson?
Les chercheurs ont ainsi cerné quatre grandes catégories
de troubles du sommeil. Il y a d'abord les insomnies, qui affligent ceux
et celles qui ont du mal à s'endormir ou qui se réveillent
souvent la nuit. Il y a ensuite les troubles de l'hypersomnie, c'est-à-dire
la somnolence durant la journée. Il y a les troubles de la parasomnie,
soit des phénomènes anormaux qui surviennent durant la nuit,
tels que le somnambulisme et le grincement des dents. Enfin, il y a les
dérèglements biologiques du sommeil, qui affligent notamment
les personnes qui doivent se coucher très tôt ou très
tard pour espérer bénéficier d'une bonne période
de sommeil. C'est le cas des gens âgés qui se couchent dès
20 heures et des adolescents qui ont du mal à se coucher avant deux
heures le matin.
Le Dr Montplaisir a entre autres observé que certains insomniaques
sont victimes du syndrome des impatiences musculaires, une maladie également
appelée syndrome des jambes sans repos. «C'est l'une des causes
fréquentes d'insomnie, dit-il, particulièrement au Québec.»
Heureusement, son équipe a mis au point le traitement standard dont
bénéficient des milliers de personnes à travers le
monde. Il s'agit de leur administrer un médicament utilisé
normalement pour traiter le parkinson.
Une autre maladie que le chercheur étudie en ce moment est le trouble
comportemental en sommeil paradoxal. Il s'agit d'une maladie qui survient
généralement chez les personnes âgées de 50
ans ou plus qui se mettent à parler, à crier ou à
frapper durant leur sommeil. «Ces personnes ont souvent un comportement
agressif qui survient généralement vers la fin de leur nuit»,
indique le Dr Montplaisir. Mais, surtout, ce qu'on a découvert,
c'est que les deux tiers de ceux et celles qui en souffrent vont ultérieurement
développer une maladie dégénérative, en particulier
le parkinson.
«C'est une maladie qui nous intéresse tout particulièrement,
puisqu'elle nous permet d'identifier une population à haut risque
de développer la maladie de Parkinson, indique le médecin.
On essaie ainsi de développer des traitements, dits de neuroprotection,
qui empêcheraient ces personnes de devenir parkinsoniennes. Nous
pensons avoir trouvé des traitements qui semblent avoir des propriétés
de neuroprotection, mais il est encore trop tôt pour en être
certain.»
Entre-temps, son équipe et lui, tout comme ses collègues
d'un peu partout sur la planète, s'intéressent à des
questions plus générales qui nous concernent tous. Ainsi,
le Dr Montplaisir aimerait bien savoir ce qui se passe durant une bonne
nuit de sommeil pour que, le matin venu, on se sente tout ragaillardi.
«Quelles sont donc les fonctions réparatrices du sommeil?,
demande-t-il. Et pourquoi ces fonctions se détériorent-elles
avec l'âge?» Il s'intéresse également au rôle
précis du sommeil dans les processus cognitifs, notamment en matière
de mémorisation et de traitement de l'information.
Comme quoi, même après trois décennies de recherche,
la curiosité du spécialiste est toujours aussi éveillée.
«Il y a plein de choses qu'on ignore encore à propos du sommeil...»,
laisse-t-il filer avec toujours autant de passion.
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samedi, 10 novembre 2007, p. G4
Soins de santé : privé
ou public ?
par Claude Lafleur
Doit-on permettre la coexistence d'un système de santé à
«deux vitesses»? Quelle place devrait-on accorder au privé
dans notre système public de santé?
Pour résoudre ce genre de questions, il importe d'abord de distinguer
deux aspects fondamentaux: le financement du système de santé
et la prestation des soins. C'est du moins ce que recommande Damien Contandriopoulos,
qui dirige la Chaire sur la gouverne et la transformation des organismes
de santé.
«Le financement du système peut être public ou privé,
affirme-t-il. Le financement public provient bien entendu des revenus de
l'État, donc de la taxation et des impôts, alors que le financement
privé vient en grande partie d'assurances que l'on contracte soit
individuellement ou en groupe.»
Quant à la prestation - qui donne les soins -, M. Contandriopoulos
constate qu'on a déjà un système largement mixte.
«On n'a qu'à penser aux médecins qui pratiquent dans
leur cabinet ainsi qu'aux cliniques privées qui sont actuellement
existantes», dit-il. Pour l'heure, la prestation des soins est en
grande partie défrayée par du financement public. Toutefois,
cela pourrait changer... pour le meilleur ou pour le pire?
Voilà précisément la question à laquelle se
consacre ce chercheur en administration de la santé au Groupe de
Recherche interdisciplinaire en santé (GRIS) de l'Université
de Montréal. «Le GRIS regroupe une centaine de spécialistes
qui travaillent sur les meilleures façons de s'assurer que les populations
soient en santé, indique M. Contandriopoulos. Nous menons depuis
longtemps des travaux sur comment financer les soins de santé et
sur comment les organiser. L'un des thèmes sur lesquels je travaille,
c'est la répartition public/privé et le mouvement actuel
vers une plus grande privatisation.»
Serions-nous mieux traités
dans le privé ?
Au niveau de la dispensation des soins, Damien Contandriopoulos rapporte
que quantité d'études ont été menées
au fil des ans, particulièrement aux États-Unis où
le public et le privé sont largement répandus et où
les cliniques et hôpitaux privés peuvent être ou non
à but lucratif.
«Ce qu'on observe, dit-il, c'est qu'il est probablement mieux pour
un patient d'être hospitalisé dans une institution à
but non lucratif, qu'elle soit privée ou publique. On y retrouve
en effet les meilleurs taux de survie par suite d'une maladie grave, un
plus haut taux de recours aux meilleures pratiques, etc.»
Il ne s'agit cependant pas d'un constat inébranlable, s'empresse-t-il
d'ajouter: «Les preuves ne sont pas absolument claires puisqu'on
peut trouver autant le pire que le meilleur dans l'un ou l'autre des systèmes.
Toutefois, de grandes études comparatives montrent que les hôpitaux
qui n'ont pas un but lucratif sont significativement meilleurs.»
Pourquoi ne pas se payer
ses propres soins ?
Quant au financement, la situation est très nette, rapporte M. Contandriopoulos:
«Le public est largement supérieur au privé, quelle
que soit la situation!»
Premièrement, rares sont les personnes qui peuvent se payer des
soins de santé, surtout lorsqu'elles sont atteintes d'une maladie
grave. «Le coût des soins est souvent largement au-delà
de ce que peut payer 99,9% de la population, résume le spécialiste.
On doit donc recourir à des assurances.» La plupart du temps,
il s'agit d'assurances privées obtenues par l'entremise d'un employeur.
Deuxièmement, que se passe-t-il lorsqu'on doit combattre, par exemple,
un cancer? «Au bout d'un certain temps, comme vous êtes relativement
invalide, votre employeur finit par vous mettre à la porte»,
relate M. Contandriopoulos. De ce fait, il vous prive de vos bénéfices
d'assurance, alors que vous avez encore besoin de traitements. Théoriquement,
vous pouvez recourir aux programmes publics, mais si vous avez des biens
- une maison, une auto, des économies, etc. -, vous n'êtes
pas admissible... Vous devez donc défrayer vos soins, jusqu'à
ce qu'il ne vous reste plus rien...
Gaspillage de fonds publics
?
Néanmoins, on a tous l'impression que l'administration publique
de la santé est une bureaucratie qui coûte cher et qui utilise
à mauvais escient quantité d'argent. C'est tout le contraire,
rapporte le spécialiste en administration de la santé. «C'est
un mythe que de penser que le système public gaspille de l'argent
dans une lourde structure administrative», tranche-t-il.
De fait, l'administration d'un système privé gobe de 15 à
30% de la totalité des sommes en jeu, comparativement à de
3 à 6% pour l'administration d'un système public. «Cette
énorme différence s'explique parce que le second est beaucoup
plus simple que le premier», explique-t-il.
Prenons l'exemple de la Régie de l'assurance maladie du Québec,
suggère Damien Contandriopoulos. Chaque fois qu'un patient consulte
un médecin, la RAMQ reçoit une facture et, à la fin
du mois, elle émet un chèque à son intention. «Comme
il y a quelques milliers de médecins au Québec, elle n'émet
que quelques milliers de chèques chaque mois.» Quant aux hôpitaux,
le ministère de la Santé alloue des sommes selon les besoins
de chacune de ces institutions.
Par contre, dans un système privé, la plupart des actes médicaux
doivent être autorisés par l'assureur privé. «Chaque
assureur a une armée de médecins chargés de
surveiller la pratique de leurs collègues et de recommander ou non
un traitement, rapporte M. Contandriopoulos. Vous avez des dizaines de
milliers de personnes qui ne font que ça!»
C'est ainsi qu'aux États-Unis, les frais d'administration des assurances
de santé dépassent la totalité de ce qu'on dépense
au Canada en tout et pour tout dans la santé, rapporte-t-il. C'est
dire que ces frais supplantent ce qu'il en coûte pour traiter plus
de trente millions de personnes!
Une médecine publique
et privée ?
Ne pourrait-on pas permettre à nos médecins de travailler
à la fois pour le public et pour le privé? Pour Damien Contandriopoulos,
ce serait là la pire des choses à faire. «Que feront
alors nos médecins?, pose-t-il. Ils joueront sur les deux tableaux.»
Ainsi, dans un premier temps, ils se plaindront auprès du gouvernement
que, puisque le privé leur octroie davantage que ce qu'on leur attribue,
ils n'ont guère d'intérêt à demeurer dans le
public. «On va donc être obligé de leur offrir les mêmes
conditions que le privé», dit-il. Mais que feront-ils par
la suite? Ils se retourneront vers le privé en se demandant pourquoi
travailler dans ce secteur puisque le public leur offre autant. «Le
privé n'aura d'autres choix que de leur octroyer un supplément...
Et ainsi de suite!»
«Pourquoi pensez-vous que les États-Unis consacrent 15% de
leur PIB à la santé, alors que ce n'est que de 8 à
10% pour les autres pays industrialisés?, lance enfin Damien Contandriopoulos.
C'est précisément pour cette raison!» |
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