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Claude
Lafleur, 18 mai 2013
Le 14 mai, les contrôleurs
de la mission Kepler découvrent que le télescope spatial
a perdu l’usage d’un second gyroscope, compromettant de ce fait les observations
que poursuit celui-ci depuis quatre ans. Cette panne pourrait bien
marquer la fin du rêve d’une vie pour le père de ce formidable
petit télescope spatial.
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Kepler observe un amas de 150 000 étoiles depuis
quatre ans afin de repérer le plus grand nombre possible de planètes.
Il tente ainsi d’établir quelle proportion des étoiles de
notre galaxie est entourée de planètes et il cherche même
la trace de petites planètes semblables à la Terre. |
Kepler
est muni de quatre gyroscopes, trois étant nécessaires pour
l’orienter précisément dans l’espace. En août
dernier, il avait déjà perdu l’usage d’un gyroscope, les
trois autres assurant cependant la poursuite des observations. Mais
voilà qu’avec la perte d’un second, il devient inutilisable.
Un
gyroscope
est un appareil mécanique qui sert à assurer l’orientation
d’un engin volant (avion, fusée, satellite, etc.) selon l’un des
trois axes de déplacement (avant/arrière, haut/bas et gauche/droite).
Trois gyroscopes sont donc nécessaires pour stabiliser un engin
en déplacement.
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Anatomie du télescope Kepler. Les quatre
gyroscopes, qu’on ne repère pas sur ce dessin, se trouvent à
l’intérieur du satellite. |
Avec
seulement deux gyroscopes en fonction, Kepler ne peut plus maintenir son
orientation avec précision. Pour l’heure, les contrôleurs
assurent celle-ci grâce à de petits moteurs-fusée,
mais les réserves de carburant alimentant ceux-ci ne dureront que
quelques mois. Les responsables de la mission considèrent
néanmoins avoir le temps de solutionner leur problème.
Ils
demeurent d’ailleurs en contact radio avec l’engin et ont bon espoir de
remédier à la panne… même si, dans les faits, leurs
chances d’y parvenir paraissent très minces. Ainsi, la moisson
scientifique recueillie par Kepler pourrait bien avoir pris fin abruptement,
alors qu’on espérait qu'il poursuivrait ses observations durant
au moins trois bonnes années.
«Ce
n’est vraiment pas fini!+, a pourtant clamé d’un ton ferme Bill
Borucki, directeur des opérations scientifiques de Kepler à
un journaliste qui lui demandait si, tout compte fait, la mission Kepler
n’était pas terminée.
Encore beaucoup de travail
Tout
au long d’une conférence de presse convoquée à la
hâte le 15 mai pour faire le point sur l’état de Kepler, Borucki
a insisté sur le fait que «La mission Kepler est un succès
phénoménal. Elle a repéré 2700 planètes
candidates et 130 planètes confirmées.»* Il a
aussi insisté sur le fait que: «L’objectif premier de la mission
était de déterminer si les Terre sont fréquentes ou
rares dans notre galaxie. Kepler a été conçu
pour ne faire qu’une seule chose, mais pour la faire particulièrement
bien», dit-il. Or, grâce à la découverte
de 280 exoplanètes (candidates) de la taille de la Terre et à
850 autres qui mesurent jusqu’à deux fois cette taille, le directeur
scientifique estime que Kepler a pleinement rempli sa mission en nous révélant
que oui, les petites planètes existent en quantité.
On
n’a toutefois pas encore trouvé une planète assimilable à
la nôtre. Sur ce point, Bill Borucki apporte une nuance intéressante.
«On doit se demander ce qui constitue au juste une planète
Terre. S’agit-il nécessairement d’une planète qui a
la même taille que la Terre, ou encore 20% de plus, sinon même
deux fois plus grosse? Nous avons dans nos données une foule
de planètes qui ont approximativement la taille de la Terre.
Nous avons aussi quantité de planètes qui se trouvent en
zone
habitable autour de leur étoile [mais qui sont beaucoup plus
grosses que la Terre]. Mais nous cherchons toujours une planète
semblable à la nôtre et qui gravite dans la zone habitable
d’une étoile très semblable au Soleil.» Bref,
nous cherchons toujours la «Terre promise».
Borucki
souligne en outre que même si Kepler ne transmettait plus aucune
nouvelle donnée, il en reste encore énormément à
analyser. «Nous avons accumulé des térabytes
de données», dit-il. Il croit donc que quelque part
dans celles-ci se cachent de belles Terre. À un journaliste
qui lui demandait quand le saurons-nous, il a répondu:
«Nous
sommes très confiants que nous trouverons des planètes de
la taille de la Terre en zone habitable autour d’étoiles semblables
au Soleil. Je crois bien que nous possédons déjà
les données qui nous permettront d’y parvenir. Toutefois,
il nous faudra plusieurs mois pour terminer l’analyse du dernier quartet
de données [emmagasinées]. Ensuite, il nous faudra
probablement une bonne année pour assembler le catalogue de toutes
nos données et alors, bien sûr, il faudra du temps pour confirmer,
par l’entremise de télescopes au sol, les planètes que nous
aurons repérées afin de nous assurer que nous n’avons pas
commis d’erreur.* Nous avons donc du travail pour encore plusieurs
années!»
La fin d’un long et fabuleux
parcours
N’empêche
que s’il reste énormément de données à éplucher,
Kepler pourrait bien avoir cessé sa mission d’observation, marquant
par le fait même la fin de l’aventure d’une vie pour Bill Borucki.
Celui-ci l’a d’ailleurs évoqué en fin de conférence
en laissant filer que ce pourrait bien être «la fin d’un très,
très long parcours…»
En
effet, tel que relaté au chapitre 14 de Terres
en vue!, celui-ci a eu l’idée, il y a 30 ans, de concevoir
le premier télescope spatial capable de repérer des planètes
hors du Système solaire. Toutefois, il a ensuite dû
se battre durant vingt ans, essuyant les doutes de ses collègues
puis une kyrielle de refus de la part des autorités de la NASA avant,
enfin, de se voir octroyer les 600 millions $ lui permettant de réaliser
son projet.
Âgé
aujourd’hui de 74 ans, il a laissé filer en fin de conférence
un
long soupir – le soupir d’une vie! - pour conclure que: «Ça
été un très long voyage… D’avoir une idée
à laquelle, au départ, personne ne croyait (sauf quelques-uns…),
de voir mon projet rejeté chaque fois que je le présentais,
mais de me servir de ces refus pour concevoir un projet toujours meilleur!»
«Et
aujourd’hui, je suis franchement enchanté par les résultats
obtenus, poursuit-il. Kepler a été conçu pour
fonctionner durant quatre années, ce qu’il a fait. Il nous
a donné davantage que tout autre concept imaginé. Je
ne me sens donc pas attristé, pas du tout! Je suis réellement
enchanté et heureux par tout ce que nous avons accompli.»
«Par
contre, admet-il, j’aurais été encore plus heureux si Kepler
avait continué de fonctionner quatre autres années.
Ça aurait été, en quelque sorte, le glaçage
sur le gâteau… mais nous avons déjà un excellant gâteau!»
Charles
Sobeck, le chargé de projet adjoint pour la mission Kepler, a tenu
a préciser que: «L’équipe Kepler est réellement
attristé» par la perte d’un deuxième gyroscope. «Elle
a d’ailleurs pris une pause hier afin de réfléchir aux conséquences
de cette perte…»
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Planètes candidates
et planètes confirmées Tel qu’expliqué dans
Terres
en vue!, un satellite comme Kepler ne voit pas les planètes
autour d’une étoile, mais il mesure plutôt leur présence.
Il repère ainsi des «planètes candidates».
On utilise ensuite d’autres télescopes, notamment les télescopes
géants situés à Hawaii, pour confirmer ces planètes.
C’est dire que les 2700 planètes débusquées par Kepler
doivent être repérées une à une par les astronomes
au sol - ce qui demandera des années de labeur. |
Plus récentes mises à jour de l'état de Kepler:
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