|
L’Histoire retient que les Soviétiques
ont surpris tout le monde en lançant le premier satellite le 4 octobre
1957. Or, comme le relate les journaux de juin, ils nous avaient
pourtant prévenus. Cependant, puisque l’URSS est alors considérée
comme une nation technologiquement très en retard sur l’Occident
— pour ne pas dire arriérée — personne ne prend au sérieux
leurs annonces. Aux yeux de tous, il va de soi que les Américains
lanceront un satellite dès que la chose sera possible. |
|
Les Soviétiques nous le disent: «Bientôt,
c’est-à-dire d’ici quelques mois, notre planète sera dotée
d’une autre lune, d'une lune de fabrication humaine.» Mais personne
ne les croit. |
|
|
Annoncé par cinq fois
Le 1er juin, dans un article publié
dans la Pravda — l’organe officiel du Parti communiste russe — et
relayé le lendemain par le New York Times, le président
de l’Académie des sciences, Alexander Nesmeyanov, déclare
que les savants soviétiques «ont conçu les fusées
et tout le matériel nécessaire pour résoudre le problème
des satellites artificiels». Le 8 juin, le New York Times
relate un article de la Gazette littéraire russe qui annonce
que des chiens seront lancés au cours de l’Année géophysique
internationale (qui débute dans trois semaines). Le 10 juin, le
professeur Nesmeyanov précise que l’URSS lancera sous peu un satellite:
«Bientôt, c’est-à-dire d’ici quelques mois, notre planète
sera dotée d’une autre lune, d'une lune de fabrication humaine s’entend.»
Le 19 juin, d’autres spécialistes russes
déclarent qu’ils lanceront avant la fin de 1958 un satellite nettement
plus développé que ce que préparent les Américains.
Ils ajoutent qu’ils ne cherchent pas la compétition. Deux jours
plus tard, le représentant soviétique au comité organisateur
de l’année géophysique réitère qu’un satellite
sera lancé dans quelques mois. (Comment réconcilier
ces deux déclarations en apparence contradictoires? On peut
supposer que la première fait allusion au satellite d’une tonne
que l’Académie des sciences espère lancer au printemps 1958,
alors que la seconde réfère au petit satellite que Korolev
cherche à lancer avant les Américains.)
Quoi qu’il en soit, si les propos soviétiques
sont largement diffusés au cours du mois de juin, l’été
venu, ils sont vite oubliés.
Le missile récalcitrant
Pendant ce temps, au cosmodrome de Baïkonour,
les ingénieurs préparent en secret le deuxième tir
d’un R-7. À peine cinq jours s’écoulent entre l’arrivée
du missile au cosmodrome et son installation sur la plate-forme de tir.
(Par comparaison, les fusées américaines exigent des mois
de préparation.)
Le 10 juin au matin, l’équipe de Korolev
procède au tir. Les moteurs s’allument comme prévu
mais ils s’arrêtent quelques secondes plus tard. Le missile ne bronche
pas, éteignant par lui-même ses moteurs. Il semble que
quelque part en lui, une valve ne se soit pas ouverte.
Après analyse, Korolev ordonne une
deuxième tentative, le temps de remettre en fonction les fusibles
d’allumage des moteurs. Là encore, les moteurs s’allument brièvement
puis s’éteignent. Bizarre.
Les ingénieurs sont pourtant persuadés
qu’une simple valve ne s’active pas au moment opportun. Ils effectuent
des vérifications et tests. Tout semble en ordre. Ils tentent un
troisième essai. Cette fois, toutes les valves s’ouvrent et
les moteurs se mettent à développer leur pleine puissance.
Le missile disparaît bientôt derrière le rideau des
gaz d’échappement. Soudain, c’est l’arrêt des moteurs. Le
R-7 ne bronche toujours pas.
Il est alors près de minuit, la journée
a été longue et ardue. Korolev ordonne la vidange des
réservoirs du missile afin que celui-ci soit reconduit au bâtiment
d’assemblage.
On découvrira plus tard qu’une valve
d’alimentation d’un moteur-fusée a été installée
en sens inverse. Ce genre d’erreur d’assemblage sera responsable de nombreux
incidents, souvent catastrophiques, tout au long de l’exploration spatiale.
Les ingénieurs réaliseront à la longue que non seulement
il leur faut mettre au point des fusées qui fonctionnent parfaitement,
mais aussi concevoir des méthodes d’assemblage à toute épreuve.
|
|
Lunes et satellites
Par
définition, un satellite est un objet qui gravite autour d’une planète.
(Une planète est un astre qui gravite autour d’une étoile.)
Ainsi, la Lune est le satellite naturel de la Terre. La plupart des planètes
sont dotées de satellites naturels; Mars en a deux, Jupiter 63,
Saturne 34… Par analogie avec la Terre, on parle souvent des lunes
de ces planètes. De même, au début de l’ère
spatiale, on employait souvent le terme lunes artificielles pour désigner
les satellites que nous nous apprêtions à lancer. Ainsi,
le mot lune (sans majuscule) est synonyme de satellite (naturel ou artificiel)
alors que la Lune (avec une majuscule) est notre satellite naturel. |
Les premiers satellites
soviétiques
#1) |
Lancé le 4 octobre 1957,
le premier satellite (84 kg) transportait essentiellement deux émetteurs
radio. |
#2) |
Lancé le 3 novembre
1957, le deuxième satellite pesait 508 kilos et transportait entre
autres un chien (Laïka). |
#3) |
Un troisième satellite
a été lancé le 27 avril 1958. Pesant plus d’une tonne,
il s’agissait du premier satellite que prévoyaient
lancer à l'origine les Soviétiques. Malheureusement,
la fusée qui le transportait explosa peu après son décollage.
Il a fallu attendre des décennies avant d’apprendre la nouvelle
de cet échec. |
#4) |
Le troisième satellite
soviétique (officiel) a été lancé avec succès
18 jours plus tard (le 15 mai). Il s’agit de la copie conforme du précédent:
un imposant laboratoire scientifique de 1 325 kilos. |
|
|
Anatomie d'un missile R-7.
|
|
|
Course aux missiles
Sans le savoir, Américains et Soviétiques
se livrent une course beaucoup plus serrée qu’on l’imaginait à
l’époque. Ainsi, au lendemain de la tentative infructueuse
du missile R-7, les Américains essaient pour la première
fois leur propre missile intercontinental Atlas.
Celui-ci s’élève de trois kilomètres
avant d’exploser après 23 secondes de vol. C’est dire qu’à
quatre semaines d’intervalle, les deux camps subissent un échec
semblable avec leur premier missile intercontinental. Dans les deux cas,
les concepteurs considèrent néanmoins qu’il s’agit d’une
réussite puisque leur engin s’est envolé. Seule différence:
alors que l’échec soviétique nous est inconnu, celui des
Américains fait la une des journaux!
Ils auraient pu les battre
Pour leur part, les responsables du programme
Jupiter sont si enchantés par la réussite du tir de leur
missile survenu
fin mai qu’ils
trépignent d’impatience. Le New York Times rapporte
les propos d’«un scientifique qui a requis l’anonymat» — s’agit-il
de von Braun? — à l’effet que l’Armée de terre dispose désormais
d’une fusée capable de lancer des satellites.
Or, voilà qui entrerait en conflit
avec le projet Vanguard de la Navy. Un porte-parole de l’Armée
interrogé par le quotidien déclare d’ailleurs: «Nous
ne disposons pas d’un tel missile.» Son supérieur renchérit
le lendemain: l’Armée de terre n’envisage pas lancer de satellites,
tranche-t-il. Il déplore même l’existence d’une telle
rumeur qui contribue à créer un climat de rivalité
entre les deux branches de l’armée américaine. «Le
programme de satellite est entre bonnes mains», dit-il en parlant
du projet Vanguard. Il considère que si l’Armée possédait
une telle capacité, cela «constituerait une grave ingérence
dans les efforts de la Navy, en plus d’être à la fois un dédoublement
inutile et coûteux, ce qui serait inacceptable.»
Pourtant, comme nous le verrons sous peu,
l’équipe de von Braun dispose véritablement d’une fusée
qui aurait pu lancer un satellite avant la Navy… et Korolev.
«Une merde!»
À Cap Canaveral, les techniciens chargés
de préparer le troisième tir d’une Vanguard découvrent
avec stupeur que la fusée que leur a livrée le fabricant
est bourrée de déficiences. Non seulement comporte-t-elle
nombre d’erreurs d’assemblage mais les réservoirs, la tuyauterie
et le moteur du premier étage sont contaminés par des particules
de métal et de saleté. «C’est une véritable
merde qu’on nous a envoyée!», déclare l’un des responsables
du tir. Si les techniciens sont en mesure de corriger les erreurs
d’assemblage, il leur est impossible de nettoyer le moteur de la fusée.
Celui-ci devra être remplacé. Par conséquent, le tir
ne pourra avoir lieu avant l’automne.
Suite: Juillet 1957: Prélude
Voir aussi: June
1957: They Told Us: They Were Ready! dans
The
Great Adventure Project |
|
|
Les deux premiers missiles
intercontinentaux: le R-7 soviétique (à gauche) et l’Atlas
américain. Les deux ont été testés pour la
première fois à quatre semaines d’intervalle, les deux subissant
le même sort. |
|
Les deux lanceurs de satellite
américains en compétion: le Jupiter de l'Armée de
terre et le Vanguard de la Navy. |
Taille des missiles
R-7: 33,5 mètres (édifice
de 11 étages)
Atlas: 28 mètres (édifice
de 9 étages)
Jupiter: 21 mètres (édifice
de 7 étages)
Vanguard: 23 mètres
(edifice d 7½ étages) |
Werhner von Braun (1912-1977)
À 45 ans, Wernher von Braun dirige l’équipe d’ingénieurs
qui, pour le compte de l’Armée de terre, met au point le missile
Jupiter Idont il yient une maquette). (Plus dans Wikipédia) |
|