Ce n’est pas tous les jours qu’on a le privilège de découvrir un nouveau monde! Or, voilà justement ce que sont en train de faire les sondes Cassini et Huygens en scrutant l’étrange Titan, la deuxième plus grosse lune du Système solaire.

        Comme à l’époque de Magellan ou de Christophe Colomb, qui ont exploré des contrées aussi lointaines que mystérieuses, les deux robots nous font vivre un épisode charnière de l’exploration spatiale: depuis la découverte de Titan par Christiaan Huygens en 1655 jusqu’à il y a quelques mois, on ignorait pratiquement tout de cet astre, alors que d’ici peu, on aura le portrait  d’un nouveau monde.

Une planète exotique, un laboratoire biologique

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        Avant l’arrivée sur place du duo Cassini-Huygens à l’été 2004, on connaissait peu de chose de Titan. Seules trois sondes* l’avaient brièvement survolée, nous en révélant juste assez pour nous intriguer. En particulier, elles nous ont appris que Titan est entourée d’une épaisse atmosphère qui empêche de voir sa surface, ce qui est une chose rare puisque seule Vénus présente le même inconvénient.
Titan photographiée par Voyager 1
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        Située à plus d’un milliard de kilomètres de nous, Titan mériterait le titre de planète si elle ne gravitait pas autour de Saturne. Sa taille (5 150 kilomètres, une fois et demie celle de la Lune) est supérieure à celle de Mercure et de Pluton. De plus, c’est l’un des rares astres à posséder à la fois une surface solide et une atmosphère (comme la Terre, Mars et Vénus). Toutefois, alors que ces planètes sont avant tout des astres rocheux, Titan se compose à moitié de glace d’eau et à moitié de matière rocheuse. 


L'atmosphère opaque entourant Titan

        Cette atmosphère exerce une pression 1½ plus forte que ce qu’impose l’atmosphère terrestre sur nous. Elle est composée en grande partie d’azote (comme la nôtre), d’argon, de méthane, de composés organiques et de traces d’eau. Notons que les composés organiques sont produits par l’effet des rayons du Soleil sur le méthane. Il s’agit d’une sorte de smog, semblable à la pollution au-dessus de nos villes, qui enveloppe complètement Titan.

        Ce sont là, imaginent les scientifiques, le genre de conditions qui prévalaient sur Terre avant l’apparition de la vie. Par contre, comme la température sur Titan est de –180 °C, tout développement de la vie, telle qu’on la connaît, apparaît impossible.
 

Voici comment on imagine le monde dans lequel doit descendre la sonde Huygens

        Néanmoins, étant donné la présence de telles conditions, on s’attend à observer sur Titan des paysages vraiment exotiques – notamment des lacs de méthane – comme on n’en a jamais vus nulle part ailleurs. D'ailleurs, jamais n'a-t-on  observé une étendue liquide ailleurs que sur Terre. Ainsi, tels que l’illustrent les tableaux d’artiste ci-dessus, on imagine sur Titan des scènes totalement différentes de ce qu’on a vu sur la Lune, Mars ou Vénus.

26 octobre 2004 : un premier regard

        C’est donc avec beaucoup de curiosité qu’on a attendu les premières photographies rapprochées de Titan que devait prendre la sonde Cassini le 26 octobre 2004. Ce jour-là, l’engin est passé à 1 174 kilomètres de la surface et on espérait, si l’atmosphère n’est pas trop opaque, obtenir un premier aperçu des paysages étranges.

        Or, le survol de Cassini nous a à la fois rassurés, déçus et intrigués.

        D’abord, nous avons été rassurés de découvrir que l’atmosphère est passablement transparente. Cassini a donc pu prendre sans problème quantité de clichés nous révélant le sol de Titan. (La sonde étant munie d’un radar, elle peut également scruter le relief.)

Premiers clichés rapprochés de Titan, qui révèlent un monde contrasté

        Par contre, on a été quelque peu déçu de constater que ces photos ne révèlent qu’une surface dénuée de relief. Elles montrent essentiellement des zones contrastées (blanches ou noires) où il n’y a, à première vue, aucune formation géologique. De surcroît, ô grande déception, on n’y repère aucune étendue liquide. Titan apparaît aussi sèche que la multitude de mondes explorés à ce jour!

        Voilà qui, en soit, intrigue énormément les spécialistes. Ainsi, dans les heures suivant ce premier survol de Titan, Carolyn Porco, directrice de l’équipe image de la mission Cassini, ne savait trop comment décrire ce que nous venions de voir. «Nous ne pouvons dire de quoi il s’agit, mais c’est très intriguant, a-t-elle laissé filer. C’est un monde comme on n’en a jamais vu… et il nous faudra du temps pour tout mettre en place. Voilà qui nous donne de quoi réfléchir… et ce, pour un bon bout de temps!»

        De fait, nul ne peut dire ce que montrent au juste ces images. Ainsi, les zones claires sont-elles une sorte de neige qui recouvrirait les zones foncées, ou est-ce le contraire? Ou encore: les zones blanches sont-elles une sorte de «sable» blanc et les zones foncées du «sable» détrempé? Pourquoi n’y distingue-t-on aucun relief important – montagne, vallée, cratère, crevasse, etc. – comme on a l’habitude de le voir partout ailleurs? Et, par-dessus tout: où sont les lacs, les mers ou les rivières de méthane qu’on espérait voir?

        En fait, de toute l’histoire de l’exploration spatiale, c’est la première fois que nous nous trouvons aussi «déboussolé» par de telles images. Auparavant, par exemple avec les premières photographies rapprochées de la Lune ou de Mars, on pouvait assez aisément évaluer ce qu’on y voyait: cratères, montagnes, plaines, etc. Mais là, sur Titan, nul doute que nous sommes sur un monde fort différent de ce que nous avons l'habitude de voir.

L’atterrissage d’Huygens, une réussite époustouflante

        Le 14 janvier 2005, la sonde Huygens a pour sa part réussi sa mission par-delà toute espérance. De conception européenne, elle avait pour mandat d’étudier l’atmosphère de Titan en y descendant lentement.

        Durant deux heures de plongeon en parachute, la sonde devait analyser la composition de l’atmosphère, mesurer les variations de pression et de température ainsi que la vitesse des vents, détecter la présence de couches nuageuses et d’orages en plus de photographier le sol défilant sous elle. Notons qu’Huygens n’avait pas pour mission de se poser en douceur, puisqu’on ignorait tout de la nature du sol. Ainsi, les concepteurs craignaient que l'engin ne coule à pic dans un lac de méthane, à moins qu’il ne rencontre un obstacle imprévisible.

        Notons au passage que, lorsqu’on songe à quel point il est difficile de se poser sur Mars, même après quatre décennies d’exploration soutenue de la planète rouge, on comprend à quel point on ne pouvait raisonnablement espérer réussir du premier coup un atterrissage sur un monde aussi méconnu.

       Or, non seulement Huygens a-t-elle parfaitement effectué sa descente dans l’atmosphère, mais elle s’est posée en douceur sur le sol. De là, elle nous a transmis des informations durant trois bonnes heures dont, ô délice, une splendide photographie couleur (ci-contre)!


Dessin montrant Huygens reposant sur le sol de Titan

        Regardez bien le cliché ci-contre pris à même le sol de Titan. Au premier plan, des rochers de la taille de ballons sont en fait de la glace surgelée. Si cette scène n’a rien à voir avec un paysage titanesque tel qu’on se l’imagine, il s’agit néanmoins de la seule vue du sol de Titan dont nous disposerons pour les décennies à venir; un document véritablement exceptionnel.

        Quant aux clichés pris durant la descente dans l’atmosphère, ils ne montrent pas, à première vue, beaucoup de reliefs. Toutefois, sur une série de d'images pris à 16 kilomètres d’altitude (à gauche, ci-dessous), on distingue ce qui semble à un bord de mer avec un réseau de rivières asséchées qui paraît se déverser dans un bassin plat. Hélas, on n’y découvre aucune étendue liquide…
 

Un puzzle à assembler

        L’exploration de Titan ne fait que commencer et sans doute nous réserve-t-elle plusieurs belles surprises. Au cours des quatre prochaines années  Cassini effectuera une quarantaine de survols de Titan, ce qui nous permet d’espérer qu'au fur et à mesure que s’accumuleront les données, on finira par identifier la nature des terrains de Titan.

        En particulier, le puissant radar dont est équipée la sonde permettra sans doute de déterminer la nature des zones pâles et foncées et laquelle a tendance à recouvrir l’autre. De plus, à ce jour, l’engin n’a scruté qu’une petite portion de l’astre. Non seulement une foule de données s’accumuleront, mais leur analyse devrait à la longue tracer le véritable portrait de ce nouveau monde.

        Quoi qu’il en soit, l’exploration de Titan illustre à merveille le déroulement d'une investigation scientifique. Au départ, on a des attentes, puis on obtient les premiers résultats… dont l’analyse nous procure une image à laquelle on ne s’attendait pas.

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* C’est-à-dire : Pioneer 11, en septembre 1979, et les Voyager 1 & 2, en novembre 1980 et en août 1981

Voir les plus récentes images de Titan sur le site Planetary Journal de la NASA.
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© Claude Lafleur, 2005

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