Les rencontres amoureuses en évolution

        Il fut un temps où «la famille» était nécessité et où la majorité des couples se formaient dans le devoir de «fonder un foyer». Les gens trouvaient habituellement le «bon parti» à même les gens du comté, des gens qu'ils connaissaient bien de famille en famille, laissant tout de même quelques opportunités aux nouveaux arrivants et aux quelques voyageurs qui surgissaient d'un ailleurs habituellement pas très lointain. Il y avait ceux aussi qui se voyaient imposer un partenaire par l'entremise des familles qui «plaçaient» leurs enfants pour la dot convoitée, le maintien d'un rang social ou encore pour des échanges de services. Tous ces couples s'unissaient bien souvent pour la vie... sans que l'amour ne soit nécessairement au rendez-vous. Et il y avait les quelques autres qui, ne trouvant pas «chaussures à leur pied», demeuraient bien tristement dans le célibat et, pointés du doigt pour ce statut mal acquis, se résignant toutefois à prendre soin de leurs vieux parents...

        Mais cette période des «amours de nécessité» est bien révolue, du moins au Québec. Aujourd'hui, les gens ont des exigences et recherchent d'abord et avant tout la passion ou du moins, l'amour. Jamais il ne viendrait à l'idée de quiconque de se mettre en couple pour affaire ou strictement pour fonder une famille sans éprouver le moindre sentiment amoureux pour son partenaire. Non, désormais on exige l'amour quelle qu'en soit la forme! Mais comment le trouver cet amour alors que nous vivons dans une ère de séparation, de solitude grandissante et d'anonymat? Où les gens parviennent-ils à croiser leurs regards?

        Dans un cours sur le développement affectif des adolescents et des adultes qui s'est tenu vers la fin des années 1970, la professeur avait spécifié -- et je l'ai retenu tellement l'information m'avait semblé inusitée -- que les adolescents avaient sans cesse des occasions de rencontres, que ce soit avec les autres jeunes de leur école ou ceux de leur patelin. Par désir de se rallier à leurs pairs, les jeunes sont ainsi constamment en groupe et vivent de nombreuses possibilités de rencontres sur le plan affectif. Par contre, pour les adultes, les belles rencontres s'avèrent beaucoup plus difficiles, n'ayant pour prétexte que les connaissances déjà acquises et le milieu du travail qui, encore là, peut provoquer des situations embêtantes si les affaires tournent mal. Donc, si l'adulte n'est pas en couple, soit parce qu'il vient de se séparer ou parce qu'il n'a pas trouvé, il constate très rapidement que les occasions de rencontres se font plutôt rares. On dira alors que c'est le hasard des rencontres qui mène le bal! Mais parfois, ne faut-il pas forcer un peu le hasard? Pourtant, dans ces derniers temps, alors que les divorces et les séparations fusent de partout, on peut croire qu'un bon nombre d'adultes sont disponibles sur le marché des amours et que la plupart sont à la recherche de l'Autre. Mais encore faudrait-il savoir où il se trouve cet Autre!

Il y a le physique...

        Devant l'ampleur du problème, plusieurs formules de rencontres se sont développées et ont alors envahi le marché. Pour les «mondains», demeurent encore et toujours les bars de rencontres, les «cruising bar», les discothèques, les clubs où l'alcool, la danse, l'éclairage, la musique, le décor sont conçus pour offrir une ambiance propice aux rencontres, du moins pour celles d'un soir. Mais faisons-nous vraiment de véritables et sérieuses rencontres dans ces endroits? Ça dépend pour qui et ça dépend des besoins de chacun. Alors pour les autres qui n'aiment pas ce style de vie, il y aura les agences de rencontres, une sorte de «blind date» oganisé par des spécialistes.

        Toutefois, devant la propension du nombre de célibataires et de leurs besoins, ces agences se sont clairement ajustées au marché et ont fait émerger des projets urbains de toutes sortes. Une idée n'attend pas l'autre, toujours sous des allures nouvelles allant jusqu'à organiser des activités strictement réservées aux célibataires, des déjeuners-causerie, des excursions, des épinglettes affichant le statut civil, des souper-soirées, des weekends de rencontres, dont l'unique but est de permettre l'échange entre célibataires, espérant que de ces croisements naîtront une multitude d'amours fulgurants. Jamais on aura autant entendu parler ouvertement du statut du célibat et du désir d'en sortir! Autant, la recherche de l'Autre fut longtemps tenue sous silence, par honte de ne pas avoir été cueillie ou accueilli et de devoir forcer le hasard pour rencontrer quelqu'un, autant maintenant, le célibat est démystifié et la recherche active peut se faire au grand jour. Fini le syndrome du vieux garçon et de la vieille fille! En parallèle, se poursuivent toujours de façon bien informelle les fameuses présentations par des amis, les «blind date», qui mettent en présence des ami-e-s des ami-e-s dans le but de faire naître l'étincelle et d'amener nos amis à former un couple qui deviendra un couple d'amis!

        Toutes ces formes de rencontres ont comme particularité, vous l'aurez remarqué, celle de promouvoir la première prise de contact dans le face à face, en chair et en os -- ce qui incite inévitablement ces inconnus à s'évaluer d'un premier regard par l'aspect physique de l'autre, sans que les autres éléments de la personnalité n'aient toujours le temps d'interférer.

Il y a aussi la voix..

        Il y a aussi d'autres formes de prises de contact qui font partie du panorama des célibataires et qui ne passent pas d'abord par la rencontre physique. Les petites annonces! Dans tous les journaux, la rubrique Rencontres, qui existe tout de même depuis un certain temps, décuple de popularité. C'est là une façon toute simple de rencontrer. On peut lire dans cette rubrique la description ainsi que les préférences d'un éventail de candidats qui cherchent tout comme nous à rencontrer. Jadis, la prise de contact se faisait par courrier, c'est-à-dire qu'on doit répondre par écrit à l'annonce de notre choix et attendre la réplique dans les semaines suivantes. Par la suite, le téléphone se met de la partie.

        On sait que dans les débuts, cet appareil était davantage réservé à ceux qui ne pouvaient s'adresser à l'autre de visu alors qu'il était urgent de lui transmettre une information. D'abord d'un usage plutôt rare, tranquillement, les gens ont adapté ce moyen de communication à leur quotidien et lui ont alloué plusieurs autres fonctions, dont celle d'entretenir des relations, de solliciter des gens, d'organiser des soirées ou des affaires. Mais plus récemment, il s'est mis au parfum du jour et a offert sa collaboration dans la recherche du partenaire amoureux en développant la formule des boîtes vocales et des lignes de contact. Désormais, une fois que l'annonce a été sélectionnée, on peut entendre le message et la voix de celui ou celle qui a été identifié comme un candidat intéressant, tout comme il est possible de lui laisser un message sur sa boîte vocale. Sur les lignes, on encourage plutôt la discussion en direct. Le téléphone est donc devenu lui aussi un instrument de rencontres mettant continuellement des gens en contact, même des inconnus qui cherchent un partenaire de vie ou de nuit. Mais la formule ayant un prix, le nombre de contacts s'en voit vite réduit!

Et finalement, il y a les mots...

        Et voilà qu'à l'aube de l'an 2000, les nouvelles technologies se développent encore davantage et nous amènent dans un monde de communications sans limite; la mondialisation au rythme des claviers! Une adresse électronique, un nom de plume, un site, un chat, quelques messages envoyés et le tour est joué; le contact est établi, la confiance est installée et, tel un coup de baguette magique, l'inconnu, de par le monde, nous devient familier comme si on le connaissait depuis toujours! L'Autre est désormais à notre portée pour qui s'y intéresse un tant soit peu grâce au courriel et à la Toile. Et dans ce cas, la distance et les frais n'ont vraiment plus d'importance, de sorte que jamais la communication entre les gens n'aura été aussi accessible.

        Sans qu'un seul regard ne se soit croisé ni de voix murmurées, des gens tombent passionnément en amour sur la seule base de leurs mots, au point même, parfois, de provoquer la rupture de leur propre couple, de changer leur vie et de chambarder celle de leur entourage. Des passions qui, hélas, retombent parfois aussi rapidement qu'elles sont venues dès que la réalité refait surface... Mais qu'importe, puisque aussitôt, une autre passion peut se pointer à l'horizon! Camoufflés derrière notre écran, nous développons des relations qui nous font vivre des émotions jusqu'alors inconnues et qui prennent des tournures rocambolesques ou du moins inattendues. Même les peines d'amour prennent des allures nouvelles!

        On peut se sentir libre et fantaisiste sur le clavier au point de projeter sur l'autre tous nos fantasmes, nos désirs et nos rêves inassouvis. Rien à voir avec la réalité! Fascinant et troublant à la fois, non? Mais est-ce là les relations de l'avenir? Entrons-nous dans une nouvelle ère des rapports humains? En sommes-nous à l'heure des relations virtuelles, relations éphémères de l'imaginaire, relations qui se défendent bien de la réalité?

        Mais peut-être aussi arriverons-nous à tirer profit de ces relations virtuelles et apprendre à évoluer avec elles... D'autant plus que, menacées par la Toile, nous assistons présentement à l'extinction graduelle des autres formes de rencontres (agences de rencontres, petites annonces dans les journaux, activités pour célibataires, etc.)... Alors que seront les amours d'internet?

        Voilà la question que nous nous posons et pour laquelle nous voulons échanger avec vous...

Pour poursuivre votre lecture: Nos premiers échanges...

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© Claude Lafleur, 1999