La barrière des cinq premières minutes

        Grâce à Internet, il est possible d'établir quantité de contacts à partir desquels des relations prennent forme aisément, dont certaines deviennent évidemment très emballantes, c'est le moins que l'on puisse dire!

        Malheureusement, ces relations qui suscitent plein d'espoir souvent échouent lamentablement lorsqu'une première rencontre physique s'impose et que le rêve se voit confronté à la réalité.

        J'imagine que bon nombre d'entre vous ont déjà rencontré quelqu'un à la suite d'un échange sur la Toile et qu'à cet égard, il est possible que vous ayez vécu ce genre de déception. Pourtant, derrière son clavier, on a l'impression d'enfin découvrir la perle rare, la personne qui partage nos valeurs et qui correspond justement à nos désirs et attentes. On échange alors plusieurs fois avec elle par courriel ou sur le chat, puis on passe au téléphone... pour ensuite arriver à l'étape ultime: la véritable rencontre physique.

        Ah, la première rencontre!

        Hélas, combien de fois celle-ci se solde-t-elle rapidement par une vive déception? Tous nos beaux rêves s'envolent le temps de le dire, ou plutôt dès le premier coup d'oeil. Bizarrement, la personne qui se trouve en face de nous ne semble plus correspondre à celle qu'on s'était imaginée et ce, même si on possédait une bonne description d'elle ou même une photo. Cette personne ne nous apparaît plus aussi chaleureuse, vivante, l'fun que celle avec qui on échangeait sur la Toile. Dieu que cela peut être décevant!

      Pour en avoir beaucoup discuté avec d'autres «victimes de la première rencontre», il semble en effet fréquent que nos espoirs disparaissent dès les premiers instants de la première rencontre. En l'espace d'un clin d'oeil, on réalise que l'autre n'est pas la personne à laquelle on rêve. Que s'est-il donc passé? Pourquoi un tel écart entre le virtuel et la réalité? Peut-être direz-vous comme bien d'autres que c'est parce que: «Tout se joue dans les cinq premières minutes» et que «Si, aux premiers regards, ça clique et si, durant les premières minutes, ça marche, alors là ça devient intéressant... Autrement, c'est peine perdue.»

        De toute évidence, nous nous buttons tous à cette barrière, la barrière des cinq premières minutes. Mais de quoi est-elle faite cette barrière?

        Quand on y réfléchit un peu, on prend conscience que nous espérons en fait être littéralement séduit dès les premières minutes d'une rencontre, ou mieux, connaître enfin le fameux coup de foudre, qui, comme au cinéma, nous transportera dans une autre réalité dès le premier regard échangé. Cependant, la «foudre» ne tombe que rarement. À preuve, nombreux sont ceux et celles qui rapportent n'avoir jamais vécu un véritable coup de foudre (réciproque et durable) ou à qui cela n'est arrivé qu'une seule fois.

        Pourtant, avec un peu de chance, nous avons déjà vécu plus d'une relation amoureuse.

        Or, lorsqu'on fait le bilan de notre vie amoureuse et des premières étapes des relations précédentes, on se rend compte que dans bien des cas, l'Autre ne nous a pas nécessairement plu au premier coup d'oeil; ça n'a pas été l'envol digne d'un film hollywoodien.

        Il en est ainsi, entre autres, de nos premiers amours -- les relations qui naissent à l'école alors que nous en sommes à nos premières fréquentations. Il faut souvent du temps avant de repérer, parfois un peu par hasard, celle ou celui qui fera bondir notre coeur. Parfois, c'est à la suite d'un travail en équipe ou d'une activité parascolaire que finalement, bang!, notre coeur réagit. De même, bien d'autres rencontres se font progressivement, c'est le cas du frère ou de la soeur d'un ami que l'on voit d'abord sans trop y porter attention, jusqu'au jour où on ne le voit plus avec les mêmes yeux.

        Malheureusement, devenus adultes, les occasions qui offrent la possibilité de côtoyer au quotidien plusieurs personnes se font plus rares, si ce n'est pour certaines le milieu de travail ou des loisirs. C'est pourquoi, les adultes «disponibles» auront tendance à «forcer» quelque peu les occasions de rencontres par des moyens tel que la Toile.

        Toutefois, cette forme de rencontres «forcées» nous place dans une drôle de situation par rapport à l'Autre. Étant ouvertement à la recherche d'un partenaire amoureux, la première rencontre s'avère alors déterminante pour l'avenir. On est donc immédiatement confronté au fait de devoir rapidement évaluer l'Autre en terme d'attirance amoureuse: «Nous plaît-il? Pouvons-nous envisager tomber en amour avec cet Autre?» ou tout bonnement: «Serions-nous capable de l'embrasser? En aurions-nous au moins le goût?» Certains vont même jusqu'à se demander s'ils se verraient passer le reste de leur vie avec cet Autre?

        Évidemment, dans bien des cas, la réponse à toutes ces questions est NON!

        Et on comprend pourquoi! Ne sont-elles pas quelque peu précipitées ces questions? Si on avait dû répondre à ces mêmes questions dès les premiers contacts avec nos amours précédents, peut-être que dans plus d'un cas on aurait répondu là aussi par la négative!

        Quels auraient été nos sentiments si nous n'avions pas eu la chance de les côtoyer quelques temps auparavant, de les voir vivre et réagir dans toutes sortes de circonstances et de les imaginer autrement qu'un simple candidat à notre bonheur amoureux?

        Peut-être aurions-nous ainsi passé à côté de ces relations si le temps ne nous avait pas été donné pour se laisser séduire par leur personnalité ou par leur physique même imparfait? En fait, que serait-il arrivé de ces relations si le temps nous avait pressés comme c'est le cas dans ces premières rencontres «forcées»? On ne le sait pas, mais on se doute bien qu'il est fort possible que certains de ces amours n'auraient pas vu naître ses étincelles...

        La formule de ces premières rencontres où notre avenir amoureux doit se dessiner dans les cinq premières minutes, semble donc tout à fait illusoire considérant les attentes irréalistes qu'elles suscitent et le sentiment d'échec qu'elles provoquent. Ce dernier sentiment est, notons-le, bien souvent à la mesure de notre rêve de l'Autre qui s'est construit à partir de nos mots qui ont été échangés sur la Toile dans le silence de nos voix et de nos gestes. Plus le rêve a été grand et plus les attentes risquent d'être déçues! Il faut dire aussi que ces échecs sont trop souvent attribués à tort à la compétence ou personnalité des personnes en jeu plutôt qu'à la formule même! Il peut donc en résulter des blessures personnelles graves et des déceptions menant jusqu'à la perte de foi en l'amour (comme pour Nicole dans Mon premier contact via le Net).

       Peut-être faudrait-il alors modifier nos attentes ou nos façons de faire quant à la première rencontre afin de tenter d'éliminer, ou du moins d'atténuer cette fameuse barrière des cinq premières minutes? (voir Boîte à trucs) Ou sinon, reste l'espoir de se faire électrocuter par un coup de foudre instantané et réciproque, la seule exception qui résiste à cette barrière des cinq minutes -- même si on sait hélas, qu'il ne s'exprime que très rarement...

À suivre dans: La puissance des mots

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© Claude Lafleur, 1999