|
Le mois de mai marque un premier
jalon dans l’exploration spatiale avec la mise à l’essai des fusées
qui lanceront les premiers satellites.
Gâtés par le succès
Le 1er mai, les Américains réussissent
leur deuxième tir de fusée Vanguard. Constituée du
premier et du troisième étages de la version qui lancera
éventuellement des satellites, cette Vanguard grimpe jusqu’à
195 kilomètres d’altitude avant de retomber comme prévu dans
l’océan.
Pour les responsables du tir, c’est un deuxième
succès consécutif. La chose est si rare à l’époque
qu’un responsable du programme lance à la blague: «Je me demande
si tant de succès n’est pas en train de nous gâter!»
(La plaisanterie fera un jour grincer des dents tant Vanguard subira de
cuisants revers.)
Le programme voguant pour le moment sur le
succès, les responsables prévoient réaliser un troisième
tir d’essai cet été puis procéder à une tentative
de mise en orbite, possiblement dès septembre.
Une tradition s’instaure
Pendant ce temps, au cosmodrome de Baïkonour,
on prépare le premier tir d’un missile R-7.
Le 4 mai, afin de vérifier les procédures
de transport et d’installation du missile sur sa plate-forme de lancement,
le R-7 est roulé hors du bâtiment d‘assemblage et conduit
jusqu’au pas de tir quelques kilomètres plus loin. L’opération
est impressionnante.
La R-7 est une fusée différente
de toute celles qui existent. Les concepteurs ont eu l’ingénieuse
idée d’accoler cinq fusées de taille semblable, quatre étant
fixées autour d’une fusée centrale.
|
Une fusée R-7: vers la gauche, on
voit clairement deux des quatre fusées latérales fixées
à la fusée centrale (qui ressort sur la droite). |
|
L’ensemble, qui repose sur un wagon de chemin
de fer conçu à cette fin, mesure trente-trois mètres
de long, fait huit mètres de haut et pèse une vingtaine de
tonnes. Il est tracté par une locomotive qui roule à la vitesse
d’un homme marchant lentement.
Parvenu à l’aire de lancement, le missile
est basculé à la verticale puis installé sur la plate-forme
de tir. Les techniciens procèdent ensuite au branchement des conduites
d’alimentation électrique et des canalisations de carburant. Pour
ce test, les réservoirs du missile ne sont pas remplis. Au terme
d’une journée de vérifications concluantes, le R-7 est basculé
à l’horizontal, réinstallé sur son wagon de transport
et reconduit au bâtiment d’assemblage. Le lendemain, les techniciens
vérifient son état et procèdent aux derniers ajustements.
Le 6 mai, le missile est à nouveau roulé
jusqu’au pas de tir, cette fois en prévision de son lancement. Cette
occasion marque le début d’une tradition encore d’usage aujourd’hui.
La locomotive tractant la fusée franchit le seuil du bâtiment
d’assemblage à 7 heures précis du matin. Le convoi est alors
accompagné par des dizaines d’ingénieurs, de techniciens
et des responsables du tir qui marchent le long de la voie ferrée.
Depuis cinquante ans, cette cérémonie
quasi religieuse a été répétée deux
mille fois, c’est-à-dire chaque fois qu’un lanceur de satellite
de type R-7 est mené à la plate-forme de tir.
Premier tir d’un missile intercontinental
Après une semaine de préparations
et de vérifications minutieuses, la commission d’État chargée
de superviser le tir décide que le missile R-7 sera lancé
le 15 mai, entre 18 et 21 heures.
L’heure du tir a été déterminée
en fonction de trois critères particuliers. D’une part, le décollage
doit survenir de jour afin de voir clairement tout ce qui se passe alors.
Par contre, le retombé dans l’atmosphère du missile au-dessus
de la Sibérie (à la manière d’une météore)
doit s’effectuer de nuit afin de repérer l’éclat généré
par la friction de l’air sur le missile. Enfin, l’envolée doit s’effectuer
le plus possible à la noirceur afin d’éviter que les services
de renseignements américains ne voient clairement l’opération.
(C’est dire que les Soviétiques savent déjà que les
Américains espionnent ce qu’ils font — ce que nous, du grand public,
ignorions totalement.)
Le missile R-7 s’envole à 21 heures.
Dès le décollage, un incendie éclate à bord
de l’une des quatre fusées latérales. Néanmoins, le
R-7 poursuit sa course durant 98 secondes. À cet instant,
la portion en feu se détache brusquement, déséquilibrant
le reste du missile. Malgré tout, le système de guidage tente
de maintenir la trajectoire, mais le R-7 explose à la 105e seconde
de vol.
Une dizaine de secondes de plus et les trois
fusées latérales restantes se seraient détachées
comme prévu. Le missile aurait alors poursuivi sa course normalement.
Il s’en est donc fallu de peu pour que, malgré la grave avarie de
départ, le R-7 accomplisse son premier vol avec succès.
(Curieusement, une situation analogue est
survenue trente ans plus tard lors du tragique vol de Challenger.
Le 28 janvier 1986, au moment du décollage, l’un des deux propulseurs
à poudre de la Navette spatiale a connu une sévère
perte d’étanchéité. Pourtant, le véhicule a
poursuivi sa course durant 76 secondes avant d’éclater. Or, si seulement
la navette avait pu tenir bon encore quelques dizaines de secondes, les
sept astronautes à bord auraient eu la vie sauve.)
Dans le cas du R-7, il retombe à quelques
kilomètres du pas de tir, sans faire de dégât. (Le
cosmodrome est situé au cœur d’une vaste zone désertique.)
Pour les ingénieurs, l’opération est à la fois décevante
et rassurante; elle démontre qu’un missile R-7 peut voler malgré
une sévère avarie. Ils ont par conséquent de quoi
se réjouir.
En Occident, nous ignorons tout de ce qui vient
de se passer ce jour-là; il faudra attendre la fin des années
1980 pour le découvrir. Néanmoins, ce 15 mai marque une date
notable dans l’histoire de l’exploration spatiale puisque la fusée
qui lancera tant de vaisseaux spatiaux prestigieux (Spoutnik, Vostok, Soyouz…)
a volé pour la première fois. Même ceux qui ont été
témoins de l’événement ne le réalisent pas.
.
Le mois se termine par un autre tir significatif:
le 31 mai, l’Armée de terre américaine réussit un
test parfait de son missile Jupiter. La réussite est si belle
aux yeux des concepteurs du missile que ceux-ci peuvent difficilement résister
à la tentation d’utiliser un Jupiter pour lancer un satellite —
au risque de détrôner la Navy! (Voir texte suivant.)
Suite: Juin 1957: Ils nous avaient
pourtant prévenus
Voir aussi: May 1957: Something Happened
in Secret dans The
Great Adventure Project |
|
En mai, les Américains et les Soviétiques
testent leurs futurs lanceurs de satellite. La course à l'espace
est déjà engagée… même si on ne le sait pas
encore. |
.
|
En 1957, trois fusées
se disputent l'honneur de lancer des satellites. À gauche,
la grosse fusée russe R-7 (haute comme un édifice de 11 étages).
Au centre, le missile Jupiter de l'Armée de terre américaine,
et à droite, la très mince Vanguard de la Navy. |
Exemple du transport d’une fusée
de type R-7 de son bâtiment d’assemblage jusqu’à son érection
sur sa plate-forme de tir.
|
Un missile R-7 sur sa plate-forme
de tir au cosmodrome de Baïkonour. Durant sa préparation, le
missile est encerclé par des structures qui donnent accès
à ses composantes et systèmes. |
Consultez la liste
des deux mille lancements de la fusée Semiorka (dérivée
du missile R-7). |
|
Tir d'un missile Jupiter.
|
|