Claude
Lafleur, 28 mai 2013
Depuis une décennie, nous cherchons des planètes
habitables de préférence semblables à la Terre et
auprès d’étoiles comparables au Soleil. Or, de plus
en plus d’astronomes estiment qu’on devrait aussi regarder du côté
des étoiles nettement plus petites, notamment auprès des
naines rouges et des naines brunes. C’est d’ailleurs ce qui intéresse
l’équipe d’astronomes de l’Université de Montréal
qui met au point un «détecteur de naines brunes» baptisé
SPIRou.
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En 2004, les astronomes européens ont repéré
une étoile 96 fois plus massive que Jupiter mais dont la taille
est à peine plus grande que cette planète. Il s’agit
d’un nouveau type d’astres: une naine brune. (Plus
d'info.) |
On imagine souvent que la plupart
des étoiles ressemblent au Soleil. Or, il n’en est rien, puisque
90% de celles qui forment notre galaxie sont nettement plus petites.
Deux classes d’étoiles retiennent ainsi notre attention: les naines
brunes et les naines
rouges. Les premières sont au mieux 14 fois moins massives
que le Soleil, alors que les secondes ont une masse comprise entre 14 et
2½ fois inférieure à celle du Soleil. En partie
pour cette raison, les astronomes considèrent qu’on a de bien meilleures
chances d’y détecter des planètes, peut-être même
des planètes habitables.
«Une naine brune est, en
quelque sorte, un objet hybride entre une étoile et une grosse planète,
explique Étienne Artigau, assistant de recherche au département
de physique de l’Université de Montréal. Au début
de sa vie, elle ressemble à une étoile mais, au fur et à
mesure qu’elle vieillit, ses propriétés se rapprochent de
celles d’une planète. En les étudiant, nous comblons
l’intervalle entre les planètes et les étoiles.»
Origines mystérieuses
«Les naines brunes présentent
un cas limite dans la formation des étoiles, une sorte de sous-produit
extrême», pose le jeune astronome. Leur formation relève
même du mystère.
En effet, selon le modèle
classique de la formation des étoiles et de leurs planètes
– comme dans le cas du Système solaire -, il y a au point de départ
un vaste nuage de gaz qui se contracte sur lui-même. Avec le
temps, l’essentiel de la matière se concentre au centre du nuage
pour donner naissance à une étoile telle que le Soleil.
Le reste de la matière forme d’abord un anneau autour de l’étoile:
le disque proto-planétaire.
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Exemple d'un disque de matière entourant une étoile.
(Plus
d'info.) |
Puis des «boules de neige»
se forment ici et là au sein du disque. Elles grossissent
de plus en plus en attirant à elles la matière constituant
le disque proto-planétaire, pour finalement donner naissance aux
planètes. En fin de processus, quelques résidus demeurent,
formant les comètes et les astéroïdes.)
Or, souligne Étienne Artigau,
selon ce modèle classique, la densité du nuage initial n’est
pas suffisante pour donner naissance à des étoiles aussi
petites que les naines brunes. «Comment se fait-il qu’elles
existent pourtant?, lance-t-il. On s’embarque alors dans des modèles
plus complexes, poursuit-il, puisqu’il faut que quelque part dans le nuage
initial, on retrouve une concentration de gaz suffisamment dense.»
L’un des mécanismes qui
densifieraient le gaz pourrait être l’explosion, à proximité
du nuage, d’une supernovæ. L’onde de choc émanant de
l'explosion balayerait le nuage, compressant ses gaz pour les porter à
la densité requise pour la formation des naines brunes. «Il
se formerait alors des rubans de gaz plus denses, indique l’astronome,
des filaments denses dans lesquels se condenseraient des naines brunes.
C’est une hypothèse…»
L’existence de ces étoiles
ultra-légères n’est connue que depuis quelques décennies
et les astronomes se questionnent encore sur leur abondance. «On
pense qu’une étoile sur sept ou une sur dix environ pourrait être
une naine brune», avance Artigau. On en a trouvé quelque-unes
dans notre voisinage immédiat, dont une située à 6
années-lumière seulement. «On pense qu’Il y en
a moins que des naines rouges, mais davantage que les étoiles semblables
au Soleil», précise-t-il.
Les astronomes en ont par contre
assez peu repérées puisque ces étoiles sont très
peu brillantes – elles sont invisibles à l’œil nu et au télescope
– et elles émettent peu d’énergie (notamment de la chaleur).
De la vie autour des naine brunes?
Ces étoiles présentent
un intérêt particulier dans la recherche de planètes,
rapporte l’équipe d’astronomes dont fait partie Artigau et qui s’appelle
d’ailleurs le Groupe montréalais
de recherche des naines brunes et des exoplanètes.
Justement parce qu’elles sont
plus petites et qu’elles dégagent moins d’énergie, il sera
plus facile de repérer des planètes autour d’elles, surtout
les petites planètes qui intéressent tant les astronomes.
En effet, parce qu’elles sont nettement moins massives que le Soleil, l’effet
gravitationnel qu’exerce sur elles une planète est plus facilement
mesurable. Et comme les naines brunes dégagent moins d’énergie
(lumineuse, calorifique, etc.), elles éclaboussent beaucoup moins
par leur éclat les planètes que ne le fait un Soleil.
Pour l’instant, toutefois, on
n’a repéré aucune planète autour d’une naine brune
et les astronomes se demandent encore si celles-ci se forment fréquemment
auprès d’aussi petites étoiles. Étienne Artigau
rapporte toutefois qu’on a de bonnes raisons de le penser. «Lorsqu’on
étudie la formation des naines brunes, dit-il, on observe la présence
de disques proto-planétaires chez environ 70% des jeunes étoiles.»
Si donc plusieurs planètes
se forment autour des naines brunes, à quoi ressembleront ces systèmes
planétaires?, se demande-t-on. Ces étoiles étant
plus petites, le disque de matière à partir duquel se forment
leurs planètes l’est tout autant. C’est ainsi qu’on ne devrait
trouver que de petites planètes - plus ou moins de la taille de
la Terre – et probablement pas de géantes gazeuses comme Jupiter
et Saturne. Il pourrait donc s’agir de systèmes planétaires
assez différents du nôtre – ce qui intéresse
énormément
les astronomes.
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Voici l'exemple d'un système planétaire repéré
autour d'une mini étoile. Trois petites planètes gravitent
autour de la naine rouge KOI-961, à peine plus grosse que Jupiter.
La distance séparant ces planètes de l’étoile se compare
à celle des principales lunes joviennes. (Plus
d’info.) |
Quant à savoir si de telles
planètes seraient habitables, là encore la situation diffère
de ce à quoi on est habitué. D’une part, la zone habitable
autour des naines brunes se trouve beaucoup plus proche que dans le cas
des grosses étoiles. Cette zone, ni trop chaude ni trop froide
et où l’eau peut exister à l’état liquide, se situe
à une distance inférieure à celle qu’occupe Mercure
autour du Soleil. (Une planète se trouvant à une distance
équivalente à celle de la Terre serait en zone glaciale.)
Une telle planète ferait le tour de son étoile en quelques
semaines seulement. Voilà qui est très intéressant
pour les astronomes puisqu’il est beaucoup plus facile de détecter
une planète proche de son étoile qu’une planète lointaine
comme la Terre.
Par contre, rapporte l’astronome
de l’Université de Montréal, les naines brunes sont des étoiles
assez actives; elles émettent beaucoup de radiation, particulièrement
lorsqu’elles sont jeunes. Elles entrent aussi souvent en éruption,
ce que les astronomes appellent des «flare». Les naines
brunes sont d’ailleurs qualifiées de «flaring stars»,
rappelle Artigau.
Un tel environnement risquerait
donc de stériliser toute planète s’y trouvant. «Les
radiations émises par une naine brune ne seraient pas nécessairement
mortelles à la surface de la planète, soutient-il pourtant,
selon les propriétés de l’atmosphère entourant cette
planète. On est dans un facteur comparable, ou un peu au-dessus,
de ce qu’on retrouve sur Terre à l’équateur», dit-il.
Il y a aussi le risque que l’atmosphère
de la planète se fasse souffler lors d’une éruption de la
naine brune, «mais ce n’est pas une raison pour considérer
que la vie ne pourrait exister à la surface de certaines planètes»,
ajoute-t-il. Étienne Artigau rapporte en effet que certains
théoriciens ont conçu des modèles d’environnement
qui font en sorte que «rien n’interdit, théoriquement, que
certaines planètes soient habitables.»
Incidemment, il relate avoir
récemment participé à un colloque de spécialistes
où on débattait justement des possibilités de vie
aux abords des petites étoiles. «C’était assez
rigolo, dit-il, puisque chaque fois que quelqu’un soulevait quelque chose
qui puisse nuire à l’habitabilité d’une planète, quelqu’un
d’autres proposait un mécanisme quelconque! En fin de compte,
si on le voulait, on pourrait tout aussi bien trouver un tas d’objections
au fait que la vie soit possible autour des étoiles semblables à
la nôtre!»
«On peut vraiment trouver
de bonnes raisons pour lesquelles une étoile comme le Soleil n’est
pas viable… et j’essaie même d’en faire la promotion!», lance-t-il
en riant.
SPIRou, un détecteur de planètes unique
au monde
De concert avec une équipe
française, les astronomes montréalais conçoivent un
spectromètre qui sera installé sur le Télescope France-Canada-Hawaii
(CFHT). Baptisé
SPIRou – pour SPectromètre InfraRouge
-, cet instrument étudiera justement les petites étoiles
dans les longueurs d’onde de l’infrarouge (détection de la chaleur
plutôt que de la lumière).
«Voilà qui est important,
déclare Étienne Artigau, puisque ce type d’étoiles
émet beaucoup dans l’infrarouge.» SPIRou sera également
doté d’un polarimètre qui mesurera les champs magnétiques
émanant des étoiles.
«Cela devrait nous permettre
d’étudier les étoiles en train de se former. alors qu’elles
se trouvent encore enfouies dans leur nuage de gaz», relate l’astronome.
SPIRou sera le seul instrument au monde capable de mener ces deux genres
d’études.»
Les astronomes espèrent
l’utiliser dès 2016 afin, dans un premier temps, de repérer
le maximum de naines rouges et de naines brunes dans nos parages.
Avec le temps, ils espèrent scruter attentivement certaines d'entre
elles afin d’y dénicher de petites planètes. «Qui
sait ce que nous trouverons alors!», lance joyeusement Artigau.
Sources et ressources:
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