STS 107 / « Columbia » :
« We have a bad day… »

Deuxième semaine suivant la destruction de Columbia :
Commentaire : Nous leur devons bien la Vérité…
• 10 février : Ce que nous dit la NASA (en anglais)
• 11 février : « Notre mandat : trouver la cause de l’accident »
• 11 février : Ce que le CAIB nous dit (en anglais)
• 13 février : Communiqué spécial du CAIB (en anglais)
• 13 février : Les restes des astronautes récupérés (en anglais)
• 13 février : Ce que le CAIB nous dit (en anglais)
• 13 février : Le tracé des derniers moments de Columbia
14 février : Le déroulement du drame

.
Commentaires

Nous leur devons bien la Vérité…

        Dans les jours qui ont suivi la destruction de Columbia, maints hommages ont été rendus à l’équipage de la mission STS 107, ces «sept valeureux héros qui n’ont pas craint de risquer leur vie pour faire progresser nos connaissances scientifiques».
         Hélas, une semaine après leur décès tragique, nous ignorons tout de la cause qui a provoqué la destruction de leur vaisseau spatial, vers 8h59 samedi matin, 1er février. Columbia se trouvait alors à 63 kilomètres au-dessus du Texas et filait à 18 fois la vitesse du son. L’orbiteur n’était plus qu’à seize minutes d’un atterrissage à Cape Canaveral, au terme d’une mission scientifique de seize jours.
         Après une première semaine «frustrante» (selon les mots d’un haut-responsable de la NASA), tout ce que nous savons (ou croyons savoir) c’est que l’aile gauche de l’orbiteur s’est trouvée sévèrement endommagée à partir de 8h53, entraînant la perte du véhicule quelques minutes plus tard. Les ordinateurs de bord ont pourtant lutté en vain pour résister au déséquilibre aérodynamique, nous dit-on. Quant aux contrôleurs au sol, qui monitoraient les manœuvres d’atterrissage, tout semblait normal jusqu’à une minute avant la perte du contact radio. Pour eux, comme vraisemblablement pour l’équipage, c’était la surprise totale.
        Peut-être manquaient-ils certaines tuiles sur l’aile gauche protégeant la fragile carlingue d’aluminium contre les températures élevées auxquelles s’est trouvé exposé le véhicule lors de sa rentrée? Peut-être d’autres pièces de l’aile manquaient-elles, à moins qu’il ne s’agisse de la défaillance d’un système de bord ou de ce que Columbia aurait été frappé à très haute altitude… mais par quoi?
         Toujours est-il qu’une semaine après la tragédie, nous sommes dans le noir, confrontés au trouble et à la frustration de ne pas savoir ce qui s’est passé. Cette situation contraste avec la Tragédie de Challenger, puisqu’il n’avait alors fallu que quelques jours pour cerner la source de l’accident. (La commission d’enquête a néanmoins mis six mois pour dresser le constat précis de toutes les circonstances du drame.)
         Pour l’heure, tout ce que nous savons c’est que la NASA a accumulé une formidable masse d’information sur les derniers instants de Columbia. Non seulement récupère-t-on soigneusement tous les débris de l’orbiteur, mais en plus de toutes les informations télémétriques recueillies tout au long de la mission, la NASA a fait appel au grand public pour rassembler tous les témoignages, les photos et les films que des citoyens auraient pu prendre lors du passage de Columbia au-dessus de l’Ouest des États-Unis. Les militaires, avec leurs moyens d’observation extrêmement perfectionnés, sont également mis à contribution. Cette masse d’information est dans un premier temps classé puis remis aux enquêteurs chargés de faire la lumière.
         Il se pourrait que nous ne sachions jamais ce qui s’est passé à bord de Columbia. Il se pourrait aussi que nous parvenions à avoir une assez bonne idée des circonstances de la tragédie, sans pour autant en être certain. Mais il se pourrait aussi que, au terme d’une longue et difficile investigation, on parvienne à cerner avec certitude les causes du drame. Quoi qu’il advienne, entre temps, nous nous devons d’attendre… d’attendre de savoir, ou de ne pas savoir…
         Hélas, déjà des «révélations» circulent sur des causes possibles, mais il s’agit bien souvent de simples hypothèses émises par des «experts» qui ne savent pas.  Au mieux, certains spéculent sur ce qui pourrait être survenu dans les derniers instants du vol, mais rien de plus. C’est compréhensible étant donné notre soif de savoir… Le phénomène pourrait bien s’intensifier si jamais les enquêteurs tardent à cerner la cause du drame. Nul doute alors que diverses théories (certaines aussi farfelues que sensationnelles) surgiront. Dans les circonstances, certains prétendus «experts», surgis d’on ne sait où, sauront profiter de la situation.
        Heureusement, déjà, toutes les hypothèses à l’effet que Columbia aurait pu avoir été victime d’un attentat terroriste se sont non seulement dissipées dans les heures suivant la tragédie, mais aucune ne semble persister depuis. Quant aux hypothèses à l’effet que la NASA savait (bien avant l’atterrissage) que l’équipage était condamné, elles non plus n’ont guère trouvé d’adhérents (jusqu’à présent). Espérons qu’il en demeurera ainsi.
         Car, si seulement nous avons un tant soi peu de considération et de respect pour les sept astronautes qui ont péri, nous leur devons bien la Vérité. Nous leur devons bien de respecter la réalité des faits (quels qu’ils soient) et, surtout, de traiter avec mépris tous ceux qui tenteront un jour ou l’autre d’exploiter le malheur de ces sept valeureux héros... ainsi que notre crédulité. Qu'il en soit ainsi!
.
As [NASA] officials threw cold water on one theory or another, it was hard to tell which theory-of-the-day would hold up. [It is] hard for outside experts and the press to stop speculating. "The word 'wait' is not easy to tell a newspaperman," said one former NASA engineer. The independent Columbia Accident Investigation Board has given itself 60 days to reach a conclusion.
-- Houston Chronicle, 9 February 2003
.

10 février : ce que nous dit la NASA
.
          NASA Administrator Sean O'Keefe reported today approximately 12,000 pieces of debris from the Space Shuttle Columbia have been collected along a 500-mile swath between Ft. Worth, Texas, and the Louisiana-Texas border. The debris is being tagged for identification and transported to the Kennedy Space Center (KSC), Fla., for use in the on-going investigation. 
           There is no primary or favorite theory as to what caused the Feb. 1 Shuttle accident. Fault-tree analysis and Probability Risk Assessments continue to be important tools to ensure no possible cause is overlooked. NASA's focus is on helping to determine the cause of the accident, finding solutions to the problems, and returning to safe flight operations as soon as possible.
          A section of reinforced carbon-carbon from the leading edge of a Shuttle wing was recovered. It is believed to be from the left wing. Teams continue to search for and collect debris. The first pieces of debris are expected to begin the 18-hour journey by truck from Barksdale AFB to KSC on Tuesday and arrive on Wednesday.
Source : STS-107 MCC Status Report #26
.
« Notre mandat : trouver la cause de l’accident »

        Onze jours après la perte de Columbia, l’enquête sur les causes de l’accident progresse lentement; on rapporte ici et là de nouvelles pièces du puzzle mais rien qui puisse nous orienter vers la réponse à la question. Les traditionnels points de presse de la NASA sont désormais remplacés par ceux de la commission d’enquête indépendante (dite CAIB pour Columbia Accident Investigation Board).
         Le président de cette commission, l’amiral (à la retraite) Harold Gehman, a d’abord tenu à établir la crédibilité du CAIB en présentant chacun des membres.  La plupart d’entre eux ont participé à plusieurs enquêtes sur des accidents civils ou militaires. Gehman a ensuite montré l’indépendance de la commission vis-à-vis la NASA en soulignant que celle-ci devra répondre de ses actes à maintes parties dont, en premier lieu, les familles des sept astronautes disparus, le président et le congrès américains, l’ensemble des contribuables américains ainsi qu’à la NASA. Il a en outre souligné que le mandat de la commission n’est pas de trouver des coupables mais bien de trouver la cause de l’accident de Columbia.
        Harold Gehman a ensuite précisé qu’aucune pièce de Columbia n’a encore été récupérée à l’Ouest de Fort Worth (Texas), malgré tous les signalements à cet effet. Des centaines de signalements qu’a reçus la NASA concernant la présence de débris pouvant provenir de Columbia, les deux-tiers de ceux-ci se sont finalement avérés erronés, indique Gehman. De fait, aucune tuile ni aucune autre pièce n’a été récupérée en amont du point d’où s’est disloqué Columbia.
        D'autre part, le président du CAIB a annoncé que les enquêteurs sont à confectionner un film montrant la rentrée de Columbia à partir des très nombreux vidéo enregistrés par des observateurs en Californie et au Nevada. Ce film est particulièrement difficile à assembler, souligne-t-il, étant donné la diversité des appareils vidéo utilisés ainsi que la difficulté de placer les séquences dans le bon ordre chronologique. Il semble que plusieurs séquences montrent ce qui paraît être des «objets» émanant de Columbia. L’amiral a cependant souligné qu’au moment du passage de l’orbiteur, le ciel de Californie était encore noir, ce qui permet de voir une longue traînée lumineuse, l’orbiteur étant alors entouré par un plasma qui ne permet pas de le distinguer clairement. Il avertit donc que les «objets» qu’on croit voir s’échapper du vaisseau pourrait n’être que des phénomènes électromagnétiques, et non de véritables morceaux.
        Enfin, le président de la commission d’enquête se refuse à commenter tout scénario ou hypothèse sur la cause de l’accident. «Pour rien au monde nous ne voulons exclure quelques possibilités que ce soit, ni nous orienter dans une direction en particulier», a-t-il martelé. Il souligne surtout qu’à la suite d’accidents semblables, il arrive fréquemment que les hypothèses qui semblent les plus plausibes au départ s’avèrent en fin de compte erronées. Il invite donc tout le monde à faire preuve de la plus élémentaire prudence avant de tirer des conclusions hâtives.
.
[Admiral Harold Gehman, CAIB Chairman] noted that members of his team have investigated a total of 50 accidents -- among them the loss of Challenger at launch in 1986. "But almost every one of us has had an experience where following the hottest lead and working on the hottest theory turned out to be completely wrong. So we are very careful not to fall in love with any particular scenario." 
-- Craig Covault, Aviation Week & Space Technology, 14 February 2003

.
Les membres de la commission d'enquête indépendante CAIB
(«Columbia Accident Investigation Board»)
Retired Navy Admiral Harold W. Gehman Jr., CAIB Chairman;
Maj. Gen. John L. Barry, director, plans and programs, Headquarters USAF Materiel Command, Wright Patterson AFB, Ohio;
Brig. Gen Duane W. Deal, commander, 21st Space Wing, Peterson AFB, Colorado; 
James Hallock, Massachusetts Institute of Technology (Draper Lab); 
Maj. Gen. Kenneth W. Hess, USAF chief of safety, Washington commander, Air Force Safety Center, Kirtland Air Force Base, New Mexico;
Scott Hubbard, director NASA Ames Research  Center, California;
Roger E. Tetrault, former chairman of  McDermott International, Inc.;
Rear Adm. Stephen A. Turcotte, commander, Naval Safety Center, Norfolk, Virginia;
Steven Wallace, Director, FAA Office of Accident Investigation.
Theron M Bradley Jr., NASA's Chief Engineer, and Bryan D. O'Connor, NASA's Associate Administrator are providing NASA's support to the board for Safety and Mission Assurance.
.
11 février : Ce que le CAIB nous dit
.
          Columbia debris recovery efforts continued today centered in areas of eastern Texas and western Louisiana. More than 1,600 recovered items are at Barksdale Air Force Base, Shreveport, La. Barksdale is the central field collection point for debris being shipped to the Kennedy Space Center (KSC), Fla., to begin Shuttle Columbia reconstruction. 
          In addition, more than 300 items are at each of the field collection sites in Lufkin, Palestine and San Augustine, Texas, awaiting shipment to Barksdale. A smaller volume is at Carswell Naval Air Station in Fort Worth, Texas. Shipments of debris from Barksdale AFB to KSC begin this week. Two truckloads of items departed Louisiana en-route to KSC today. 
          No confirmed debris has been recovered west of the Fort Worth area. Teams continue to investigate reports from 27 states and eight jurisdictions outside of the U.S. Of 179 reports received from California, 105 have been closed. Of 162 reports in Arizona, eight have been closed. Of 12 reports in New Mexico, four have been closed. 
Source ; STS-107 Mishap Response Status Report #1

• Mercredi, 12 février :  STS-107 Mishap Response Status Report #2
.

13 février : Communiqué spécial du CAIB
.
       Preliminary analysis by a NASA working group this week indicates that the temperature indications seen in Columbia's left wheel well during entry would require the presence of plasma (super heated gas surrounding the orbiter during re-entry).
       Heat transfer through the structure as from a missing tile would not be sufficient to cause the temperature indications seen in the last minutes of flight.
       Additional analysis is underway, looking at various scenarios in which a breach of some type, allowing plasma into the wheel well area or elsewhere in the wing, could occur.
       Other flight data including gear position indicators and drag information does not support the scenario of an early deployment of the left gear.
       The search continues for possible debris from Columbia in the western U.S., but as of early Thursday, no debris further west than Ft. Worth, Texas has been confirmed as Shuttle-related.
Source: Statement by the Columbia Accident Investigation Board, 13 February 2003
.
13 février : Les restes des astronautes récupérés
.
          The remains of all seven members of Space Shuttle Columbia's crew have been positively identified at Dover Air Force Base, Del.
          "We are comforted by the knowledge we have brought our seven friends home," said Bob Cabana, Director of Flight Crew Operations at the Johnson Space Center. "We are deeply indebted to the communities and volunteers who made this homecoming possible, and brought peace of mind to the crew's families, and the entire NASA family," he said.
          The seven astronauts, Rick Husband (Colonel, USAF), Willie McCool (Commander, USN), Michael Anderson (Lieutenant Colonel, USAF), David Brown (Captain, USN), Kalpana Chawla, Laurel Clark (Commander, USN), and Ilan Ramon (Colonel, Israel Air Force), died Saturday, Feb. 1, 2003, when the Space Shuttle Columbia broke up over the southwest United States.
          Private memorial services for the crewmembers will take place within the next few weeks. Burial services for Ilan Ramon took place February 11 in Israel.
Source: Columbia Astronaut Remains Identified, 13 February 2003
.
13 février : Ce que le CAIB nous dit
.
          The Columbia Accident Investigation Board said today preliminary analysis by a NASA working group indicates the temperature indications seen in Columbia's left wheel well during entry would require the presence of plasma. Plasma is a super heated gas surrounding the orbiter during re-entry.
          The CAIB said heat transfer through the structure, as from a missing tile, would not be sufficient to cause the temperature indications seen in the last minutes of flight. Additional analysis is under way, looking at various scenarios in which a breach of some type could occur, allowing plasma into the wheel well area or elsewhere in the wing.
          Other flight data, including landing gear position indicators and drag information, indicate it is unlikely the left landing gear was deployed early, the CAIB said.
Source: STS-107 Mishap Response Status Report #3
.
Le tracé des derniers moments de Columbia

        Ci-dessous, huit cartes détaillant les événements qui ont jalonnés la rentrée dans l'atmosphère de Columbia et son passage au-dessus de cinq États de l'Ouest des États-Unis. Ces cartes indiquent les informations et les données qui témoignent des derniers instants du retour tragique de Columbia le 1er février. (Cliquez sur chacune pour obtenir une version lisible.)
 
Entrée (Pacifique) Pacifique-Californie Californie Nevada
Arizona Nouveau-Mexique Nouveau-Mexique-Texas Texas
Source: STS-107/Columbia Ground Tracks, February 1, 2003 (NASA)
.

Le déroulement du drame

        Deux semaines après la perte de Columbia, nous ignorons toujours la cause de la tragédie. Plusieurs hypothèses se succèdent; après avoir parlé de la perte en cascade de tuiles, du morceau de revêtement mousse qui aurait endommagé irrémédiablement le bouclier thermique de l’orbiteur 80 secondes après le décollage, ou de l’impact d’un objet au deuxième jour du vol, voilà qu’on évoque à présent dans les médias le déploiement prématuré du train d’atterrissage de l’aile gauche ou, du moins, de l’explosion des pneus de ce train pour expliquer la tragédie. Or, chaque fois, les enquêteurs doivent réitérer qu’il est trop tôt pour tirer (ou exclure) quelque hypothèse que ce soit.
        Voici, pour l’heure, la chronologie des événements telle que nous la connaissons (et qui changera sans doute quelque peu éventuellement).

         Au matin du 1er février, Columbia gravitait sur une orbite dont l’altitude variait de 272 à 289 kilomètres, selon une trajectoire faisant un angle de 39,0° par rapport à l’équateur terrestre. L’orbiteur filait alors à Mach 25 (vingt-cinq fois la vitesse du son), soit à 28 000 km/h ou 8 km/s.
        À 8h15 (heure de la côte Est d’Amérique du Nord), le vaisseau traverse l’océan Pacifique lorsque, tel que prévu. il active ses moteurs orbitaux OMS durant 2 minutes et 38 secondes. Ce coup de frein a pour effet de ralentir de quelques dizaines de kilomètres/heure la vitesse du vaisseau, soit juste assez pour amorcer la descente vers la Terre. L’orbiteur doit venir se poser une heure plus tard (à 9h16 précise) en Floride, soit à l’antipode du point où a lieu le coup de frein.
        Une demi-heure plus tard (8h44), Columbia atteint les premières couches d’air, à 120 kilomètres d’altitude. Pour la première fois en seize jours, les sept astronautes ressentent (très légèrement) la gravité terrestre. Columbia est alors soumis à une décélération de 0,01 G et commence sa rentrée dans l’atmosphère. Tout va bien.
        Le but de cette longue traversé est de dissiper graduellement l’énergie que l’orbiteur a acquis (sous forme de vitesse) lors de son lancement. Au cours de cette demi-heure, la vitesse du vaisseau passera ainsi de 28 000 km/h à moins de 400 km/h. Columbia utilise donc la friction de l’air pour ralentir sa course. Durant sa descente, il réalisera quatre zigzags afin de moduler les effets du frottement de l’air.
        Toutes ces opérations sont réalisées par les ordinateurs de bord alors que le commandant Rick Husband et le pilote William McCool surveillent le tout.  (Normalement, les pilotes de la navette n’ont rien à faire jusqu’à ce qu’ils prennent les commandes quelques minutes seulement avant l’atterrissage.) Il s’agit donc pour les ordinateurs de bord de gérer soigneusement la perte d’énergie de Columbia afin de l’emmener se poser à bon port.
        La rentrée se déroule apparemment sans problème jusqu’à 8h52, alors que les contrôleurs au sol reçoivent les premières indications montrant que quelque chose ne va pas. Trois des indicateurs de température des systèmes hydrauliques de l’aile gauche de Columbia font état d’une légère augmentation de la température. L’orbiteur s’approche des côtes de la Californie alors qu'il se trouve à 72 kilomètres d'altitude et file à Mach 23,6 (26 200 km/h). Au cours des cinq minutes qui suivent, la température s’élève d’une trentaine de degrés; c’est là une anomalie qui intrique Jeff Kling, le contrôleur supervisant l’état des systèmes de Columbia.
        Kling le signale tout bonnement au directeur de vol, Leroy Cain, «Pour votre information, je viens tout juste de perdre quatre indicateurs de mesures du côté gauche du véhicule, [il s’agit des] mesures de la température des systèmes hydrauliques.» Cain s’interroge aussi laconiquement: «Quatre mesures de température des systèmes hydrauliques?» Il cherche surtout à déterminer s’il y a un lien entre ces quatre défaillances soudaines. Kling lui explique qu’il a perdu ces signaux en l’espace de quatre ou cinq secondes et que les indicateurs se situent près des gouvernails de l’aile gauche. «Je ne vois pas de lien [entre ces anomalies]», indique-t-il.
        Commence alors la phase de freinage aérodynamique la plus intense de la rentrée, l’orbiteur étant soumis aux températures les plus élevées (environ deux milles degrés). Il se trouve alors entouré dans un cocon de plasma (une enveloppe de gaz extrêmement chaude) qui entrave les communications radio avec le centre de contrôle.
        Durant cinq minutes, à partir de 8h54, les contrôleurs observent une élévation des températures sur le bord d’attaque de l’aile gauche (où celle-ci se rattache à la carlingue du véhicule).
        Alors que Columbia survole le Nevada, des indicateurs de température à l’intérieur de la soute du train d’atterrissage gauche rapportent une augmentation de quelques dizaines de degrés. À 8h57, des indicateurs en maints endroits de l’aile gauche cessent de fonctionner. L’orbiteur effectue, comme prévu, un zigzag de 75° vers la gauche afin de moduler sa vitesse. «Nous venons de perdre les mesures de pression des pneus, côté gauche», rapporte Kling.
        Charles Hobaugh, l’astronaute au sol chargé de communiquer avec l’équipage en vol, lance: «Columbia. Houston, Nous prenons note de votre message concernant la perte de pression des pneus.»
        Et le commandant de Columbia de répondre: «Roger. Uh… » (c’est-à-dire: «Compris, Eh…»). Ce sont les dernières paroles en provenance de Columbia. L’orbiteur se trouvant alors entouré de plasma, c’est le silence radio prévu…
        Columbia commence alors à ressentir une friction additionnelle du côté gauche, comme si l'aile connençait à perdre sa forme aérodynamique. Les petits moteurs-fusée de l'orbiteur qui contrôlent la trajectoire ainsi que le gouvernail et les ailerons s’activent pour compenser cette perturbation. Les températures à l’intérieur de l’aile gauche continuent de s'accroître alors que la traînée atmosphérique se fait de plus en plus sentir. Comme le rapportera plus tard un responsable de la NASA, les ordinateurs de Columbia luttent pour maintenir le vaisseau sur sa trajectoire alors que se poursuit la descente au-dessus du Nouveau-Mexique.
        Alors que Columbia aborde le Texas, les indicateurs de température et ceux de pression des pneus du train d’atterrissage gauche cessent de fonctionner. Le Centre de contrôle de Houston aurait même reçu un signal indiquant que le train d’atterrissage se serait déployé prématurément.
        Au moment où Columbia survole Fort Worth, Texas, le gouvernail et les moteurs-fusée de Columbia tentent en vain de compenser le déséquilibre aérodynamique. Columbia, qui se trouve alors à plus de 60 kilomètres d’altitude et filant à Mach 18, se disloque soudainement en milliers de morceaux. Il est 8 heures, 59 minutes et 32,136 secondes…

         Ignorant tout de ce qui vient de se produire au-dessus de leurs têtes, les contrôleurs de Houston continuent d’analyser la signification des données reçues de Columbia. Ils attendent toujours patiemment que les communications radio soient rétablies. Ce devrait être normalement le cas peu après 9h02.
         Toutefois, les minutes passent sans qu’aucun signal ne soit reçu. Charles Hobaugh lance périodiquement à l’intention de Rick Husband: «Columbia, Houston, UHF comm check.» («Columbia. Houston. Vérification des communications en bande UHF.»)
         Vers 9h02 environ, l’officier responsable des communications indique à Cain que la station d’écoute de Merritt Island (en Floride) ne reçoit toujours pas de signaux. Cain demande alors: «Quand attendez-vous un signal?» «Depuis une minute», se fait-il répondre laconiquement.
         Hobaugh continue d’interpeller le commandant de Columbia, mais ses appels restent sans réponse.
         La responsable des communications suggère alors d’utiliser les antennes d’écoute en balayage à l’aveuglette afin de capter quelque signal que ce soit. Cain approuve.
        Quelques instants plus tard, il demande, commençant visiblement à être inquiet: «Avez-vous capté un signal quelconque?» «Nous n’avons reçu qu’un faible signal, se fait-il répondre, mais nous ne pensons pas qu’il s’agisse de l’orbiteur… Nous n’avons reçu aucune donnée viable…»
         C’est alors que Leroy Cain sonne l’alarme en ordonnant de barrer les portes du Centre de contrôle de Houston: «Lock the doors» dit-il sur un ton calme. Cet ordre vise à éviter toute ingérence extérieure ou qu’un contrôleur ne cède à la panique.
        Peu après, il lance: «O.K. Tous les contrôleurs, écoutez-moi bien. Nous devons mettre en vigueur les procédures d’urgence inscrites dans le Manuel des opérations de vol, page 2,8 tiret 5… Assurez-vous de réaliser toutes les actions requises à l’étape 20. Il s’agit de préserver toutes vos données.»
        Puis il ordonne de couper toutes les communications téléphoniques avec l’extérieur. Cain isole ainsi le Centre de contrôle afin de permettre à ses contrôleurs de se concentrer sur la préservation des données qui serviront à l’enquête qui suivra inévitablement la tragédie…
...
Mission STS 107 Semaine 1  Semaine 2 Semaine 3 Semaine 3 Semaine 5
..
© Claude Lafleur, 2003