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Que pense Sergueï Korolev,
au matin du 3 octobre, lorsqu’il accompagne à pied le convoi ferroviaire
qui achemine jusqu’au pas de tir la fusée porteuse du premier satellite?
Songe-t-il au fait que, pour la première
fois, la fusée qu’il a conçue transporte une charge?
Cette fois, le sommet de la fusée n’est pas chapeauté par
une ogive vide, mais par une coiffe plus petite conçue spécifiquement
pour abriter un satellite.
Songe-t-il au petit satellite? Cette
sphère métallique argentée a la taille d’un ballon
de basket. Korolev a ordonné qu’elle soit soigneusement polie afin
non seulement de réfléchir les rayons du Soleil mais, surtout,
par respect pour ce qu’elle représente: le premier objet de fabrication
humaine expédié dans le cosmos.
Songe-t-il au fait que des cinq missiles R-7
tirés à ce jour, deux ont explosé peu après
leur décollage, l’un a refusé de décoller, alors que
les deux derniers ont réussi leur vol? Se demande-t-il de
quel côté ira sa sixième fusée?
Songe-t-il au fait qu’il a conçu le
R-7 non pas tant comme missile intercontinental mais avec l’intention de
lancer des satellites? Comme missile, le R-7 connaîtra d'ailleurs
une piètre carrière et sera assez rapidement remplacé
par des engins mieux adaptés à cette fonction. Par contre,
comme lanceur de satellites, il s’agira de la fusée la plus utilisée
au monde et l’une des plus fiables.
Se rappelle-t-il de l’époque de ses
25 ans lorsqu’a germé l’idée qu’un jour, on explorera l’espace
grâce à des fusées? Se rappelle-t-il des années
1930, alors que ses collègues et lui ont bricolé les premiers
moteurs-fusées? Ou songe-t-il aux terribles années
de travaux forcés qu’il a dû traverser pour enfin parvenir
à réaliser son rêve?
À quoi pense Korolev? On ne le saura
jamais puisqu’il est mort sur une table d’opération à l’âge
de 59 ans. Par conséquent, il n’a pas eu le temps de rédiger
ses mémoires. Quelle perte!
On a cependant tout lieu de croire que ce jeudi
matin, Sergueï Korolev avait pleinement conscience que, si sa fusée
remplissait sa mission, elle ouvrirait une nouvelle ère dans l’histoire
de l’humanité.
Pensez donc: une machine qu’il a créée
allait bientôt réaliser l’un des grands rêves de l’humanité.
Mais si conscient était-il, Korolev
n’a pas pu envisager les répercussions mondiales qu’aura la réalisation
de son rêve.
Suite: 4 octobre 1957: Le premier |
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Rarement dans l’histoire
de l’humanité quelqu’un a conscience que ce qu’il s’apprête
à faire changera à tout jamais le monde. Or, Sergueï
Korolev savait qu’il inaugurait une nouvelle ère, celle de l’exploration
spatiale. |
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Sergei Korolev (1907-1966)
Sergueï Pavlovitch Korolev naît le 12 janvier 1907 dans une
famille d'instituteurs.
Pour
ses proches, il est connu comme Sergueï Pavlovitch, ou S.P. pour ses
collègues et amis ingénieurs. Pour le grand public, il sera
connu de son vivant comme le «concepteur en chef» des vaisseaux
spatiaux soviétiques. Ce n’est qu’après sa mort qu’il deviendra
célèbre.
En
1924, Korolev sort de l’École professionnelle du Bâtiment
d'Odessa et travaille dans l'industrie aéronautique. Diplômé
de l'Institut technique supérieur de Moscou et de l’École
de pilotage de Moscou, il crée dans les années 1930 une série
de planeurs et d’appareils volants mus par fusées. En compagnie
de d’autres chercheurs, il fonde le Groupe pour l'étude de la propulsion
par réaction (GIRD) qui réalise en août 1933 le tir
de la première fusée soviétique à propergol
liquide (GIRD-09). En 1934 paraît son premier ouvrage: Le
vol des fusées dans la stratosphère.
Au
cours de la seconde guerre mondiale, il est interné dans un camp
de concentration stalinien où il poursuit néanmoins la conception
de moteurs-fusée chargés d'assister le décollage d’avions
militaires russes.
Tout
au long de sa vie, Korolev rêve de conquérir l’espace. Au
lendemain de la guerre, on lui confie le programme soviétique d’essai
des missiles allemands V2 puis, à partir de 1953, la conception
des missiles qui culminera avec le lanceur de Spoutnik.
Lorsqu’au
début d’octobre 1957, les techniciens acheminent la fusée
porteuse du premier satellite au pas de tir, Korolev déclare: «J’ai
attendu ce jour toute ma vie!»
Les
puissantes fusées de Korolev ont permis de lancer les vaisseaux
spatiaux qui ont fait la gloire de l’Union soviétique, dont les
premières sondes explorant le Système solaire et les vaisseaux
habités dont il supervise la conception.
Malheureusement,
Korolev meurt brutalement le 14 janvier 1966. lors d’une banale opération
à l’estomac. Il venait tout juste d’avoir 59 ans.
Tout
au long de sa vie, son identité sera gardée secrète
par le régime soviétique et ce n’est qu’après sa mort
que nous découvrirons sa brillante et tumultueuse carrière. |
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