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Des Chinois sur la Lune avant les Américains ?

Le mythe de la Chine comme 
puissance mondiale du 21e siècle

(Avril 2008) -- La Chine est souvent présentée comme la puissance dominante du 21e siècle.  Pour illustrer ce propos, on avance souvent qu’elle sera bientôt (si ce n'est pas déjà le cas) une puissance spatiale capable de rivaliser avec les États-Unis.  Toutefois, une telle prétention ne résiste pas à l'analyse des faits.  Qui plus est, la comparaison entre le spatial chinois et américain illustre à merveille les fausses perceptions qu’on peut développer concernant la situation réelle de la Chine. 

     Il y a si longtemps que des hommes ont marché sur la Lune qu’on a oublié – ou qu’on ignore – jusqu’à quel point la réalisation d’une telle entreprise est exigeante.  Même pour une nation qui s’y est rendue une première fois, y retourner quarante ans plus tard nécessitera d’importants efforts.  Et c’est encore davantage le cas pour une nation qui n’a jamais atteint la Lune, telle que la Chine.

L’immense effort Apollo

     Les plus âgés d’entre nous se rappelleront que les Américains ont mis huit années à conquérir la Lune, dès l’instant où le président Kennedy a lancé son défi le 25 mai 1961.  L’histoire retiendra qu’ils ont réalisé cinq missions Apollo en neuf mois seulement pour conquérir la Lune en juillet 1969.

     Toutefois, non seulement le programme Apollo a-t-il été le plus gigantesque effort technologique civil de tous les temps, mais il ne constitue en réalité que la pointe d’un gigantesque iceberg composé des connaissances scientifiques et technologiques qui ont dû être acquises pour nous propulser jusqu’à la Lune.

     En effet, il a fallu bien davantage que de mettre au point le matériel lunaire – l’essence même du programme Apollo – mais surtout maîtriser une vaste gamme de connaissances pratiques pour ce faire.  C’est ainsi qu’en huit ans, les Américains ont réalisé 21 missions habitées Mercury, Gemini et Apollo afin d’obtenir les rudiments du vol spatial, alors qu’une trentaine de sondes Pioneer, Ranger, Lunar Orbiter et Surveyor ont servi de bancs d’essai tout en étudiant la Lune sous toutes ses coutures.

     Plus spécifiquement, les Américains ont dû apprendre à faire survivre des équipages en apesanteur durant une semaine (le temps d’un aller-retour Terre-Lune), maîtriser les subtilités des manœuvres orbitales, du rendez-vous de deux vaisseaux et de l’accostage en orbite (terrestre puis lunaire), pratiquer les délicates sorties hors vaisseaux, approfondir la navigation spatiale (en orbite terrestre, puis dans l’espace circumterrestre et enfin autour de la Lune), etc.  Ils ont en outre dû cartographier soigneusement la cible, découvrir les caprices de la gravité lunaire (sujète aux «concentrations de masse» qui perturbent la trajectoire de tout vaisseau en orbite lunaire), développer les techniques d’alunissage – en quelque sorte: apprendre à atterrir à la verticale, à la manière d’un hélicoptère, mais sans bénéficier de l’appui d’une atmosphère.  Surtout, ils ont eu à faire face à toute sorte d'éventualités et à contrer sur le vif une foule d'incidents et de pannes en tout genre. 

     Pour ce faire, ils ont payé un lourd tribu.  Non seulement une demi-douzaine d’astronautes ont perdu la vie (à l’entraînement au sol), mais plusieurs autres ont frôlé la mort dans l’espace. C’est notamment le cas de Neil Armstrong, dont seul le sang froid a permis de ramener sur Terre sa cabine Gemini 8 en perdition.  De même, les premiers hommes à s’aventurer hors des capsules Gemini ont bien failli ne jamais y revenir.  De leurs côtés, les ingénieurs responsables des missions robots ont été confrontés à de multiples échecs.  Imaginez: ils ont dû s’y prendre sept fois pour parvenir a simplement faire s’écraser correctement une sonde Ranger chargée de photographier en plan rapproché le sol lunaire!

     C’est ainsi que durant une décennie, des centaines de milliers d’ingénieurs et de scientifiques ont travaillé d'arrache-pied, littéralement jour et nuit, pour relever le défi Kennedy.  Lorsqu’on regarde à quelle cadence ils ont travaillé, on a peine à imaginer comment on pourrait y parvenir aujourd’hui.  Le fait est que l’envoi d’humains sur la Lune est à ce prix…

La « conquête lunaire » à la chinoise

     Lorsqu’on regarde ce qui se passe côté chinois, on ne peut qu’être frappé par la lenteur extrême et par la faible maîtrise spatiale qu’a développé ce pays en quarante années.  Depuis le lancement de son premier satellite (en 1969), la Chine n’a en effet orbité qu’une centaine d’engins spatiaux et n’a lancé qu’une sonde lunaire (en 2007). Par comparaison, dans les années 1960, les Américains ont lancé huit cents engins spatiaux, dont trente sondes lunaires. (Voir la liste des engins spatiaux chinois et américains.)

     Le contraste frappe encore plus lorsqu’on compare les programmes habités.  Le premier vaisseau chinois a été lancé (sans équipage) en 1999.  Or, en près de dix ans, il n’ont lancé que six capsules Shenzhou, dont deux habitées. (Shenzhou 5, avec un homme à bord, n’est demeurée que 21 heures en orbite, alors que Shenzhou 6, avec deux hommes, a tenu l’espace 4½ jours.)

     Par comparaison, entre 1960 et 1969, les Américains ont procédé à une quarantaine d’opérations pilotées, dont au lancement de vingt-et-un vaisseaux qui ont transporté une quarantaine d’hommes.  Ils ont notamment réalisé huit envolées d’une semaine ou plus, dix opérations d’arrimage, treize sorties dans l’espace et quatre expéditions jusqu'à la Lune. (Voir la liste des envolées habitées.)

     Ainsi, si on considère que les Américains ont eu besoin de 21 missions avec équipages pour atteindre la Lune alors que les Chinois n’en ont effectué que deux en dix ans, on pourrait calculer qu’à ce rythme, il leur faudra un bon siècle pour y parvenir!

     Bien sûr, on dira que les Chinois pourront procéder plus rapidement puisqu’ils bénéficient de davantage de connaissance qu’on en avait dans les années 1960.  C’est vrai.  Toutefois, ils n’ont pas encore été en mesure de concevoir leur propre vaisseau habité.  En effet, leur Shenzhou a été développé à partir des plans du fameux Soyouz russe *.  Or, non seulement ni l’un ni l’autre ne ferait un bon vaisseau lunaire (à cause de leurs capacités limitées), mais les Chinois ont tout à apprendre dans la conception d’engins lunaires aussi simples que des robots capables de se poser en douceur sur la Lune.

     Enfin, il ne fait aucun doute que la conquête de la Lune sera parsemée d’échecs et qu’il faut par conséquent effectuer de nombreuses missions afin d’appendre à y faire face.  Comment réagiront les Chinois face aux échecs inévitables?  Sauront-ils faire preuve d’autant de courage et d’opiniâtreté que les Américains?  Pour un gouvernement aussi «frileux» que le Parti communiste chinois*, ça reste à voir…

     C’est pourquoi, disons-nous, que prétendre que la Chine est une puissance spatiale capable de rivaliser avec les États-Unis relève de la pure fantaisie.

Le Japon du 21e siècle ?

     En fait, évoquer que la Chine est une puissance mondiale capable d’orbiter des humains et de conquérir la Lune n’est qu’un argument de propagande.  La Chine s’en sert, tout comme certains «experts» occidentaux, lorsqu’il s’agit de nous faire miroiter le péril jaune.  Mais, comme toute propagande, cette prétention ne résiste pas à l’analyse des faits.

     En réalité, la Chine est et demeurera pour longtemps un pays extrêmement vulnérable.  Vulnérable à cause de son régime politique désuet qui contrôle de moins en moins sa population.  Vulnérable parce que malgré la progression fulgurante de son économie, la population chinoise demeurera encore pour des décennies extrêmement pauvre. Vulnérable aussi parce que l’économie chinoise repose essentiellement sur la consommation des pays occidentaux. (Elle est de ce fait très vulnérable à tout ralentissement économique frappant l’Occident ou à l’éventualité qu’on achète ailleurs - ne serait-ce qu’une portion de nos produits.)  Vulnérable aussi parce que, outre le «problème tibétain», la Chine est en proie à maintes tentions ethniques susceptibles de la faire éclater à tout moment.  Vulnérable enfin parce que si un jour l’Occident décidait de faire tomber le régime communiste – parce que, par exemple, on le considérerait comme une menace trop grande à nos intérêts -, la Chine s’effondera comme l’Union soviétique d’autrefois.

     La Chine, puissance mondiale du 21e siècle?  Rappelons-nous ce que disaient les «experts» à la fin des années 1980 à propos du Japon!
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* Voir : La Chine, future grande puissance spatiale ?
 

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© Claude Lafleur, 2008
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