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Claude
Lafleur, 2 mai 2013
Dans une dizaine d’années,
nous devrions être capable de photographier les planètes habitables
qui gravitent autour des étoiles voisines - si celles-ci existent,
bien entendu.
C’est du moins l’objectif que s’est fixé un jeune astronome, Jared
Males, qui travaille à la conception d’une caméra ultra-performante
destinée à équiper le télescope
TMT que les Américains sont à construire au sommet du
Mauna Kea, à Hawaii.
Du coup, il développe une nouvelle façon d'étudier
les exoplanètes: l’optique adaptable (ou AO pour adaptive optics
en anglais). «Nous avons mis au point la première caméra
AO qui travaille dans les longueurs d’onde visibles», dit-il fièrement.
Jared Males complète ses études doctorales à l’Observatoire
Steward de l’Université d’Arizona avec comme projet la conception
d'une caméra appelée VisAO et opérant dans le visible.
«Jusqu’à présent, l’optique adaptable a donné
de bons résultats dans l’infrarouge, dit-il, mais, pour la première
fois, nous avons pris des photos dans les longueurs d’onde qu’on peut voir
avec nos yeux.»
L’astronome Jared Males à
l’œuvre.
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L’optique adaptable est une technique qui cherche à compenser pour
les turbulences qui se passent dans l’atmosphère terrestre et qui
embrouillent toute observation astronomique. «Comme chacun
sait, explique Males, lorsqu’on regarde les étoiles, on les voit
scintiller. Or, ce scintillement est dû aux turbulences de
l’air, turbulences qui brouillent la vision de tout télescope, si
puissant soit-il.» Celles-ci sont causées par les courants
d'air chauds et froids, par la présence d'humidité, de nuage,
de poussière (naturelle ou due à la pollution), etc.
Pour y remédier, les astronomes ont développé diverses
techniques afin de mesurer les turbulences mille fois par seconde puis
pour les compenser en ajustant légèrement les miroirs déformables
des télescopes, également au rythme de mille fois à
la seconde. Cette approche, dite d’optique adaptable, devrait donner
des résultats prodigieux lorsqu’elle sera appliquée aux gigantesques
télescopes que sont en train de contruire les Américains
et les Européens, à savoir le Thirty
Meter Telescope (TMT), doté d’un miroir de 30 mètres
de diamètre, et l’European
Extremely Large Telescope (E-ELT), doté d’un miroir de 40
mètres. (Actuellement, nous disposons de télescopes
ayant au plus 10 mètres de diamètre, ce qui est tout de même
remarquable.)
Photographier des planètes
Terre
L’équipe d’astronomes dont fait partie Jared Males se prépare
au jour où on pourra utiliser le TMT pour photographier les planètes
gravitant autour des étoiles voisines. En fait, ces astronomes
espèrent observer des planètes comparables à la Terre
et gravitant en zone
habitable autour d’étoiles semblables au Soleil - des planètes
comme on n’en a encore jamais vues.
Le jeune astronome rappelle qu’on est déjà parvenu à
photographier quelques planètes, dont trois autour de l’étoile
HR 8799 (tel que relaté au chapitre 14 de Terres
en vue!).
Cette photo montrant l’étoile
HR 8799 entourée de trois planètes a été prise
à l’aide d’une caméra infrarouge puis traitée par
ordinateur afin d’atténuer l’éclat de l’étoile pour
en faire ressortir les planètes. En conséquence, l’apparence
de l’étoile a été complètement transformée. |
Cependant, il s’agit de planètes qui se trouvent cent fois plus
éloignées de leur étoile que ce qu’on cherchera à
faire. «Photographier une planète à proximité
de son étoile représente un défi considérable»,
relate Males, en rappelant que la Terre est un milliard de fois moins lumineuse
que le Soleil. Son équipe espère néanmoins y
parvenir grâce à la caméra VisAO installée sur
le TMT.
Tout en poursuivant la conception de celle-ci, l’équipe mène
des études théoriques afin d’identifier les problèmes
à venir. Or, dans une récente communication
scientifique, les astronomes rapportent que l’un des plus sérieux
obstacles auxquels ils seront confrontés sera le fait que les planètes
qu’ils tenteront de photographier se déplacent relativement rapidement
autour de leur étoile!
Voilà qui étonne puisqu’on pourrait penser que celles-ci
ne bougeront pas vraiment durant le temps que mettra la caméra à
les photographier. L’équipe d’Arizona a cependant calculé
que, pour parvenir à leurs fins, il leur faudra un temps d’observation
de plusieurs dizaines d’heures. Or, ce laps de temps sera suffisant
pour que la planète se soit déplacée, et donc apparaître
floue sur les clichés. «On ne verrait pas clairement
la planète, mais plutôt une sorte de tache», précise
Jared Males.
Ainsi donc, en plus de devoir combattre les turbulences de l'atmosphère,
son équipe cherche des moyens pour compenser le déplacement
de la planète durant son temps de pose.
À la recherche de
signes de vie
En admettant qu’ils y parviennent - ce que Males ne doute pas -, que peut-on
espérer voir alors? Discernera-t-on des détails de
la planète tels que des formations nuageuses, la présence
d’océans ou de continents, etc.? Hélas non, estime
l’astronome. Même pour la plus proche planète repérée
à ce jour - celle se trouvant autour d’Alpha du Centaure B -, on
ne verra guère mieux qu’un point lumineux.
Toutefois – et c’est ce qui importe –, les observations faites à
l’aide de la caméra VisAO recueilleront la lumière provenant
directement de la planète, ce qui nous permettra d’analyser sa composition.
On devrait ainsi pouvoir identifier s’il y a ou non des nuages dans l‘atmosphère,
s’il y a des océans, si l’atmosphère contient de l’oxygène,
de l’azote, de l’humidité, etc.
Voilà qui promet des avancées significatives dans nos connaissances
puisque, pour l’instant, tout ce que nous pouvons déterminer grâce
aux techniques qu’on utilise pour découvrir les exoplanètes,
c’est leur taille et leur masse. «Nous pourrons observer s’il
y a des biomarqueurs sur la planète», indique Jared Males,
autrement dit les signes d’activités chimiques qui indiqueraient
la présence de formes de vie.
Pour en savoir plus:
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