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        L’exploration de l’Espace figure parmi les plus vieux rêves de l’Humanité.  Nos lointains ancêtres ont sans doute été intrigués assez tôt par le firmament en se questionnant sur la nature des points brillants et des figures géométriques que certains semblent former, ainsi que par divers phénomènes inusités tels les phases de la Lune, le déplacement des planètes, l’apparition de comètes, etc.
        Puis, au fur et à mesure que les Anciens ont réalisé que le ciel était un milieu qui recelait des mondes s’apparentant au nôtre, les rêves de l’explorer sont venus naturellement. L’un des plus vieux récits de voyage spatial dont nous disposons est celui du satire grec Lucien de Samosate (125-190). Dans un ouvrage rédigé vers l’an 160 de notre ère et intitulé ironiquement Histoire vraie, il raconte que le vaisseau d’Ulysse fut pris dans une terrible tornade qui l’a emporté dans l’Espace durant sept jours.

L'époque des rêves
(du 16ème au 19ème siècle)
        Curieusement, il sembleraît que la possibilité de voyages spatiaux a été oblitérée durant plus de mille cinq cents ans. Ce n’est en effet qu’au 16ème et 17ème siècles, à la suite des travaux des astronomes Copernic, Kepler et Galilée, que l’idée a refait surface. Kepler lui-même rédige une œuvre fantaisiste qu’il intitule Somnium (rêve) dans laquelle il réalise fort bien l’impossibilité d’un voyage interplanétaire à cause de l’absence d’atmosphère.
        Au milieu du 17ème siècle, deux révérants britanniques, Francis Godwin et John Wilkins, publient des récits de voyages lunaires. Ces ouvrages connaissent beaucoup de succès et influencent de ce fait l’opinion publique. L’ouvrage de Wilkins expose les conditions nécessaires pour que la vie soit possible sur la Lune et parle même des vaisseaux spatiaux qui seront requis. Mais en 1647, Johannes Hevelius démontre l’absence totale d’air sur la Lune et que, par conséquent, il sera impossible d’y vivre. Heureusement, Cyrano de Bergerac ne se laisse par déconcerter pour autant et produit ses célèbres Histoire comique des États et Empires de la Lune et du Soleil dans lesquelles il parle des fusées qui lanceront les vaisseaux d’exploration.
        Au siècle suivant, on voit apparaître des récits qui traitent de mondes habités par d’autres civilisations.  Ainsi, dans Le Micromegas (1725), Voltaire fait le récit d’un géant venu de Sirius visiter la Terre en compagnie d’un habitant de Saturne rencontré chemin faisant!  En 1775, dans Le Philosophe sans prétention, Guillaume de La Follic évoque l’utilisation de machines électriques pour propulser les vaisseaux interstellaires, créations d’un Mercurien échoué sur notre planète.
        Le 19ème siècle donne naissance à la littérature d’anticipation, particulièrement avec Voyage dans Vénus d’Achille Eyraud, De la Terre à la Lune et Autour de la Lune de Jules Verne ainsi que The First Men in the Moon de H.G. Wells.  À la même époque, l’astronome Camille Flammarion fait le point sur l’état de nos connaissances dans Les Mondes imaginaires et les Mondes réels.  Ces ouvrages influenceront profondément les vocations des pionniers qui donnent naissance au XXe siècle à l’astronautique.
        Notons que ce terme est proposé en 1927 par le romancier I.H. Rosny et aussitôt adopté et diffusé par Robert Esnault-Pelterie.  En principe, l’astronautique désigne la navigation des véhicules spatiaux d'un astre à un autre.  Mais il englobe maintenant l'ensemble des sciences et des technologies qui contribuent à la conquête de l'espace – non seulement les différents types d'engins spatiaux (fusées, satellites, sondes, vaisseaux habités) mais également la théorie des vols cosmiques, le calcul des trajectoires, etc., ainsi que les systèmes de communication et de transmission, les équipements scientifiques, médico-biologiques, etc.

L'époque de la théorie
(1883-1925)
        Dans un livre publié en 1883, Espace libre, Constantin Tsiolkovski devient le premier à établir les concepts fondamentaux de l’exploration spatiale par fusée, seul moyen de s’affranchir de l'attraction terrestre.  Puis il explique dans Exploration de l'espace cosmique à l'aide d'engins à réaction, publié en 1903, comment employer des fusées à propergols liquides.
        En 1908, le capitaine Ferber, pionnier français de l'aviation, présente dans un ouvrage que la fusée sera le seul moyen de parvenir à de très hautes altitudes.  De 1911 à 1913, Tsiolkovski publie une série de douze articles dans un journal russe qui suscite un grand engouement pour l'astronautique puisque les colonnes de diverses revues russes s'emplissent alors d'articles sur le sujet.
         À partir de 1912, Robert Esnault-Pelterie établit la théorie mathématique des vols interplanétaires. Il prononce devant la Société française de physique sa conférence «Considérations sur les résultats d'un allégement indéfini des moteurs». Au même moment, à l’Université Princeton (États-Unis), le professeur Robert Goddard entreprend ses premières recherches sur les fusées.  Il publie ses résultats en 1919 sous le titre Une méthode pour atteindre des altitudes extrêmes.
        En 1923, Hermann Oberth publie La fusée vers les espaces interplanétaires, le premier traité d'astronautique.  Il y démontre notamment l'intérêt de la combustion liquide pour la propulsion des fusées spatiales.  En outre, Oberth fonde la Société allemande pour le vol spatial (DfR) qui jouera un rôle déterminant dans le développement de la technologie des fusées.
        En 1925, l'allemand Walter Hohmann publie La possibilité d'atteindre les corps célestes dans lequel il envisage à la fois les problèmes de propulsion, de trajectoire et de rentrée dans l'atmosphère. La même année, Max Valier publie le premier ouvrage de vulgarisation sur l'astronautique, La lancée dans l'Espace mondial, basé sur les travaux d'Oberth.

Les premières expériences
(Les années 1920)
        Le 16 mars 1926, Robert Goddard fait décoller pour la première fois une fusée à propergols liquides. Ce vol dure 2,5 secondes et la fusée s'élève de 12,5 mètres. Au cours de la décennie suivante, il développe chacun des éléments principaux des moteurs-fusée ainsi que les gyroscopes nécessaires au guidage des lanceurs.
        Alors qu’en URSS on organise en 1927 la première exposition consacrée aux vols interplanétaires, en France, Esnault-Pelterie prononce une conférence à la Sorbonne sur «L'exploration par fusées de la très haute atmosphère et la Possibilité des voyages interplanétaires.»
        En 1928, Willy Ley fait le point des recherches dans un ouvrage intitulé Les possibilités de l'astronautique alors qu’Esnault-Pelterie et André-Louis Hirsch fondent le Prix d'astronautique.  En 1929, Oberth publie Vers la navigation cosmique en plus d’être le conseiller scientifique pour le célèbre film d’anticipation  «Une femme dans la Lune».  De son côté, grâce à l'aide de l'aviateur Charles Lindbergh et du mécène Daniel Guggenheim, Goddard dispose dans le Nouveau Mexique d'un polygone de tir avec deux rampes de lancement.  En URSS, Friedrich Tzander construit son premier moteur-fusée d’une poussée de 5 kg (l’OR-1) alors que le Laboratoire de dynamique des gaz de Leningrad construit un moteur qui développe 20 kg de poussée.
        Le 14 mars 1931, l’allemand Winkler fait voler à 500 mètres d'altitude une fusée de 5 kilos.  C'est une première pour l'Europe.  Le 9 octobre, Esnault-Pelterie perd quatre doigts de la main droite lors d'une explosion accidentelle.  Il se consacrera néanmoins au développement d'une fusée de 300 kg de poussée. En 1932, son compatriote Louis Damblanc expérimente des fusées à poudre à étages, dont il parvient à photographier la séparation des éléments.  En 1933, les chercheurs du Laboratoire de dynamique des gaz de Leningrad font l’essai d’un moteur de 300 kg de poussée.

V2, première fusée des temps modernes
(1930-1945)

        À partir des années 1930, les fusées commencent à intéreser grandement les militaires, particulièrement en Allemagne confrontée à la limitation de son armement conventionnel imposée par les vainqueurs de la Première Guerre mondiale.  L'armée allemande porte donc une grande attention aux fusées expérimentales à combustion liquide lancées à partir de 1931 par le groupe fondé par Hermann Oberth.
        Dès 1932, le jeune Wernher von Braun (20 ans) commence à travailler sur le développement d'un moteur-fusée pour le compte de l'armée.  Il construit la fusée Aggregat 1 (A-1), donnant 300 kg de poussée. Cet engin n'est destiné qu'à des essais statiques. L’année suivante, il passe aux essais en vol de l'A-2: deux exemplaires lancés depuis l'île de Borkum atteignent 2 kilomètres d'altitude. Avec l'arrivée au pouvoir des nazis, il poursuit ses recherches, qui aboutissent en 1939 au lancement d'une fusée pesant près d’une tonne et qui est capable d'atteindre 10 km d'altitude avant d’être récupérée à l'aide d'un parachute.
        En 1937, l’équipe de von Braun est transférée à Peenemünde. La fusée A-3 – véritable modèle d'essais de la future A-4 (la célèbre V2) – y est tirée à trois reprises.  Puis, 25 exemplaires d’un autre type de fusée l’A-5 (qui retient le groupe propulseur de l'A-3 et une configuration extérieure se rapprochant étroitement de celle de l'A-4) sont tirés.  Certaines de ces fusées atteignent les 13 km d'altitude.
        Le programme de fusées allemandes, tantôt bénéficiant des plus hautes priorités, tantôt frappé de disgrâce, débouche finalement sur l'A-4, un missile balistique de 15 mètres de haut, 1,65 mètre de diamètre, pesant 13 tonnes au départ et portant une charge explosive d’une tonne à plus de 300 km.  Cet engin de guerre est rebaptisé V2 pour Vergeltungswaffe-2, autrement dit Vengeance-2 (le V1 étant une bombe ailée).  Normalement, un V2 monte jusqu’à 80 km d'altitude avant de plonger vers sa cible à 5 500 km/h…

        Le 13 juin 1942, lors d’un premier essai en vol, un V2 retombe sur son socle aussitôt après avoir décollé.  Le 16 août, au cours d'un deuxième essai, le missile se disloque à la 451eme seconde de vol. Le 3 octobre, succès complet du troisième essai: l'engin atteint 85 km d'altitude et porte à 190 km.
        Au cours de 1943, une centaine de missiles V2 sont tirés lors d’une campagne d’évaluation opérationnelle depuis Blizna, en Pologne.  Durant 1944, 7 500 V2 sont construits, pour la plupart dans l'usine souterraine de Mittelwerke alimentée en main d’œuvre par le camp de concentration de Nordhausen.  Le 8 septembre, les deux premiers V2 opérationnels tirés depuis La Haye tombent sur Londres.  À partir de ce jour et jusqu’au 23 mars 1945, 1 230 V2 atteignent le sol britannique, faisant près 2 511 morts et plus de 5 869 blessés.
        Heureusement, la fin de la guerre empêche l'utilisation à grande échelle de cette arme redoutable, mais l'avance technologique des ingénieurs allemands suscite les convoitises des Américains et des Soviétiques.  Ainsi, la guerre n’est même pas terminée que les deux camps s'emparent du matériel et réquisitionnent les ingénieurs allemands qui formeront le noyau des futurs centres spatiaux des deux grands rivaux de l’Espace.

L'espace et la guerre froide
(1945-1957)

        Avec le développement des premières bombes atomiques (en 1945 aux États-Unis, puis en 1949 en Union soviétique), les missiles à longue portée deviennent une arme stratégique déterminante. Chacune des deux superpuissances peut désormais menacer l'autre au moyen d'armes imparables: les missiles intercontinentaux équipés de têtes nucléaires. Ainsi, sous la direction des spécialistes hier au service de l'Allemagne ennemie, Américains et Soviétiques s’engagent très rapidement dans la course aux missiles balistiques préfigurant les premiers lanceurs spatiaux.
        Les Soviétiques sont apparemment les premiers à comprendre le rôle des missiles intercontinentaux et construisent sous la direction de Sergei Korolev le premier missile du genre, le R-7 (« Raketa no 7»), d'une masse de 300 tonnes et pouvant propulser une ogive nucléaire de cinq tonnes. Les Américains, disposant de charges nucléaires plus légères, développent des missiles plus petits, Atlas et Titan, d'une masse d'une centaine de tonnes.
        À la fin des années1950, la lutte d'influence que se livrent les deux superpuissances s'étend à l'Espace, qui devient de ce fait un enjeu stratégique et géopolitique. La mise sur orbite d'un satellite devient un objectif à atteindre.
        Ainsi, cette première incursion dans l'Espace est l'œuvre des Soviétiques: le 4 octobre 1957, une sphère d'aluminium baptisée Spoutnik est mise sur orbite. Ce premier satellite artificiel émet un bip-bip qui, pendant vingt et un jours, annonce au monde entier la naissance de l'Ère spatiale et confirme l'avance des Soviétiques dans ce domaine.
        Pour réaliser cet exploit, les Soviétiques ont transformé un missile R-7 en fusée spatiale. En effet, un missile intercontinental atteignant en fin de combustion de ses moteurs une vitesse de l'ordre de 25 000 km/h, il est possible, par l'allégement de la charge emportée ou par l'ajout d'un étage propulseur, de transformer ce missile en lanceur spatial.
        Moins d'un mois plus tard, ils récidivent en lançant  Spoutnik 2, une capsule équipée d'un système de survie ayant à bord un passager – la petite chienne Laïka – qui meurt au bout d'une semaine.
        Mis en échec, les Américains répondent rapidement à la suprématie soviétique par le lancement le 31 janvier 1958 d'Explorer 1, en transformant en fusée un missile à courte portée, le Redstone. Ce satellite embarquait des dispositifs de mesure de radiations mis au point par James van Allen, lesquels permirent la découverte de ceintures – qui portent le nom de leur découvreur – de radiations électromagnétiques autour de la Terre.
        Au départ de la course à l'Espace, l'enjeu le plus important, avant tout programme d'exploration, est de parvenir à mettre au point des lanceurs puissants et fiables. Pour les deux rivaux, il est primordial à l'époque de démontrer qu'ils possédent des missiles intercontinentaux capables d'emporter une charge nucléaire et de frapper l'adversaire.

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© Claude Lafleur, 2005

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